FORMIDABLE réseau mondial d’information et de communication, Internet peut aussi abriter les pires trafics. La Toile est ainsi le lieu d’un vaste commerce illégal de médicaments. Une opération policière d’envergure, menée simultanément dans 45 pays, a conduit récemment à l’interpellation de 76 personnes et à la fermeture de 290 sites Internet, dont 19 en France. Ce coup de filet international a permis la saisie de plus d’un million de comprimés contrefaits. Valeur estimée : 1,8 million d’euros. « La contrefaçon de médicaments est plus lucrative que les stupéfiants et moins pénalisée », souligne Alain Breckler, membre du bureau du conseil central A (titulaires) de l’Ordre des pharmaciens et chargé des questions relatives au média électronique*. Pourtant, la prise de médicaments contrefaits peut se révéler dangereuse pour la santé. Une majorité d’acheteurs en ont conscience puisque, selon Alain Breckler, seulement 35 % ne connaissent pas les risques qu’ils encourent.
Mais qu’est-ce qui pousse plus d’un Français sur 10 (14 %) à acheter quand même des médicaments de prescription médicale obligatoire en dehors du circuit officinal ? « 32 % invoquent des raisons économiques et 32 % mettent en avant un gain de temps », rapporte l’ordinal. Pour 27 % des personnes interrogées, poursuit-il, il s’agit de contourner la législation, c’est-à-dire d’obtenir un produit listé sans passer par le médecin. Et, bien sûr, Internet représente un moyen très facile d’accéder illégalement à ce genre de spécialité. D’abord, les sollicitations sont nombreuses : qui n’a jamais reçu sur sa boîte mail, un spam proposant d’acheter des médicaments ? Ensuite, certains sites utilisent des moyens pour tromper les consommateurs, les laissant croire que le commerce en ligne de médicaments est autorisé dans l’Hexagone. Généralement rédigés en langue française, ces sites font apparaître un drapeau tricolore, voire possèdent des adresses se terminant par « .fr » (voir ci-dessous). Or, bien évidemment, leurs sièges se trouvent en dehors de nos frontières. Et rien ne garantit la qualité des produits vendus. « Un site va même jusqu’à proposer du Levitra des Laboratoires Bayer en boîte de 180 comprimés ! » déplore Alain Breckler.
Des officinaux peu scrupuleux.
Des sites de pharmaciens exerçant bel et bien en France sont également dans le collimateur de l’Ordre. Il faut dire que certains ont franchi la ligne jaune. Le numéro un des ventes, par exemple, propose aussi bien d’acheter des sex toys que des produits du monopole. D’autres vendent illégalement des auto tests, des produits vétérinaires avec AMM, font du spamming (sollicitation de clientèle), mènent des opérations de déstockage à prix coûtant, ou comportent de la publicité pour des produits de consommation courante comme du fromage ou des voitures. Autant de situations inacceptables pour l’instance ordinale, qui a engagé des procédures à l’encontre de ces confrères peu scrupuleux.
Cependant, pour l’heure, la législation en la matière est encore bien floue. Un groupe de travail a d’ailleurs été mis en place au printemps dernier par l’ex-ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, après qu’elle ait annoncé son intention de permettre aux officines légalement installées sur notre territoire de commercialiser sur Internet les médicaments en libre accès. Depuis, les pouvoirs publics semblent avoir fait marche arrière. La vente de médicaments sur la Toile ne serait plus à l’ordre du jour. Il s’agirait désormais d’élaborer un outil d’information pour les patients. Chez nos voisins, certains ont en revanche franchi le pas. Onze pays de l’Union européenne ont ainsi déjà autorisé la vente en ligne. La France n’ayant pas transposé l’arrêt « Doc Morris », nom des célèbres pharmacies virtuelles hollandaises, qui avait ouvert la voie, la vente à distance reste interdite. Et peut-être pour longtemps encore. « Les dernières décisions prises par la Cour de justice européenne renforcent la subsidiarité des États membres dans l’organisation de leur système de santé, veut rassurer Alain Breckler. Cela nous laisse à penser que la France n’est pas obligée de transposer l’arrêt Doc Morris dans sa propre législation. »
Quoi qu’il en soit, l’Ordre ne compte pas rester les bras croisés et a formulé un certain nombre de propositions à l’administration. « Autoriser la vente de médicaments sur Internet, c’est remettre en cause le rôle du pharmacien », estime pour sa part Bernard Charles, ancien député du Lot et président du comité scientifique et pédagogique du Forum des pharmaciens. Pour lui, les pouvoirs publics doivent faire preuve de beaucoup de prudence sur ce dossier. D’autant que, ajoute-t-il, les politiques ne souhaitent pas s’exposer à une catastrophe sanitaire, alors même qu’il existe aujourd’hui un réseau de proximité et de qualité. « Internet, il faut s’en méfier, mais il faut surtout l’encadrer », conclut de son côté Alain Breckler.
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