FAUT-IL utiliser les techniques d’agencement de la grande distribution en pharmacie ? Confrontés à la nécessité de vendre mieux et plus, les pharmaciens doivent se poser la question, estime-t-on dans le milieu des agenceurs. Une question qui du reste ne concerne pas la seule nécessité de mieux vendre. « Certaines officines souhaitent vendre plus, certes, mais d’autres cherchent aussi à développer leur valeur ajoutée en matière de conseil. Dans tous les cas, elles doivent gagner en espace et en visibilité », estime Philippe Plessis, directeur général de Proexpace, un agenceur spécialisé dans les pharmacies situées dans les galeries commerciales. Ces deux préoccupations ne sont du reste pas exclusives.
L’évolution est telle que dans tous les cas, réfléchir à la meilleure façon de gérer l’espace commercial de la pharmacie peut inciter à regarder du côté de la grande distribution. Pour une raison bien simple : « les consommateurs ont appris à se comporter de façon autonome dans les grandes surfaces et attendent le même confort dans tous les types de commerce », explique Bernard Deniel, directeur de Media 6 Pharmacie. Mais ils attendent tout autant le sérieux et le conseil qui caractérisent les officines. D’où l’importance de la blouse blanche, souligne Philippe Plessis, qui dans le contexte d’une réflexion sur l’agencement peut paraître dérisoire, mais ne l’est pas.
Les pharmaciens expriment pourtant une véritable défiance à l’égard du monde de la grande distribution notamment à cause de la concurrence qu’elle exerce sur les prix en parapharmacie et sur certains médicaments OTC, mais ils n’en subissent pas moins son influence à l’instar de l’ensemble des commerces. Au fond, ils utilisent des techniques d’agencement propres à la grande distribution sans le savoir et depuis longtemps. Peut-être faut-il le faire de manière plus consciente et plus volontaire en adoptant, et adaptant, les dites techniques tout en préservant ce qui fait l’originalité du métier de pharmacien dans le monde du commerce. Cela commence dès lors que l’on réfléchit à la circulation des clients dans l’officine. « Dès l’entrée, ils doivent avoir une visibilité d’ensemble de l’officine, et de ce point de vue, l’influence de la grande distribution est grande, elle a imposé un agencement aux formes droites », détaille Bernard Deniel. « Pourtant, l’arrondi est très efficace car il offre une vision globale de l’espace, et il a l’avantage d’éliminer les zones froides, mais il ne convient pas aux grands espaces, et donc à la grande distribution. »
Du coup, les clients sont invités à circuler le long d’espaces aux lignes droites, espaces qui allongent son temps de circulation afin de l’inciter à regarder l’offre de la pharmacie. « En grande distribution, tout est fait pour que le client circule le plus possible », rappelle Bernard Wagner, président d’Univers Delta. « De même, en pharmacie, il est possible de susciter l’achat d’impulsion, dès l’entrée en partageant le mieux possible l’espace officinal entre les zones chaudes et froides. » Cette qualification de zone chaude et froide caractérise la fréquentation des différents espaces d’un commerce. « Il est d’usage de considérer les zones chaudes à droite de la porte d’entrée car il a été observé que les clients vont spontanément à droite », ajoute Bernard Wagner. Inciter les clients à circuler, oui, mais ne jamais cacher d’une manière ou d’une autre les comptoirs. Ceux-ci doivent être visibles dès l’entrée. « Il faut que le client comprenne qu’il va être accueilli », souligne Philippe Plessis. Voilà une spécificité de l’officine qu’il faut savoir combiner avec les techniques d’agencement de la grande distribution où d’ordinaire les comptoirs sont proches de l’entrée.
Le métal en question.
La principale valeur ajoutée qu’elles ont apportée est l’agencement modulaire, de telle sorte que l’officine ne soit pas bloquée dans une conception figée qui l’empêche de réagir face à l’évolution de sa clientèle, voire aux évolutions saisonnières de la consommation de nombreux produits. Plusieurs agenceurs militent ainsi pour un agencement qui s’adapte aisément à différentes situations. « La grande distribution n’hésite pas à changer de place pour créer la nouveauté », estime ainsi Jean-François Chaminaud, gérant de la société Essentiel Online. La modularité, cela signifie pouvoir agencer les meubles différemment, et suppose qu’ils ne soient pas construits, assemblés et fixés de manière définitive. Dans ce contexte, certains agenceurs valorisent les avantages du métal, plus facile à utiliser dans un concept de mobilier modulaire. Et ce faisant mettent quelque peu les pieds dans le plat, tant le métal reste pour beaucoup « connoté » grande distribution justement, avec ce que cela implique comme aspect bas de gamme. « C’est vrai qu’il y a quelques années, le métal faisait « basique », se souvient Bernard Wagner. Mais aujourd’hui nous réalisons presque tous nos mobiliers en métal. » Jean-François Chaminaud, pourtant grand partisan de l’agencement modulaire, estime qu’il faut être prudent dans l’usage du métal, « savoir l’accessoiriser, en cacher le côté un peu tôle, le rendre plus chaleureux, notamment par les couleurs, sinon on risque de faire un peu trop grande distribution. » Pour Bernard Deniel, certes, « le métal est une problématique purement esthétique, mais quoi qu’on fasse, on ne remplace pas la légèreté du verre. » Les partisans du métal considèrent au contraire qu’il faut savoir faire oublier le meuble, ce que la grande distribution réussit très bien. « Il faut voir avant tout les produits, si on voit d’abord le mobilier, l’agencement est raté », affirme ainsi Bernard Wagner. Un mobilier trop esthétique perd en fonctionnalités merchandising avertit pour sa part Jean-François Chaminaud.
L’effet de masse.
« Il y a métal et métal », plaide encore Bernard Wagner. La conception de l’acier a beaucoup évolué et il est possible aujourd’hui d’avoir des mobiliers métalliques esthétiques, estime-t-il, de plus peintures et laquages qualitatifs peuvent lui donner l’aspect souhaité. Mais il n’est pas forcément nécessaire de confondre le tout métal avec la modularité, d’abord parce qu’il est possible de combiner plusieurs matières, des structures de meubles en métal avec des tablettes en verre par exemple. Bien que pour Philippe Plessis, le verre n’est pas aisé à utiliser dans le cadre de meubles modulaires. « Il est même possible de faire de la modularité avec du bois », estime ainsi pour sa part Emmanuel Bayart, gérant de la société Promozone.
Autre caractéristique de l’agencement en grande surface, la capacité de celle-ci à créer des « effets de masse » au niveau des linéaires. Les effets de masse - des produits en quantité suffisante qui occupent pleinement les rayonnages -, sont indispensables à l’efficacité de toute vente. Cela suppose des meubles adaptés, capables de présenter toujours des produits en « facing ». « Des séparateurs en plexi avec des systèmes de poussoirs par exemple permettent cela », affirme Emmanuel Bayart. La notion de masse, c’est faire en sorte d’avoir des gammes de produits que Philippe Plessis caractérise par la « largeur » et la « profondeur ». Cet agencement destiné à donner des effets de masse est lié à la présentation que Bernard Deniel qualifie « d’horizontale », c’est-à-dire par zones de produits plutôt que « verticale », liée aux marques. « Pour l’instant, les chiffres ne sont pas meilleurs en ce qui concerne la présentation horizontale », estime-t-il. « Ce type d’agencement nécessite que cela soit parfaitement rangé en permanence, donc une gestion au linéaire au quotidien que les équipes officinales n’ont pas forcément. » L’agenceur conseille d’adopter ce type de présentation au cas par cas.
Modularité.
La modularité implique d’autres meubles, caractéristiques de la grande distribution puisqu’inventés par elles, à commencer par les gondoles. Et c’est justement là qu’il faut aussi se distinguer des grandes enseignes, qui ont su parfaitement les utiliser pour soutenir leurs promotions. « En pharmacie, il est important de faire attention à leur nombre, trop de gondoles, c’est tout de suite trop d’informations, on ne les voit plus », explique Bernard Wagner. Par ailleurs, il faut savoir ne pas les faire trop hautes, là encore à l’inverse des grandes enseignes, afin de conserver un maximum de visibilité de l’officine. Mais au-delà de ces considérations, les gondoles et les meubles qui vont avec, tels que les bacs soldeurs, des bacs inclinés avec compartiments qui facilitent l’accès des clients aux produits, comme le souligne Emmanuel Bayart, sont des outils qui permettent d’insuffler un vrai dynamisme dans l’officine. N’oublions pas non plus la signalétique, qui elle aussi doit évoluer dans le temps, insiste Jean-François Chaminaud. « La modularité des meubles à elle seule ne suffit pas, il faut que l’information qui les accompagne puisse circuler elle aussi. »
Il existe d’autres domaines où des emprunts à la grande distribution sont possibles, comme l’éclairage, plus sophistiqué qui permet d’éclairer beaucoup mieux les produits grâce à des ampoules qui ont des angles d’éclairage plus larges. Mais il ne s’agit pas de tout emprunter, certaines techniques des enseignes ne doivent pas être reprises, et les agenceurs ont des idées très précises à ce sujet. Elles sont capables de beaucoup de choses pour orienter, voire ralentir les clients, qui seraient fort dommageables en pharmacies. Le discernement est de mise.
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