LES TECHNOLOGIES vont vite, très vite, et les pharmaciens semblent distancés, voire frileux. Tous les outils interactifs ont envahi les usages quotidiens ainsi que les espaces commerciaux, mais les officines, elles, vont à leur rythme, donnant l’impression parfois qu’il y a une forme d’archaïsme ou au mieux une approche approximative de ces nouveaux outils, pourtant très utiles pour créer un nouveau mode opératoire avec les clients. Cela tient sans doute à la spécificité du monde officinal où l’on vend du médicament, avec des règles de communication très précises, mais aussi à un processus de maturation qui lui est propre. Car il serait faux d’affirmer que les pharmacies sont timorées. Beaucoup se sont lancées dans les technologies multimédias, des écrans placés dans les espaces de ventes pour informer et promouvoir. Et cela depuis plusieurs années déjà. C’est justement sur la base de l’expérience acquise qu’aussi bien pharmaciens et prestataires envisagent la nouvelle phase d’innovation qui approche, avec le regard de l’expérience patiné de ces années de pratique. Ce n’est qu’à cette lumière qu’on pourra aborder la phase « digitale » de l’animation de l’espace de vente.
Le regard blasé des clients.
L’expérience, c’est parfois des échecs. Citons cette pharmacienne du sud ouest de la France, qui a été enchantée au début de l’installation de ses écrans. « Mais, en réalité, c’est difficile à faire vivre dans la durée, et quand nous avons procédé au réagencement de l’officine, nous les avons supprimés car plus personne ne les regardait », décrit-elle. « L’œil des clients est capté un moment, mais il est vite blasé », approuve Pascal Moreau, directeur de NT Pharm (Alliadis). L’écran s’est banalisé dans notre société où l’on consomme vite, d’où la nécessité de travailler le contenu qui y est diffusé pour renouveler l’intérêt de ceux qui les regardent. Or, l’un des problèmes auquel se heurtent les prestataires est le manque de renouvellement des contenus, « un client sur deux environ », selon Pascal Moreau. « L’erreur serait de croire que la technologie peut tout faire », ajoute Jérôme Lapray, responsable marketing de Pharmagest. « Il faut que l’équipe officinale s’approprie ces outils, qu’elle ait le réflexe de rebondir sur la diffusion d’un message pour engager le dialogue avec le patient. » Vouloir tout laisser faire par l’écran est peut-être une illusion.
Ce pharmacien installé dans l’Est de la France raconte ainsi ses tentatives de promotions sur écran. « J’ai affiché des promotions délirantes du type un produit acheté, deux offerts, les clients ne réagissaient pas. » Il a cessé d’utiliser ce média. Peut-être qu’en effet, dans son cas, cela était inefficace… Peut-être aussi qu’il manquait quelque chose.
L’offre a donc évolué, et les prestataires ont mieux travaillé le contenu. Il n’est pas jusqu’à Futuramédia, le spécialiste de la communication sur écrans auprès des grandes pharmacies, qui est passé du tout publicitaire, fondement de son modèle économique (la pub contre une prestation gratuite), à un format 50/50 où la pub côtoie un contenu réalisé par le studio dont dispose la société en interne. Avec également la possibilité pour le pharmacien de diffuser ses propres messages. « Chaque pharmacien a son espace personnel dans notre logiciel en ligne et la possibilité d’y placer des informations officinales », explique Guy Taïeb, P-DG de Futuramédia. La grande tendance est de proposer un contenu prêt à diffuser auquel le pharmacien, s’il le souhaite, peut apporter sa touche. Futuramédia, NT Pharm et Pharmagest le proposent, chacun avec ses propres caractéristiques. Mais pas seulement. Afin de retenir le mieux possible l’attention des clients, NT Pharm a travaillé sur une façon de diviser l’écran en trois, avec tout d’abord un flux RSS (Internet) apportant des informations diverses (météo, trafic, horoscope par exemple), ensuite une campagne de promotions et une campagne publicitaire, ou d’information conçue par un laboratoire ou autre… Mieux, grâce à une clé USB, et bientôt avec du WiFi, il est possible de générer des messages totalement différents d’un écran à un autre. « On ne trouvera pas par exemple de message sur la grippe dans l’espace dermo cosmétique d’une officine mais bien une communication dédiée à ces produits », évoque Pascal Moreau. L’évolution des écrans facilite aussi l’amélioration de leur perception. Ainsi NT Pharm va-t-il bientôt renouveler ses écrans avec un nouveau modèle signé Samsung, qui va permettre justement, grâce à un player intégré, de lancer des communications dédiées sur chaque écran. Futuramédia travaille de son côté au renouvellement des cartes graphiques de ses écrans, beaucoup plus puissantes, qui permettront à un horizon de deux à trois ans d’user d’effets 3D.
Pour une mise en scène différente des linéaires
Pharmagest, quant à lui, a pris le chemin du digital et va lancer l’année prochaine son « linéaire digital ». « Ce seront de grands écrans tactiles sur lesquels les clients pourront naviguer de gamme en gamme de produits », explique Jérôme Lapray. « Une façon pour le pharmacien de mettre en scène ses gammes, car contrairement à la grande distribution, il manque de place, alors même qu’il a un nombre considérable de références, notamment en parapharmacie. » Cela permettra aussi de montrer des produits qui occupent une place volumineuse dans les officines, des couches bébés jusqu’au matériel médical. Et de mieux valoriser l’ensemble des produits dans des officines où les étagères sont souvent surchargées. Il peut en effet modifier sensiblement l’approche visuelle que l’on a des linéaires et accessoirement permettre une rotation plus légère des stocks.
Ce linéaire digital est une sorte de trait d’union avec ce qui vient, des bornes interactives permettant de dialoguer de manière plus franche avec les clients de l’officine. Mais s’il n’est déjà pas simple de créer un contenu adéquat pour les écrans, qu’en est-il de ces bornes où les possibilités de communiquer de manière ciblée sont décuplées ? Jean-Marie Corteville, P-DG de la société Azimut, spécialiste, entre autres, des bornes interactives, explique combien l’approche de ces outils peut être complexe pour l’officine. « La communication y est très encadrée par l’État, nous sommes actuellement en train de faire valider par les autorités publiques les questionnaires que nous avons mis au point », explique-t-il. « En effet, le but du jeu est de créer un intérêt chez un patient ou client à propos d’un sujet donné afin qu’il pose les bonnes questions au pharmacien. Il ne s’agit surtout pas de faire d’une borne interactive un quelconque " pousse pilule ". C’est avant tout un outil adapté à la volonté des patients de devenir acteurs de leur propre santé. » Et cela dans un esprit de dialogue avec le pharmacien.
Pour cela, Azimut, qui se définit comme un architecte de l’information, travaille sur la meilleure façon pour faire en sorte que cette information enrichisse le lien entre pharmaciens et patients. Et notamment sur l’ergonomie de la borne interactive, encore plus délicate que pour n’importe quelle interface informatique : à la moindre défaillance, le client « zappe » tout de suite. L’ergonomie, c’est la qualité textuelle, de l’image, c’est de faire en sorte que les clients puissent se poser les bonnes questions, c’est aussi, toujours selon Jean-Marie Corteville, la garantie qu’il y a aussi un « tampon » derrière l’interface, un organisme, public ou privé, qui a une légitimité médicale, comme la Ligue contre le cancer. Sans doute la partie la plus difficile à réaliser pour les prestataires. Notons l’implication parfois de laboratoires, à l’image de Pfizer qui a établi un partenariat avec Azimut pour déployer une centaine de bornes destinées au dépistage dans certains domaines tels que le tabagisme, les rhinites allergiques ou les migraines et constituer ainsi une sorte de prédiagnostic, qui conduira les patients à demander conseil au pharmacien. Une cinquantaine serait déjà déployée.
Du marketing direct à moindre coût.
Les bornes tactiles, c’est aussi le moyen de faire du marketing direct. En effet, par le biais de questionnaires ciblés, le pharmacien peut recueillir un certain nombre d’informations, comme l’a fait Michel Gicquel, dans sa pharmacie à l’Hermitage, dans l’Ille et Vilaine (voir le Quotidien du Pharmacien du 29 septembre dernier, page 20), opération qu’il a associée à des promotions. « Les technologies digitales donnent à tous les commerces les moyens de faire du marketing direct, et concernant les pharmacies, elles peuvent le faire à l’intérieur même de l’espace de vente », explique David Godest, fondateur et gérant de la jeune société Dolmen Technologies, spécialisée dans le marketing digital. Un de ses avantages est son faible coût comparé au marketing papier. Ces bornes permettent également de gérer l’attente, en soi une tâche à part entière, avec ses propres méthodes.
Les prestataires ne s’engagent pas tous dans les bornes tactiles, loin s’en faut. Pharmagest y va à petits pas. « Les résultats dans d’autres types de commerce sont limités pour l’instant, ils sont là dès lors qu’on y associe l’équipe de vendeurs », estime Jérôme Lapray. L’éditeur travaille avec une société spécialisée dans le domaine de la e santé, Kapelse, et promet bientôt une borne avec laquelle il sera possible de consulter les prix, à l’image de ce qui se fait dans les enseignes de la grande distribution. NT Pharm est plus méfiant, estimant que les pharmaciens « auront du mal à laisser à des bornes interactives le soin de prodiguer du conseil ».
Futuramédia a en revanche un projet bien précis, des bornes dans lesquelles seront insérées des tablettes interactives d’un format de 20 pouces. L’objectif est de proposer là aussi une forme de conseil sous forme de guide pour tout ce qui concerne les produits non remboursés en libre accès. « À l’image de certaines enseignes dermocosmétiques, il sera possible de poser des questions quant à la toux que l’on a par exemple », explique Guy Taïeb. L’application prendra la précaution d’avertir le patient qu’il faut valider le choix avec le pharmacien. Elle permettra en tout cas de mieux gérer l’attente, toujours importante dans les grandes officines. Futuramédia avait déjà lancé un projet interactif il y a quelques années, sans succès. Peut-être était-ce trop tôt…
Les technologies vont encore beaucoup plus loin. Aujourd’hui, on peut passer dans un rayon d’un commerce, une enseigne de la grande distribution par exemple, et recevoir une offre ciblée sur son smartphone. Grâce à un marketing élaboré qui permet de détenir un certain nombre d’informations sur les clients, des promotions particulières peuvent être ainsi proposées par le biais de différentes technologies (RFID, NFC, QR Code…). On peut également faire de la « cross canalité », utiliser Internet et des bornes interactives, notamment dans le cadre de programmes de fidélité. Tout cependant n’est pas transposable à la pharmacie, et ces technologies suscitent aussi un certain nombre de questions par rapport au métier de l’officine. Mais même avec ce qui existe actuellement et ce qui est susceptible d’arriver à très court terme, il est nécessaire pour les officines d’être discriminant. De bien savoir de quoi on a besoin. Et surtout d’agencer l’officine et de s’organiser de telle manière à ce que les installations, écrans, tactiles ou non, bornes interactives, puissent être optimisées au mieux. Bref, installer des écrans dans l’officine et laisser faire, ce n’est pas suffisant.
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