Les mots du client
- « J’ai les deux yeux rouges depuis hier, qui en plus coulent sans arrêt.
- Ma vision est trouble et la lumière me fait mal.
- J’ai l’impression d’avoir du sable dans l’œil. »
Rappel physiopathologique
La conjonctivite correspond à une inflammation de la conjonctive, une fine membrane recouvrant l’ensemble de la partie apparente du globe oculaire et la partie interne des paupières au niveau des culs-de-sac conjonctivaux.
La conjonctive est bien protégée contre les infections : balayage mécanique des paupières, nombreux agents infectieux dans les larmes (lysozyme, lactoferrine*, anticorps, cellules immunitaires…), présence d’une flore bactérienne saprophyte.
Les conjonctivites, toutes causes confondues, sont très fréquentes ; elles représenteraient environ 20 % des consultations ophtalmologiques et toucheraient 25 % de la population.
Selon leur origine, on distingue les conjonctivites allergiques, bactériennes, virales, parasitaires, fongiques, irritatives ou traumatiques (poussières, rayons UV…).
Il est très important de bien identifier de quel type il s’agit car les traitements sont différents et un diagnostic erroné pourrait être très contre-productif, voire même franchement néfaste.
- Les virus à l’origine des conjonctivites virales sont fréquemment les mêmes que ceux des infections virales ORL, autrement dit des adénovirus. Ce qui explique que celles-ci soient particulièrement fréquentes chez l’enfant.
D’autres virus peuvent être responsables : entérovirus, virus herpès, rougeole, varicelle…
Au cours d’une conjonctivite virale, le début est typiquement brutal (d’abord unilatéral, puis les signes se bilatéralisent en quelques jours) ; l’œil est extrêmement rouge et on constate un larmoiement abondant clair, riche en particules virales. Si, heureusement, la plupart des conjonctivites virales sont bénignes, et d’abord la conjonctivite épidémique (adénovirus), en dépit de ses signes bruyants, guérissant en une dizaine de jours, ce n’est pas le cas de toutes et dans nos régions il faut tout particulièrement se méfier de la conjonctivite herpétique qui résulte très souvent d’une auto-inoculation et qui peut conduire à la cécité dans les cas les plus graves, c’est d’ailleurs la première cause de cécité dans les pays développés.
Attention : les conjonctivites virales sont extrêmement contagieuses (on peut aussi en contracter par une eau de piscine insuffisamment chlorée, ce qui est d’ailleurs une cause fréquente) et la prévention de leur propagation exige de rigoureuses mesures d’hygiène !
- Les conjonctivites bactériennes peuvent être plus graves que les conjonctivites virales et sont également contagieuses. Les germes les plus souvent responsables sont les staphylocoques, Haemophilus influenzae, streptocoques et Pseudomonas chez les porteurs de lentilles ou les immunodéprimés. Il faut savoir qu’une douleur intense n’exclut pas une origine bactérienne (Neisseria gonorrhoeae), dans ce cas il s’agit d’une urgence, avec risque de kératite et d’iridocyclite (atteinte de la chambre antérieure de l’œil, entre l’iris et la cornée). Enfin, non traitée, une conjonctivite bactérienne peut se prolonger et devenir suraiguë - gonocoques et méningocoques en sont souvent à l’origine (alors souvent bilatérale, elle associe hyperhémie, œdème palpébral et sécrétions abondantes avec un risque important de graves complications), voire même chronique (symptômes pauvres, avec rougeur modérée intermittente et peu de sécrétions ; une association avec une blépharite** ou à un chalazion est fréquente).
- Deux cas à connaître, devenus très rares en France, touchant les nouveau-nés :
› La conjonctivite lacrymale : secondaire à un défaut de perforation des voies lacrymales, elle survient 10 à 15 jours après la naissance et est surtout due à une surinfection par le pneumocoque.
› La conjonctivite gonococcique : survenant avant le 5e jour qui suit la naissance, elle revêt l’aspect d’une conjonctivite bilatérale avec sécrétion purulente jaunâtre et œdème palpébral. Il s’agit d’une urgence.
Les questions à l’officine
Mon médecin m’a dit que j’ai une conjonctivite virale. Comment faire pour ne pas risquer de contaminer mon entourage ?
Il faut observer une très stricte hygiène des mains. Autrement dit, se laver les mains très fréquemment et à chaque fois qu’on est amené à toucher l’œil atteint (toujours se laver les mains avant et après les soins) et ne partager aucun linge de toilette ni couverts de table. Attention aussi aux taies d’oreiller et aux savons communs.
Les personnes de l’entourage éviteront de toucher le visage - et pas seulement les yeux - de la personne atteinte, ses mains, ainsi que les objets qu’elle utilise. On peut conseiller au patient de jeter les produits de maquillage pour les yeux et d’en acquérir de nouveaux après guérison afin d’écarter le risque de réinfection.
Mon mari a un œil rouge depuis hier et je lui mets un collyre « antiseptique ». Au bout de combien de temps doit-il voir un médecin si cela ne s’améliore pas ?
Il doit consulter sans délai un médecin si son œil est douloureux ou très rouge si sa vue est brouillée ou encore s’il est par ailleurs diabétique. Et de toute façon si les signes ne disparaissent pas dans les 2 à 3 jours avec un traitement simple et même avant si les symptômes s’aggravent.
Le médecin m’a dit que mon fils de 12 ans avait une conjonctivite de piscine. De quoi s’agit-il et comment est-ce possible ?
La conjonctive peut être infectée a priori par n’importe quel germe, bactérie ou virus, présent notamment dans l’eau de piscine, surtout insuffisamment désinfectée. Si on donne couramment le nom de « conjonctivite des piscines » à celles causées par des chlamydias, de petites bactéries très répandues, divers virus peuvent aussi en être la cause, voire même des amibes. S’il s’agit d’une piscine publique, il est conseillé d’en aviser les responsables et dans le cas d’une piscine privée de faire appel au pisciniste.
Chez le médecin
Le diagnostic prend d’abord naturellement en compte les signes cliniques pour identifier la cause de la conjonctivite, complété par un examen à la lampe à fente qui permet de visualiser précisément l’inflammation de la conjonctive, de déceler une infection de la cornée ou du segment antérieur de l’œil (chambre de l’œil). En ne perdant pas de vue que, naturellement, rien ne s’oppose à ce que plusieurs causes différentes soient associées.
Le médecin cherchera à déterminer s’il s’agit seulement d’une conjonctivite ou d’une kératoconjonctivite, associant donc une inflammation de la cornée (kératite), autrement dit de la partie blanche du globe oculaire et de l’iris. Les signes sont plus intenses en cas de kératite et la rougeur prédomine autour de la cornée, avec le risque de lésions cornéennes superficielles ou profondes. Dans la pratique, les deux atteintes sont très souvent associées.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, il est difficile de distinguer de manière certaine entre une conjonctivite virale et une conjonctivite bactérienne en dehors de l’analyse d’un prélèvement (de plus la seconde peut compliquer la première), mais l’aspect des lésions associé au contexte sont deux paramètres le plus souvent très évocateurs rendant inutile un prélèvement, au moins dans un premier temps.
Des symptômes d’emblée bilatéraux, marqués par des picotements et un prurit oculaire, un larmoiement (pouvant être selon le cas modeste ou très abondant) et d’autant plus qu’ils surviennent durant une « période allergique » (mars à octobre), et en fonction de l’actualité allergénique de la région, font très forcément penser à une conjonctivite allergique. Surtout si en plus le sujet se déclare « globalement » allergique (terrain atopique, rhinite allergique, rhinoconjonctivites récidivantes).
Les conjonctivites chimiques ou irritatives peuvent être, selon le cas, unilatérales ou bilatérales : corps étrangers, fumées, chlore des piscines, cosmétiques, solutions pour verres de contact, lumière intense…
Un œil « sale, purulent (boule de pus dans l’angle interne de l’œil), très rouge, avec des sécrétions collant les paupières au réveil, mais sans douleur intense, est pathognomonique d’une cause bactérienne. Il ne faut pas oublier non plus les conjonctivites à chlamydiae et à mycoplasmes (dans un contexte d’infections sexuellement transmissibles ; les chlamydia sont aussi à l’origine de « conjonctivite des piscines »), qui touchent souvent l’adulte jeune et qui peuvent être très douloureuses.
Enfin, un œil devenu soudainement très rouge duquel coulent des larmes claires, avec des douleurs, conduit à fortement penser à une origine virale,
Chez l’enfant, un contexte fiévreux et d’infection pharyngée est très fortement évocateur d’une infection mixte ORL/oculaire (fièvre, un mal de gorge) par le même virus.
Il est essentiel d’éliminer deux grands diagnostics possibles auxquels il faut systématiquement penser devant un œil rouge, à savoir le glaucome aigu par fermeture de l’angle (œil dur, effondrement de l’acuité visuelle, céphalées intenses, peu ou pas de larmoiement) et l’uvéite antérieure (signes unilatéraux dans la plupart des cas, extrême rougeur de l’œil, intense photophobie, notion de récidive, association à une spondylarthrite ankylosante, une sarcoïdose ou à une maladie de Behçet).
Les traitements
Mesures générales
Naturellement, le port de lentilles de contact est contre-indiqué jusqu’à guérison complète.
On peut conseiller un lavage oculaire plusieurs fois par jour pendant 10 jours, avec du sérum physiologique stérile ou un antiseptique (Dacudoses, Dacryosérum…). Cela en utilisant des compresses stériles ; une par œil. Éviter de se toucher l’œil éventuellement non atteint. Il faut penser à prodiguer les conseils nécessaires afin de réduire le risque de propagation à l’entourage.
Conjonctivites virales
Les conjonctivites virales s’accompagnent d’un risque de surinfection bactérienne qu’il est donc souvent nécessaire de prévenir par un traitement antibiotique.
Les conjonctivites à adénovirus guérissent spontanément en une dizaine de jours. Mais la kératoconjonctivite épidémique peut demander 4 à 6 semaines pour disparaître spontanément.
En cas de forte inflammation, le médecin peut prescrire un anti-inflammatoire non stéroïdien : Indocollyre, Ocufen…
La conjonctivite herpétique exige un traitement antiviral local, durant une dizaine de jours, en collyre et/ou pommade selon le cas : aciclovir - Zovirax, ganciclovir - Virgan (1 application 5 fois par jour dans le sac conjonctival), trifluridine - Virophta, idoxuridine - Iduviran (1 goutte 6 fois par jour).
Un traitement antiviral par voie buccale peut être instauré en cas de kératite profonde ou de kérato-uvéites : valaciclovir - Zélitrex (1 000 mg/j pendant 7 jours).
Ce même médicament est également utilisé dans la prévention des récidives d’infections oculaires à herpès simplex chez le sujet immunocompétent (500 mg/j).
L’administration complémentaire d’aciclovir par voie intraveineuse peut être nécessaire chez le patient immunodéprimé.
Là encore, une prévention des surinfections bactériennes est souvent nécessaire avec un collyre antibiotique : tobramycine-Tobrex, norfloxacine-Chibroxine, ofloxacine-Exocine…
Enfin, un collyre ou une pommade ophtalmique cicatrisant seront appliqués en cas d’atteinte cornéenne : acétylcystéine - Euronac, nandrolone - Kératyl, Pommade à la vitamine A, pendant deux semaines.
Une greffe de cornée peut s’avérer nécessaire quand persiste une importante opacité cornéenne.
Conjonctivites bactériennes
Le traitement repose sur l’emploi d’antibiotiques à large spectre, en collyre et en pommade. Les premiers jours, les applications doivent être fréquentes, 4 à 6 fois par jour, avec application de pommade le soir. Avec un traitement poursuivi 7 à 10 jours, voire plus.
Les collyres antiseptiques peuvent être suffisants dans les formes mineures : hexamidine-Désomédine, benzododécinium-Chibret ou Biocidan…
Les formes purulentes requièrent des collyres antibiotiques : norfloxacine-Chibroxine, ofloxacine-Exocine, gentamycine-Gentalline.
La bacitracine est préconisée en cas d’infection à staphylocoque : Bacicoline.
Les conjonctivites à pyocyanique bénéficient particulièrement d’associations d’antibiotiques : néomycine + polymyxine B-Atébémyxine et Cébémyxine.
Les pommades ophtalmiques utilisées renferment, selon le cas, de l’acide fusidique - Fucithalmic, de la gentamicine - Gentalline, une association aminoside + polymyxine B - Stérimycine ou Cébémyxine, ou encore oxytétracycline + dexaméthasone - Sterdex.
Enfin, les cyclines sont recommandées dans les infections à Chlamydia : oxytétracycline-Posicycline, éventuellement associé à un traitement général (doxycycline-Vibramycine).
L’absence d’amélioration doit faire penser à une résistance bactérienne et conduire à la réalisation d’un antibiogramme. Dans le cas d’une forme suraiguë, un prélèvement conjonctival avec étude bactériologique est nécessaire et le traitement peut associer un antibiotique par voie générale à la voie locale.
** Inflammation du revêtement cutané des paupières.
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Françoise Amouroux
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