Les boulangeries-pâtisseries aujourd’hui, c’est :
- La première place de l’artisanat alimentaire français ;
- 33 000 points de vente (en baisse de 15 % par rapport aux années 80) (1), (2);
- 15 millions de clients par jour, soit en moyenne 450 clients par jour par point de vente(2)
- Un contexte douloureux de diminution de la consommation de pain depuis l’après-guerre. De 175 g/habitant/jour en 1980, nous sommes tombés à 153 g dans les années 2000, avec une stabilisation aujourd’hui à 130 grammes (3)(4).
C’était comment, les boulangeries, avant ?
Des devantures identiques : Elles se constituaient d’une enseigne « Boulangerie », rarement accompagnée de nom propre. La vitrine transparente, et souvent chargée d’inscriptions, ne laissait voir que l’intérieur de la boutique, mais peu les produits.
Une absence d’animation : La seule animation de la boulangerie était les conversations anodines que les clients pouvaient avoir avec leur boulanger (ou la femme de celui-ci qui, le plus souvent, se trouvait à la vente), ce qui n’est pas à négliger, c’est bien là l’avantage d’un commerce dit de proximité. Cependant, si l’on parle d’animation « commerciale », on constate qu’en dehors des fêtes de Noël et de Pâques, pour les boulangers qui avaient la chance d’être également pâtissiers et/ou chocolatiers, cela se résumait à la vente de pain.
Une offre trustée par un produit star : la baguette ! Chaque seconde, ce sont 320 baguettes de pain qui sont consommées en France (1). La baguette reste le produit le plus consommé par les Français, et est même devenue le composant essentiel du repas gastronomique à la Française, selon l’UNESCO. Elle représente 75 % du pain consommé aujourd’hui (5).
Aussi était-il naturel, dans les boulangeries, de voir des bannettes entières consacrées à la baguette, jusqu’à ne plus voir qu’elle… Et c’est bien là le problème.
Pour résumer : L’achat de la baguette étant un achat « incontournable », les boulangers tenaient cette clientèle « captive » qui lui était fidèle.
Aujourd’hui les choses ont évolué, à deux niveaux :
- La concurrence : développement des grandes surfaces, plus attractives au niveau des prix et visitées régulièrement par les clients ;
- Les habitudes des consommateurs : nomadisme, manque de temps, développement de la restauration hors foyer et des repas « sur le pouce », recherche du prix, ou de la typicité, du goût, de la variété.
Toutes ces tendances ont contribué à modifier le paysage de la boulangerie, et, comme pour les fleuristes (voir article paru le 15 mars 2012), ont contraint ces commerces de proximité à se remettre en question et à évoluer pour enrayer la baisse du nombre de points de vente et la fuite des consommateurs.
Les consommateurs de pain restent attachés au produit (comme pour les fleurs, ou les médicaments), mais le secteur finit par manquer d’attractivité.
Un boulanger Lillois eut un jour une idée qui s’avéra révolutionnaire pour développer « l’expérience d’achat », créer l’ambiance, et faire revenir les clients.
Il installa le fournil et le four directement dans la surface de vente, à la vue du client. Ainsi, tous les clients entrant pouvaient sentir la bonne odeur du pain en cuisson, et surtout voir l’outil de travail de leur boulanger.
Ce boulanger eut également l’idée de s’implanter dans des endroits où nulle boulangerie ne s’était encore installée : les centres commerciaux, en plein essor à l’époque. C’était le début des boulangeries Paul.
Elles ont su créer une histoire : « maison de qualité fondée en 1889 », disent les devantures ; de vendeurs de pains, ces boutiques sont devenues des références en matière de boulangerie, en diversifiant l’offre de pains, puis en vendant des sandwichs, et même en créant des salons de thé. Tout en gardant des valeurs de tradition, d’authenticité et de qualité.
Aujourd’hui, les boulangeries, c’est devenu…
Des réseaux judicieusement implantés : Paul, la Mie Câline, la Croissanterie… Toutes ces enseignes contribuent à créer des repères dans l’esprit des consommateurs (avec une réelle identité visuelle : le bandeau et la devanture noirs, « Paul » écrit en lettres écrues). Implantées en ville, certes, mais aussi et surtout dans les aéroports, les gares ou les centres commerciaux, c’est-à-dire partout où les boulangeries traditionnelles ne sont pas et où un potentiel de vente existe !
Une ambiance : Dans les boulangeries Paul, avez-vous remarqué que tout concourt à vous rappeler votre boulanger d’antan ? Le fournil est toujours visible, comme pour montrer les coulisses du métier, et ainsi susciter l’intérêt, l’envie. L’intérieur est toujours décoré de manière rustique, les pains présentés en bannettes d’osier, les vendeurs en toque de pâtissier et uniforme blanc immaculé, avec parfois le badge prénom afin d’humaniser la vente.
Un merchandising travaillé.
- Le développement de l’offre afin d’optimiser la vente additionnelle : Désormais, les boulangers, loin de nous proposer uniquement la baguette et le pain « traditionnels », rivalisent d’originalité pour nous offrir tout un panel de gourmandises auxquelles nous ne pouvons résister ; pains aux goûts divers (noix, fruits confits, épicés, ail, carotte, graines, céréales…) se sont multipliés sur les étals, mais pas uniquement. Ainsi, Paul met à notre disposition pas moins de 150 pains différents. Tout est conçu et réfléchi pour que le client qui vient chercher sa baguette ressorte également avec un autre produit, même à petit prix : le matin, ce sont les viennoiseries qui sont mises en avant, le midi, tout un assortiment de sandwichs, fougasses, quiches et autres produits traiteurs, assemblés en menus sandwich-boisson-dessert, et dans l’après-midi, les macarons et pâtisseries nous font de l’œil. La tentation est constamment au rendez-vous, avec comme résultat l’augmentation du panier moyen par la multiplication du nombre d’articles vendus.
Calculons : si 1 client sur 5 se laisse tenter et achète un produit supplémentaire par rapport à sa « liste » initiale, d’une valeur moyenne de 2 euros, par exemple, à raison de 450 clients par jour, cela génère plus de 50 000 euros de chiffre d’affaires additionnel par an !
On peut également voir ce phénomène dans les boulangeries indépendantes, qui peuplent leurs comptoirs de confitures maison, tablettes de chocolat, confiseries (parfois industrielles), bougies et plaques d’anniversaire, etc.… Le risque étant de tomber dans l’excès : trop de produits sur les comptoirs est contre-productif. Au lieu de suggérer, ces présentoirs en masse obstruent la visibilité individuelle de chacun, et le résultat est simple : on ne les voit plus.
- La maîtrise du flux clients de la vitrine à la caisse : Des vitrines transparentes laissant voir l’intérieur de la boutique, nous sommes passés à d’alléchantes mises en scènes des produits, qui judicieusement choisis, provoquent l’envie d’entrer. Ensuite, tout le long du parcours client, le point de vente propose et nous fait passer devant toutes ces gourmandises : nous risquons à tout moment de craquer, et c’est bien là-dessus que compte le boulanger !
L’objectif : avant que le client arrive en caisse pour acheter son produit d’achat prémédité (le pain ou la baguette), le faire passer devant un maximum de produits « plaisir ».
À noter que les produits à plus forte marge sont souvent ces produits de « tentation », le pain et la baguette en eux-mêmes n’en font pas partie. À noter aussi qu’à aucun moment le client n’est « forcé » d’acheter un produit plus cher que sa simple baguette, tout est dans la suggestion : le point de vente propose, le client dispose. La bonne idée est de lui proposer des produits de meilleure qualité et aux goûts innovants ou différents, pour lui donner envie.
- L’essayer, c’est l’adopter : la dégustation. Donner envie, c’est bien le maître mot dans un commerce comme la boulangerie. Et comme les habitudes ont la vie dure, rien de mieux que de faire goûter pour exciter la curiosité, faire découvrir, et faire revenir. Ainsi, une image de modernité s’instaure pour les boulangeries qui savent manier l’art d’innover et de le faire savoir, en faisant déguster à leurs clients, à la caisse, leurs nouveautés.
- Une offre alléchante à tout moment de l’année : De même, les boulangeries surfent aujourd’hui sur les vagues de la saisonnalité. Bien au-delà des seules fêtes de noël et pâques, toute occasion est bonne, de nos jours, pour créer l’événement et dynamiser le commerce : Saint Valentin, fête des mères, épiphanie, chandeleur, saint Honoré, semaine du goût, Halloween, fêtes locales, ou anniversaire du magasin. De même, l’offre varie en fonction des saisons. En ce moment, la baguette côtoie encore les granités ou les glaces italiennes, le tout dans le respect de l’identité du commerce : il ne s’agit pas de vendre n’importe quoi dans une boulangerie.
- De l’innovation pour se différencier : Ainsi, en ce moment, Paul propose « les petits pains de l’été », en édition limitée, pour donner un caractère d’urgence à l’opération. Pour les 120 ans de la marque, la baguette Charlemagne a été créée, du nom de l’initiateur de l’aventure Paul. Citons encore les coffrets petits pains, pour goûter de tout en petite quantité, ou encore l’opération « tickets restaurant », ou « grande soif » : autant d’opérations commerciales qui tractent, dynamisent et renouvellent l’intérêt du client. L’objectif : faire préférer l’enseigne ou le point de vente à un(e) autre.
Dernière nouveauté en date, développée par un boulanger alsacien : les distributeurs automatiques de pain. Chargés en fin de journée de pâtons, les pains cuisent dans la machine au fur et à mesure de la demande, offrant ainsi aux clients du pain frais et de qualité n’importe quand dans la journée.
Pour résumer, les boulangers, afin de faire évoluer leur commerce dans le sens des mutations des clients et de leurs habitudes, ont été contraints de rivaliser d’ingéniosité et d’innovation pour relancer un commerce en grosse difficulté il y a encore quelques années.
Ils ont réussi à reconquérir les clients et à limiter l’impact du développement de la grande distribution en pariant sur le plaisir, l’envie, l’occasion.
Aux mêmes maux, les mêmes remèdes.
L’officine rencontre les mêmes problématiques aujourd’hui : concurrence entre officines et avec d’autres circuits de distribution, désaffection des clients, diminution de la consommation des produits concernés.
Aux mêmes maux les mêmes remèdes, même si le médicament n’est en rien comparable à la baguette : aux officines de se réinventer afin de limiter la dégradation du CA et de la marge, et renouveler l’intérêt des clients à venir en officine plutôt qu’ailleurs, et plus particulièrement dans votre officine plutôt que dans celle du confrère, mais néanmoins concurrent.
Pour cela, quelques conseils s’imposent :
- Développez les achats additionnels : proposez, tout le long du parcours client, des produits de qualité et correspondant aux besoins de vos clients (attention cependant à réellement rester dans l’esprit officinal, on voit trop souvent des officines vendre des produits dont la légitimité peut parfois être discutable : bouillottes, colorations capillaires, bonbons, vernis à ongles…) ;
- Soyez innovants : dans les produits, les services proposés : que pouvez-vous offrir à vos clients qu’ils ne pourront trouver chez les autres ?
- Fidélisez : échantillons, testeurs, cartes de fidélité, ventes privées, personnalisation des services… Augmentez la fréquence d’achat, faites revenir !
- Dynamisez et communiquez : réfléchissez à un programme annuel de thèmes commerciaux que vous développerez de manière approfondie et cohérente, en lien avec le calendrier de la vie, en faisant participer l’intégralité des univers de l’officine, plutôt que d’empiler les têtes de gondoles sans lien entre elles. Faites participer l’équipe, pour qu’elle informe la clientèle sur les thèmes en cours et/ou à venir, utilisez la vitrine, l’entrée, les comptoirs mais de manière harmonieuse, cohérente et lisible.
Attention : S’il est avéré que les comptoirs, points chauds de l’officine par excellence et passages obligés pour le client, sont des endroits privilégiés pour y déposer tous les présentoirs ou produits à écouler, ils doivent cependant respecter quelques règles pour générer des ventes efficaces : ils doivent rester accessibles pour les clients, propres, les produits qui y sont proposés doivent l’être en quantité suffisante pour être visible, mais en nombre limité (2 maximum par comptoir), et l’offre doit évoluer régulièrement.
De manière générale, il est toujours intéressant d’aller voir ce que d’autres types de commerce ont fait pour évoluer et devenir plus attractifs. Si, parfois, les bonnes recettes ne sont pas toutes applicables à l’officine, il y a toujours de bonnes idées que l’on peut retranscrire en pharmacie, dans le respect des produits et de l’éthique. C’est ce que nous continuerons de vous proposer dans nos prochains articles.
2) dunezaupalais.blogspot.fr (dunezaupalais.blogspot.fr/2011/05/cest-la-fete-du-pain.html).
3) canelle.com, portail de la filière boulangerie-pâtisserie (www.cannelle.com/CONSOMMATION/consom1.shtml).
4) LSA (www.lsa-conso.fr/les-francais-restent-des-grands-mangeurs-de-pain,128424).
5) Observatoire du pain – Credoc 2010 (host-13.celuga.net/247/Images/Produits/C37DD0B2-BDE6-418A-8755-CC6183334C8A.PDF).
* Argos Consulting, dirigé par Michel Kindig, est une agence conseil spécialisée dans l’optimisation des espaces de ventes. Sa vocation est notamment la conception d’approches merchandising innovantes, l’élaboration de stratégie de prix et le déploiement de formations spécifiques et adaptées. Argos Consulting exerce son expertise dans tous les types de distribution (GMS, GSS et réseaux spécialisés). Plus de 3 000 stagiaires sont formés chaque année par le cabinet.
Dans la mesure de leurs disponibilités, les spécialistes d’Argos Consulting répondront à vos questions au : 01 39 30 55 22 ou par mail : info@argos-fr
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