L’interprofessionnalité, c’est comme la géographie, il faut savoir d’où l’on part et où on veut aller.
Mais à l’inverse de la géographie, il n’y a pas encore de carte bien claire pour pouvoir se situer, pour savoir où on peut aller sans difficulté. Pas de carte, et encore moins de GPS… C’est que le géographe, l’État, est encore en train de construire la carte. Si bien que lorsqu’on est acteur de l’interprofessionnalité, y compris du côté des prestataires qui souhaitent proposer des solutions, il faut savoir où en est l’État dans son processus. La direction globale, on la connaît tous. « À l’image des États-Unis qui ont construit leur système de santé autour de l’hôpital, la France souhaite construire le sien autour du patient », déclare ainsi Jean Tafazzoli, secrétaire de l’URPS médecins d'Auvergne-Rhône-Alpes. Ou plutôt reconstruire.
Et dans cet énorme chantier en cours, il faut quand même avoir ses boussoles. Celles-ci ont pour nom DMP, la messagerie Ms-santé, la e-prescription entre autres, ce que l’assurance-maladie appelle les « services socles » de la nouvelle architecture numérique en santé. Car bien sûr, dans ce chantier, le numérique est la clé de voûte, celle qui permettra d’assurer l’interprofessionnalité avec pour centre le parcours de soins du patient.
Du DMP à Mon Espace Santé
La direction est claire, mais le chemin moins. Une preuve de son côté cahoteux, la récente décision de l’assurance-maladie d’interdire l’ouverture de nouveaux DMP depuis le 1er juillet dernier. L’administration explique que cette interruption est destinée à préparer l’arrivée du nouveau service Mon Espace Santé qui sera proposé au début de l’année prochaine. Elle promet aussi que tous les DMP ouverts avant le 1er juillet dernier retrouveront leurs données à l’activation de la brique qui va le remplacer. A priori, on peut imaginer que ce nouveau service va reprendre le meilleur du DMP, l’améliorer et en gommer les défauts.
On espère aussi que les développements de tous les éditeurs qui ont cru au DMP pourront également servir au nouvel espace santé des patients. « Le DMP ne disparaît pas et évolue côté patient, les données qui y sont contenues seront intégrées dans Mon espace santé », commente-t-on au sein de la CNAM. « La clé de notre action concernant le DMP est actuellement de développer son alimentation et sa consultation par les professionnels de santé : L’accompagnement des professionnels de santé libéraux constitue ainsi l’une des priorités avec notamment l’organisation de points d’échanges en lien avec les éditeurs de logiciels afin de faciliter l’appropriation de l’utilisation du DMP et en augmenter l’usage en alimentation et consultation. »
Feuille de route
Pour les prestataires, il est indispensable de savoir à qui il faut s’adresser. Certes, l’architecture de la santé numérique en construction est centrée sur le patient, mais il faut partir du point de vue des soignants pour élaborer une solution d’interprofessionnalité. Certains choisissent l’hôpital comme point de départ.
« Pour avoir une vue à 360 ° sur l’interprofessionnalité, l’angle, c’est l’hôpital », justifie ainsi Alain Grollaud, président d’Optipharm, un groupement qui travaille main dans la main avec Monali et sa plateforme d’interprofessionnalité. Mais il y a des angles de vue différents. Certains composent avec les structures publiques qui cherchent à aménager un cadre pour l’interprofessionnalité, d’autres font sans.
Pour Jérôme Lapray, responsable communication de Maincare, il y a une véritable feuille de route proposée par l’État. « Le Ségur numérique de la santé a défini le périmètre de chaque spécialité. Nous avions tous les éléments pour avancer, avec notamment tous les travaux effectués en amont du projet Ma Santé 2022, nous travaillons aujourd’hui avec les régions, les ARS et leur bras armé dans le domaine du numérique, les GRADeS. »
Au-delà des services socles et de ce qui est fait au niveau national, les régions ont pour missions d’adapter le nouveau modèle de santé numérique à leur échelle. « Les économistes de la santé et les professionnels de santé ont imaginé un modèle de réseaux par rapport à des territoires qui font entre 100 et 120 km de long et de large et qui regrouperaient chacun une centaine de professionnels de chaque profession de santé », explique Jean Tafazzoli.
D’autres prestataires travaillent avec les structures régionales et notamment avec les plateformes d’interprofessionnalité qu’elles ont développées. C’est le cas d’Oxypharm, la filiale dédiée au MAD du groupe Astera. « Les plateformes numériques interprofessionnelles portées par les ARS sont gratuites, nous travaillons avec certaines d’entre elles, elles sont pertinentes », explique Franck Mermet, responsable de développement exercice coordonné de la société. « L’aspect territorial de l’interprofessionnalité est important », rappelle-t-il.
Ces outils ciblent des populations différentes selon les besoins régionaux. Mais d’autres prestataires font sans ces plateformes et travaillent de leur côté avec les établissements hospitaliers à l’image de Monali. Il est vrai que nombre de prestataires craignent la rigidité des outils proposés par l’administration. Et on peut légitimement s’interroger sur la finalité de ces outils. Les ARS ont des objectifs en matière d’organisation des soins en fonction des spécificités régionales, et souhaitent que l’on puisse utiliser les mêmes outils sur un territoire, affirme en substance Jean Tafazzoli. Mais une ARS ne risque-t-elle pas ainsi de mal cibler son organisation et surtout d’enfermer les acteurs de la santé, établissements hospitaliers, CPTS etc… dans un schéma trop rigide ? « C’est le rôle de l’URPS de faire de la médiation avec les ARS pour faire en sorte que les CPTS notamment ne se trouvent pas en porte-à-faux par rapport à leurs besoins, ajoute Jean Tafazzoli. Et ce n’est ni à la région, ni à l’URPS d’imposer des outils sur le terrain. »
Juste milieu
Trouver le juste milieu entre un schéma numérique assez souple pour permettre à l’innovation de trouver sa place, mais assez strict pour la diriger vers des outils qui soient partagés par le plus grand nombre n’est pas le moindre des défis auxquels sont confrontés les autorités publiques et les acteurs de la santé. Parmi eux, celui de l’interopérabilité, indispensable pour faire en sorte qu’un parcours de soins organisé sur la base de l’interprofessionnalité fonctionne.
L’interopérabilité pour l’instant, elle se fait pas à pas, comme en témoigne Monali qui a conclu un accord avec Dedalus, éditeur spécialisé dans les logiciels hospitaliers. « L’objectif est bien cependant de cibler les principaux éditeurs et pour ce qui concerne la pharmacie, les éditeurs de LGO », affirme Alain Grollaud. Même si c’est compliqué. « Leurs logiciels devront être interopérables, prédit Franck Mermet, même si ces éditeurs n’en ont pas la volonté. » C’est inéluctable si l’on en croit Jean Tafazzoli, « il y a une vraie volonté politique et économique d’y parvenir, tous les acteurs vont être forcés d’aller vers l’interconnexion. » Les pouvoirs publics semblent vouloir compter sur la dynamique engendrée par sa construction numérique pour emporter l’adhésion des prestataires, y compris les plus réticents en matière d’interopérabilité. « C’est la volonté du Ministère de rendre les choses plus homogènes, interopérables et lisibles », estime Jérôme Lapray.
L’adhésion des pharmaciens et des patients
Mais avant l’adhésion des éditeurs, il faut susciter celle des professionnels de santé et des patients eux-mêmes. Il y a de nombreux projets en cours d’expérimentation pour tester les usages qui peuvent en résulter. Des projets publics, certes, comme par exemple le Service d’accès aux soins (SAS). Le SAS est expérimenté depuis le début de l’année dans vingt-deux sites pilotes pour faire en sorte que les Français puissent avoir une réponse en termes de soins et les adresser vers le meilleur service possible, d’une consultation non programmée à une prise en charge en urgence.
En parallèle se développent de façon massive des logiciels de gestion d’agendas, dont certains concernent les pharmaciens. Pharmaciens, parents pauvres des projets publics pour l’instant, l’interprofessionnalité étant pensée surtout depuis l’hôpital vers les médecins et les infirmières. Mais cela n’empêche pas des prestataires privés d’intégrer les pharmaciens dans leurs solutions. Ainsi Monali permet-il de faire le lien à la sortie de l’hôpital d’un patient avec son pharmacien. De même, MaQuestionMédicale a lancé son ERP interprofessionnel qui prévoit différentes briques selon les professionnels de santé ciblés, médecins bien sûr, mais aussi pharmaciens.
Risque de dépersonnaliser la relation avec le patient
On peut imaginer cependant qu’avec le développement des CPTS, les pharmaciens qui s’y intégreront, y trouveront leur place. L’interprofessionnalité peut être vue sous un angle plus simple, peut-être plus restreint, comme le fait par exemple Oxypharm avec sa tablette, Tomi, qui permet de donner des informations aux patients et à leurs médecins, des tests de souffle par exemple réalisés par les pharmaciens et transmis aux médecins. Plus restreint peut-être, mais aussi plus proche des patients. Car c’est ce qui manque peut-être à ces séduisants projets d’interprofessionnalité. Sont-ils proches des patients, ou tout du moins est-ce que ces derniers peuvent s’y retrouver facilement ? Cette construction centrée sur le patient prend-elle en compte la dimension humaine nécessaire à toute relation médicale ?
La question se pose, car le numérique a beau apporter de nombreux avantages, il contribue aussi à dépersonnaliser la relation si l’on n’y prend pas garde. Ainsi les nombreux systèmes d’agendas en ligne qui fleurissent aujourd’hui portent-ils ce risque d’enlever le côté certes peut-être un peu suranné de la secrétaire médicale qui connaît le patient, mais très apprécié par beaucoup, en tout cas les plus âgés, au profit d’une organisation plus froide, sans doute plus efficace dans sa dimension collective mais aussi avec ses rigidités à un niveau plus individuel.
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