Vaccination antigrippale

Une campagne pas comme les autres

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Publié le 08/12/2020
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À l'image de l'année 2020, la campagne de vaccination contre la grippe saisonnière 2020-2021 restera dans les mémoires comme une campagne à part. Plus efficace que toutes les actions de communication élaborées depuis une dizaine d'années, la pandémie de Covid-19 et la crainte d'un duo explosif grippe/SARS-CoV-2 semblent avoir réveillé les Français et aiguisé un nouvel intérêt pour un vaccin jusqu'à présent boudé.
La crainte d'un duo explosif grippe/SARS-CoV-2 semble avoir réveillé les Français

La crainte d'un duo explosif grippe/SARS-CoV-2 semble avoir réveillé les Français
Crédit photo : BURGER/PHANIE

On ne dispose pas encore des chiffres officiels de la vaccination contre la grippe, mais il y a fort à parier que la barre symbolique des 50 % sera franchie pour la saison 2020-2021.

Les épidémiologistes osent même espérer un taux de vaccination contre la grippe flirtant avec les 75 % recommandés par l'OMS dans la population ciblée par les recommandations. Pour rappel, la couverture vaccinale chez les personnes à risque de forme grave a difficilement atteint les 47,8 % lors de la précédente saison, dont seulement 31 % chez les personnes de moins de 65 %.

Il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis

Cette année, la pandémie de Covid-19 change la donne. En Nouvelle Aquitaine, Gisèle est de ces patients qui ont changé leur fusil d'épaule, considérant plus prudent de se protéger contre la grippe saisonnière alors qu'un autre virus menace potentiellement sa vie : « je reçois effectivement un bon chaque année, mais jusqu'à présent je n'en voyais pas l'utilité. La pandémie m'a fait réaliser le paradoxe dans lequel nous sommes : à chaque nouvelle infection, nous attendons avec impatience qu'un vaccin soit créé pour la vaincre. Quand ce vaccin est disponible, nous le rejetons en invoquant des arguments bidons. » Pour cette septuagénaire, c'est tout simplement la peur qui pousse cette année les populations à réagir à l'extrême et à l'excès. Un excès qui s'est traduit par une ruée sur le vaccin contre la grippe dès le lancement officiel de la campagne. En moins de deux semaines, certaines pharmacies ne disposaient plus de stock. Au total, selon les chiffres du ministère de la santé, 10,6 millions de doses de vaccins ont été délivrées au 17 novembre, soit l'équivalent du nombre distribué l'année précédente. Et près de 2 millions de patients étaient toujours en attente de leur injection au 23 novembre. Comme tous les pharmaciens, Isabelle Lebert, installée en Charentes, a été le témoin de cet engouement : « Nous avons vu effectivement divers profils de patients, ceux qui ont l'habitude de se faire vacciner et ceux qui pour la première fois, ont franchi le pas. Je n'avais pas l'impression qu'il y avait autant de plus de 65 ans qui échappaient à la vaccination contre la grippe. En discutant avec eux lors de l'injection du vaccin, ils livraient les arguments pour se justifier. Il s'agissait rarement d'une position tranchée antivaccin, mais plus d'une négligence ou d'un sentiment de sécurité vis-à-vis de l'infection grippale. Certains me disaient qu'ils n'avaient jamais eu la grippe de leur vie, d'autres qu'ils prenaient un traitement homéopathique et que cela avait toujours été bénéfique. En revanche, je n'ai pas senti d'engouement particulier parmi les plus jeunes qui présentent des facteurs de risque. »

Le rôle décisif des médias

Depuis le début de la pandémie, l'excès d'informations relayées par les médias influence le comportement de la population. « C'est vraiment une situation inhabituelle et malheureusement, les médias ont encore une fois fait plus de mal que de bien en soulignant avec insistance le risque de pénurie des vaccins antigrippe. Pour ma part, j'ai été livrée en une seule fois et en une semaine, je n'avais plus rien. J'ai mis en place une liste d'attente sur laquelle 70 personnes sont inscrites », explique la titulaire de Charente. Cette année, elle avait pourtant « gonflé » sa précommande d'une vingtaine de doses supplémentaires. L'engouement pour la vaccination contre la grippe saisonnière est encore plus spectaculaire dans des départements comme la Guadeloupe, où les taux sont habituellement très bas (21 % pour la saison 2019-2020). « Nous avons délivré 30 % de doses supplémentaires cette année, et dans la foulée, nous avons été plus sollicités pour pratiquer l'acte vaccinal par rapport à l'année dernière. Dans 60 % des délivrances, on nous demande de vacciner. Les patients reconnaissent que c'est plus facile et mais surtout, ils ne veulent pas prendre le risque de se rendre au cabinet médical pour une injection, par peur du Covid. En outre, aux Antilles, l'épidémie de dengue actuelle vient s'ajouter au Covid et à la grippe », commente Gilberte Spatien, titulaire au Moule. Point positif relevé par cette pharmacienne guadeloupéenne, cette campagne particulière conduit les patients à poser un autre regard sur les pharmaciens, caractérisé par "un supplément de considération".

Pour la première fois, il a fallu dire non

Autre spécificité de cette campagne vaccinale, les pharmaciens ont dû respecter des consignes de la DGS (Direction générale de la Santé), en réservant les doses de vaccins aux populations ciblées par les recommandations vaccinales. Si les premières données de l'assurance-maladie montrent que les pharmaciens ont respecté cette règle inhabituelle, la profession a dû faire preuve de pédagogie pour expliquer cette doctrine aux patients. « Ici, les gens hors cible vaccinale n'ont pas trop râlé ; ils ont été compréhensifs. En revanche, nous avons récupéré des patients venant d'autres pharmacies qui étaient en rupture avant nous. Nous avons également édité des bons pour un certain nombre de patients qui répondaient aux critères mais qui avaient échappé aux fichiers de l'assurance-maladie », note Isabelle Lebert. Ces consignes strictes et le contexte de tensions d'approvisionnement ont cependant fait naître des comportements regrettables au sein de la profession, se traduisant par un refus de délivrance à des patients « non habituels ». « Une forme de discrimination incompatible avec la déontologie », ont rappelé fermement les conseils régionaux de l'Ordre des pharmaciens.

Reste à transformer l'essai

Au-delà des bons chiffres annoncés en termes de couverture vaccinale cette année, la vaccination contre la grippe saisonnière va-t-elle s'inscrire comme une habitude durable dans la population française ? « Il suffit que ça se passe bien cette année pour lever les a priori chez ceux qui redoutaient cette vaccination. Pour ma part, je crains surtout que l'année prochaine, l'engouement soit encore plus féroce, renforcé par le souvenir des pénuries de cette saison », observe Isabelle Lebert.

Cette année, l'État a pour la première fois constitué un stock propre de doses, dont la distribution à destination des officines a débuté fin novembre. Grâce à ces 2 millions de vaccins supplémentaires, les retardataires devraient pouvoir être vaccinés. Il n'empêche que l'anticipation reste un allié et que la campagne 2021-2022 doit tirer les enseignements de la saison en cours. C'est dans cet esprit et pour organiser ensemble la prochaine saison que les syndicats de pharmaciens appellent à rencontrer rapidement les autorités, l'assurance-maladie et les laboratoires commercialisant les vaccins contre la grippe.

David Paitraud

Source : Le Quotidien du Pharmacien