RAPPELANT que les plus gros consommateurs de médicaments sont en général des alcoolotabagiques, le Dr Rohmer à tendance à voir du même œil les « accros au chocolat » qui en consomment trente tablettes par jour - il en a rencontré parmi ses patients - et les héroïnomanes et autres amateurs de substances illicites. Ce qui unit en effet toutes ces personnes ayant perdu leur liberté face à un produit quel qu’il soit, c’est la recherche, à travers celui-ci, de la satisfaction et du plaisir via la libération de la dopamine, cette « hormone de la récompense » dont on commence à mieux connaître les mécanismes et le cheminement à travers le cerveau. En effet, les substances addictives, licites ou non, agissent toutes au même endroit du cerveau, en empruntant la voie dopaminergique mésolimbique, qui est aussi la voie de la mémoire. La phase d’essai et de découverte se poursuit par des phases de « renforcement », au cours de laquelle le sujet va augmenter la fréquence de la prise, et de « sensibilisation », c'est-à-dire d’une réponse accrue au produit, toujours dans le but de retrouver ce « plaisir » libéré par la dopamine. La sensibilisation est irrémédiable, ce qui explique pourquoi un fumeur ou un buveur sevré - le sevrage étant possible pour toute drogue - ne doit jamais reprendre « le petit verre ou la petite cigarette » qui le fera inévitablement « replonger ».
Mais connaître la « biochimie du péché », explique le Dr Rohmer, c’est aussi mieux comprendre les « addictions croisées », ou le fait que certains dépendants ne parviennent à se libérer d’une drogue que pour mieux plonger dans une autre. Ces phénomènes s’observent chez certains anciens fumeurs qui se mettent à boire ou chez des alcooliques sevrés qui s’adonnent au jeu. En effet, de nombreux comportements, dont le sport de compétition et la recherche de performance à tout prix, mais aussi les prises de risques chères à bien des adolescents, fonctionnent de la même manière au niveau du cerveau que les drogues proprement dites, et peuvent, selon les cas, se combiner avec la prise de produits, ou au contraire les remplacer.
Le problème des drogues licites.
Le problème, poursuit le Dr Rohmer, c’est que les adolescents, sans expérience de la vie, sont beaucoup plus enclins que les adultes à essayer des produits et des sensations nouvelles. Certains industriels l’ont parfaitement compris, à l’image des alcooliers qui, en inventant les « prémix » et autres alcopops, ont caché l’alcool dans le sucre pour mieux « appâter » les jeunes pendant les soirées des week-ends. Ces producteurs savent aussi qu’il vaut mieux délivrer, à l’image des « open bars » du samedi soir, de fortes doses intermittentes que des petites doses régulières pour renforcer la sensibilisation et mener à la dépendance, et « fabriquent » donc en toute quiétude les alcooliques de demain.
Pour le Dr Rohmer, les drogues licites sont plus problématiques que les drogues illicites, tout simplement parce qu’elles sont prises par plus de gens. Mais, admet-il, les pouvoirs publics sont dans une situation des plus complexes : « dès qu’on autorise un produit, on sait que sa consommation augmente, mais toutes les prohibitions ont toujours été des échecs ».
Néanmoins, tous les « essayants » ne tombent pas dans la consommation régulière, puis dans la dépendance, fort heureusement pour eux et pour la société en général. Même si certaines substances sont plus fortement addictives que d’autres, le renforcement de leur potentiel chez un individu dépend aussi du contexte psychoaffectif de ce dernier et du cadre et de la manière dont il consomme ; même le conditionnement ou l’emballage d’un produit peut avoir une influence. En évoquant à la fois la récompense, l’oralité et l’enfance, le chocolat, drogue « faible » en soi, peut entraîner chez certaines personnes une dépendance des plus redoutables. À l’inverse, on donne des morphiniques très forts, et très addictifs, aux grands malades pour calmer leurs douleurs, mais, une fois guéris, ces patients n’éprouvent aucun besoin de reprendre ces drogues, car elles sont très fortement associées à la pénibilité de la maladie, ce qui pousse l’ancien patient à s’en éloigner très vite.
Le facteur génétique.
Enfin, le Dr Rohmer a rappelé l’importance des facteurs génétiques dans la sensibilité aux addictions, toujours liée à la qualité et à la quantité des récepteurs dopaminergiques. La diminution ou la suppression des symptômes physiques ne signifie en rien la disparition de l’addiction, laquelle peut toujours réapparaître, même après des années d’abstinence. L’addiction doit donc être vue comme une appétence polymorphe, différée et récidivante, phénomène infiniment plus complexe que le seul « besoin de consommer », et lié de surcroît à tout l’environnement social du consommateur.
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