C’est le pire meurtrier de l’histoire et ce n’est pas près de s’arranger. Les moyens de lutte contre le moustique, toujours plus résistant, restent limités et les tentatives d’éradication, sujettes à caution en raison de leur potentiel impact sur la chaîne alimentaire, n’ont pas abouti. On ne se débarrasse pas facilement d’un insecte présent sur Terre depuis 245 millions d’années et qui s’abreuvait du sang des dinosaures avant même l’apparition des mammifères.
« La femelle moustique pond des œufs qui mettent 8 à 10 jours à éclore. Mais plus il fait chaud et plus ce délai est court », souligne Anna-Bella Failloux, directrice de l’Unité arbovirus et insectes vecteurs de l’Institut Pasteur à Paris. Seule la femelle pique, elle a besoin de sang pour fabriquer ses œufs. Heureusement, « tous les moustiques n’ont pas la capacité de transmettre tous les virus ». Pour qu’une telle transmission soit possible, une forte densité de moustiques est nécessaire et ces derniers doivent « être capables de piquer l’homme, de vivre suffisamment longtemps après infection, et être compétents génétiquement pour transmettre le virus ».
Compétence vectorielle
Ainsi les Anopheles, qui piquent la nuit, sont vecteurs du paludisme ; les Aedes, qui piquent le jour, sont vecteurs de virus (fièvre jaune, dengue, chikungunya, Zika) ; les Culex, qui piquent la nuit, sont vecteurs de virus et de parasites (filarioses, encéphalites). Si les moustiques ont colonisé quasiment toutes les terres émergées, tous les genres ne se retrouvent pas partout. Certains sont attirés par le milieu urbain quand d’autres préfèrent la forêt, les Aedes ne gîtent qu’en eau propre quand les Culex choisissent les eaux sales chargées en matières organiques. Mais tous ont élargi leurs aires géographiques sur la planète du fait du réchauffement climatique.
« La compétence vectorielle est la capacité du moustique à s’infecter lors d’un repas de sang, à assurer la multiplication du virus et à le transmettre lors d’un repas de sang ultérieur en l’excrétant par la salive au moment où il pique. La femelle moustique doit donc prendre du sang sur quelqu’un en phase de virémie, le virus va alors pénétrer dans l’épithélium digestif et s’y multiplier avant d’être libéré dans l’hémocœle, pour ensuite se diffuser dans tous les organes et notamment les glandes salivaires, fin prêt pour être excrété dans la salive au prochain repas de sang. La période d’incubation extrinsèque, c’est-à-dire le délai entre l’entrée et la sortie du virus chez le moustique est d’autant plus courte qu’il fait chaud », décrit Anna-Bella Failloux.
Organisme à sang froid
L’augmentation de la température est encore visée puisque, « comme la plupart des insectes, le moustique est un organisme à sang froid, sa température corporelle dépend donc de la température de l’environnement ». L’entomologiste originaire de Papeete résume ses effets : elle change la répartition géographique des moustiques « notamment en altitude », elle allonge la période d’activité des moustiques, elle augmente la densité de moustiques en diminuant la durée de leur cycle de développement, elle augmente le risque de transmission en réduisant la durée d’incubation du virus. « Cela veut dire davantage de moustiques et surtout davantage de moustiques capables de transmettre. » Cependant, le facteur du changement climatique n’est pas le seul à contribuer à la (ré)émergence de maladies vectorielles. Anna-Bella Failloux insiste aussi sur les changements d’écosystèmes dus à la déforestation, les pratiques agricoles, l’urbanisation, ou encore la construction de barrages ; les facteurs humains (démographiques et comportementaux) ; et l’intensification des échanges, que cela concerne « les populations, les animaux et donc les agents pathogènes ou bien les marchandises ».
Parmi la centaine d’espèces de moustiques vecteurs d’agents pathogènes chez l’homme, en dehors du moustique commun dit Culex pipiens, deux sont sous haute surveillance car ce sont les vecteurs d’arboviroses comme la dengue ou le chikungunya : Aedes aegypti et surtout le très adaptable Aedes albopictus, connu sous le nom vernaculaire de moustique tigre, capable de transmettre 26 virus, de gîter aussi bien dans des espaces naturels qu’urbanisés, et de piquer de nombreux animaux ainsi que l’homme. Or, albopictus, initialement originaire d’Asie du Sud-est, a colonisé le monde entier. Même la France a enregistré 65 cas de dengue autochtone en 2022 par sa faute (contre 48 cas sur les 10 années précédentes). Outre ces moustiques vecteurs multi-virus, certaines pathologies peuvent être transmises par de nombreuses espèces. C’est le cas de la fièvre de la Vallée du Rift qui compte une trentaine d’espèces vectrices dans les genres Aedes, Anopheles et Culex.
Activités humaines et mondialisation
« Son potentiel d’émergence est très élevé car une fois introduit dans une région, il trouve toujours un moustique capable de le transmettre, note Anna-Bella Failloux. La fièvre de la Vallée du Rift est une zoonose dont le virus, endémique à l’Afrique subsaharienne, a été isolé pour la première fois au Kenya en 1931. Mais on constate des émergences liées à des changements écologiques comme la construction du barrage d’Assouan en Egypte et de Diama au Sénégal, à des changements dans les pratiques pastorales ou des déforestations, à des changements de style de vie avec des populations qui vivent à proximité du bétail, à une accélération des échanges commerciaux de bétail et enfin à des changements climatiques notamment portés par le phénomène El Niño. » Pour l’entomologiste, la fièvre de la Vallée du Rift apporte la preuve concrète du lien entre maladie vectorielle et changement climatique, mais cela ne doit pas faire oublier le poids des activités humaines et de la mondialisation, « tous deux responsables de l’expansion des vecteurs et des pathogènes au travers des voyageurs infectés qui disséminent les virus ».
Pour le démontrer, Anna-Bella Failloux prend l’exemple de la fièvre jaune, maladie tropicale endémique en Amérique du Sud et en Afrique dont les émergences sont très peu liées aux changements climatiques. Et contre laquelle il existe un vaccin sûr et efficace. Cette fois, le coupable est Aedes Aegypti. L’Asie est indemne de la maladie quand, en mars 2016, 11 travailleurs chinois déclarent la fièvre jaune. Ils sont récemment rentrés d’Angola où une épidémie a touché plus de 800 personnes en trois mois, dont près de la moitié est décédée. Sur les 11 travailleurs, 6 sont morts de la fièvre jaune, mais aucun cas de transmission n’a été rapporté en Chine ou en Asie. Pourtant, s’étonne Anna-Bella Failloux, « le risque y est majeur en raison d’une forte densité de population non immunisée, et la présence tout aussi forte d’Aedes aegypti devenu très résistant aux insecticides ». D’autant que les tests réalisés sur des moustiques prélevés dans plusieurs pays d’Asie ont démontré leur compétence à transmettre la fièvre jaune, excrétant la même quantité de virus que leurs cousins d’Afrique. Le mystère reste entier. Une chose est sûre dans le cas de la fièvre jaune, déjà importée entre le 15e et le 17e siècle d'Afrique en Amérique du Sud par la traite des esclaves, le risque de dissémination n'est pas lié au changement climatique mais bien à l'activité humaine, en l'occurrence aux échanges internationaux.
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