La consommation accrue de sodas et d’autres boissons sucrées s’est accompagnée d’une épidémie d’obésité dans le monde, dès les années 1980, avec un risque accru de cancer colorectal chez les adultes de moins de 50 ans.
Dans le même temps, l’industrie alimentaire a remplacé les sucres naturels (de canne ou de betterave) par le sirop de maïs riche en fructose (HFCS pour high-fructose corn syrup ; encore appelé isoglucose ou isoglucosamine sur les étiquettes), qui est moins cher, plus sucré et composé de glucose (45 %) et de fructose (55 %).
« Nous savons que l’obésité augmente le risque de nombreux types de cancer, y compris le cancer colorectal. Toutefois, nous ne savions pas s’il existait un lien direct causal entre la consommation de sucre et le cancer. Par conséquent, j’ai décidé d’explorer cette importante question lorsque j’étais post-doctorante dans le laboratoire du Dr Lewis Cantley au Weill Cornell Medicine à New York », explique Jihye Yun, devenue depuis professeure adjointe de génétique humaine et moléculaire au Baylor College of Medicine à Houston (États-Unis).
Des adénomes plus invasifs
L’étude, publiée dans la revue « Science », a été menée sur des souris génétiquement privées du suppresseur de tumeur APC (adenomatous polyposis coli) dans l’intestin et prédisposées dès lors à développer des polypes (plus de 90 % des patients atteints de cancer colorectal présentent ce type de mutation APC, sporadique ou familiale (1). Durant cette étude, les chercheurs ont injecté chaque jour dans l’estomac des souris soit de l’eau (groupe contrôle), soit une petite quantité d’eau contenant 25 % de sirop de maïs riche en fructose. Cette quantité de sucre était trop faible pour entraîner une obésité ou un surpoids chez les souris, mais représentait néanmoins l’équivalent pour un homme d’une canette de soda par jour.
Les souris buvant de l’HFCS ont développé autant de tumeurs que le groupe contrôle mais davantage d’adénomes de taille supérieure à 3 mm de diamètre. Ils étaient par ailleurs de nature plus invasive. Aucune obésité ni syndrome métabolique n’ont été observés. Des tests utilisant du glucose et du fructose marqués par un isotope montrent que dès que la consommation de fructose augmente, ce dernier n’est plus absorbé par l’intestin grêle, sa voie naturelle avant de passer dans le sang, mais il passe directement dans le colon, où il est absorbé avec le glucose et piégé dans les tumeurs. Une fois à l’intérieur des cellules tumorales, le fructose est converti par l’enzyme fructokinase (KHK) en fructose-1-phosphate, ce qui active la glycolyse et augmente la synthèse des acides gras favorisant la croissance tumorale.
Par contraste, chez les souris dépourvues du gène APC et de l’enzyme fructokinase (KHK), les tumeurs développées ne sont pas de taille plus importante ou de nature plus aggressive que celles des souris témoins privées du gène APC et non exposées au HFCS. Ainsi, cette étude chez la souris suggère que la combinaison de glucose et de fructose alimentaire, même à dose modérée, pourrait accélérer la progression du cancer.
Le sucre entraîne la progression du cancer
« Ces résultats suggèrent que lorsque les souris ont des tumeurs précoces dans l’intestin - ce qui peut arriver par hasard et sans avertissement chez de nombreux jeunes adultes humains - le fait de consommer du sirop de maïs riche en fructose, même en quantité modérée, peut stimuler la croissance et la progression de la tumeur indépendamment de l’obésité, précise le Pr Yun.Des recherches supplémentaires seront nécessaires pour savoir comment cette découverte s’applique à l’homme. Cependant, nos résultats sur ces modèles animaux suggèrent que la consommation chronique de boissons sucrées peut raccourcir le temps nécessaire au développement du cancer. Chez l’homme, cela prend habituellement entre 20 à 30 ans pour que le cancer colorectal passe du stade précoce de tumeur bénigne au cancer agressif ».
« C’est probablement la preuve la plus directe à ce jour indiquant que le sucre, indépendamment de l’obésité, peut entraîner la progression du cancer. C’est un modèle pour comprendre ce qui peut survenir si l’on est prédisposé au cancer du côlon et que l’on boit une canette de Coca-Cola par jour », déclare, dans un article associé publié dans « Science », le biochimiste Joshua Rabinowitz de l’Université de Princeton, qui n’a pas participé à l’étude. Il reste donc à savoir dans quelle mesure ces expériences sur les rongeurs sont pertinentes pour les sujets humains, lesquels pourraient atténuer les effets du sirop de maïs en buvant lentement ou au cours d’un repas.
Un inhibiteur de la KHK pour ralentir la croissance tumorale ?
« L’HFCS augmente-t-il modérément ou légèrement le risque ? Et ce risque est-il négligeable par rapport à d’autres facteurs que nous connaissons ? », s’interroge le Dr Mark Herman, chercheur à la Duke University de Durham (Caroline du Nord).
Pour répondre à ces questions, les chercheurs envisagent d’étudier si une restriction de la consommation des boissons sucrées peut ralentir la croissance des polypes intestinaux chez les personnes génétiquement prédisposées à les développer (PAF). Par ailleurs, puisqu’un médicament inhibiteur de la KHK est actuellement évalué dans des essais cliniques sur la stéatose hépatique, les chercheurs pourraient potentiellement l’évaluer dans le cadre d’un essai clinique pour ralentir la croissance tumorale chez des patients atteints de cancer du côlon.
(1) M. Goncalves et al., Science, 10.1126/science.aat8515, 2019.
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