Ainsi que l’a rappelé Étienne Ruppé (INSERM UMR 1137, hôpital Bichat - Paris), le microbiote intestinal est composé d’un très grand nombre de bactéries, la plupart étant des anaérobies strictes non ou très difficilement cultivables.
Ce vaste ensemble renferme essentiellement des espèces commensales mais aussi, en faible proportion, des bactéries pouvant causer des infections, parmi lesquelles des streptocoques et des Escherichia, des Actinobacter et des Pseudomonas dont on sait le rôle dans diverses dysbioses.
Un effet barrière complexe
Si l’existence d’un effet barrière du microbiote intestinal vis-à-vis des espèces pathogènes est connue depuis longtemps, la connaissance des mécanismes impliqués est en revanche très récente. Celui-ci passerait par plusieurs voies, dont certaines sont assez surprenantes. C’est ainsi, par exemple, qu’il a été montré que la croissance de Clostridium difficile est entravée par la présence de certaines bactéries (plutôt des Gram positif), y compris d’autres Clostridium, comme C. scindens, qui agiraient via la transformation d’acides biliaires primaires en acides biliaires secondaires (2).
Un autre mode d’action, original, fait intervenir concurremment plusieurs bactéries. C’est ainsi qu’en s’intéressant cette fois aux entérocoques résistants aux glycopeptides (type vancomycine), comme Enterococcus fæcium, les chercheurs ont découvert l’effet positif de Blautia producta (qui synthétise une bactériocine) dont la croissance est elle-même favorisée par une autre bactérie, Clostridium boltae, qui lui apporte des nutriments clés. Il s’agit donc en l’espèce d’une véritable coopération (syntrophie).
Les choses se compliquent encore dans un modèle souris dans lequel l’entérocoque ne peut s’implanter qu’à la condition d’administrer de l’ampicilline… active en l’occurrence contre les deux bactéries précédentes, ce qui a conduit les chercheurs à ajouter deux « gardes du corps », Bacteroides sartorii et Parabacteroides distasonis qui produisent des bêta-lactamases de spectre assez large pour hydrolyser les résidus d’ampicilline.
Le résistome intestinal
Les bactéries commensales possédant de nombreux gènes de résistance aux antibiotiques, la question se pose de savoir si celles-ci sont capables de les transférer aux bactéries pathogènes. Un grand travail réalisé par l’équipe d’Étienne Ruppé a permis d’éclairer cette interrogation majeure et d’apporter des réponses relativement rassurantes.
En effet, d’une part, ces gènes sont localisés le plus souvent sur le chromosome bactérien, ce qui les rend peu mobilisables et donc peu transférables. Et, d’autre part, de tels transferts ne sont pas observés au profit des Proteobacteria (entérobactéries, P. aeruginosa, Acinetobacter baumanii…). Néanmoins, ce phénomène est possible pour les Firmicutes, avec l’exemple de gènes de résistance aux glycopeptides partagés entre Clostridium (espèce commensale) et Enterococcus (pathogène opportuniste).
Des opportunités d’applications cliniques
Outre la restauration des fonctions d’un microbiote gravement altéré grâce à la transplantation de microbiote fécal, qui semble efficace pour éradiquer le portage de pathogènes multirésistants, et qui fait actuellement l’objet de divers travaux afin d’en préciser les modalités, d’autres options prometteuses se font jour. Dans ce cadre, Étienne Ruppé a évoqué l’effet d’une bêta-lactamase recombinante (ribaxamase), dérivée de celle de Bacillus subtilis, qui lors d’un essai clinique a diminué de 71 % le risque de patients d’être infectés par Clostridium difficile. Effet mis en relation avec la protection de bactéries commensales bénéfiques.
1) Académies d’Agriculture, de Chirurgie, de Chirurgie dentaire, de Médecine, de Pharmacie, Vétérinaire et des Sciences.
2) Les acides biliaires formés dans le foie sont qualifiés de « primaires » et ceux formés par les bactéries sont qualifiés de « secondaire ». En conséquence, l'acide chénodésoxycholique est un acide biliaire primaire, tandis que l'acide lithocholique est un acide biliaire secondaire.
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