Déforestation, agriculture intensive, changements climatiques, expansion démographique, zones de conflit et par conséquent forts mouvements de population intra et extra-continentaux, transition épidémiologique rapide…
Les transformations écologiques en Afrique qui accélèrent ne laissent pas d’inquiéter, alors que le continent est « une terre d’émergence virale » et que « 70 % des maladies émergentes sont, à l’origine, des zoonoses ». Le virologue Antoine Gessain cite le VIH-sida, Ebola, le Covid-19, Zika, Nipah, West-Nile, la dengue… Directeur de l’unité d’épidémiologie et physiopathologie des virus oncogènes à l’Institut Pasteur à Paris et co-auteur de l’ouvrage « Les Virus émergents » avec le vétérinaire Jean-Claude Manuguerra, il note que ces maladies d’origine zoonotiques ont des réservoirs animaux (singes, chauves-souris, rongeurs, oiseaux) aussi variés que leurs modes de transmission, bien que le contact avec des fluides biologiques infectés revienne souvent, qu’il s’agisse de sang, de salive, de fèces ou d’aérosols, par le biais de blessure, morsure, piqûre, contact cutané ou inhalation.
« Les rétrovirus sont des virus à ARN enveloppé qui se répliquent dans une cellule-hôte par l’intermédiaire de la rétrotranscription, ce qui donne un provirus avec un ADN viral intégré », explique Antoine Gessain. Son meilleur représentant n’est autre que le VIH-sida, « la plus importante maladie infectieuse qui a émergé au cours du siècle dernier », dont les premiers cas ont été diagnostiqués en 1981 avant la découverte du VIH en 1983, du VIH-2 en 1985, puis des sous-groupes O, N et P. À lui seul, le VIH-1 est responsable de 80 millions d’infections (98 %) et de plus de 30 millions de morts. À l’origine ? Les SIV (virus de l’immunodéficience simienne) qui infectent les chimpanzés et les gorilles vivant à l’ouest de l’Afrique centrale, en particulier dans le sud du Cameroun.
Possibilité d’émergence d’un VIH-3
« On considère que le passage des singes à l’homme est survenu à l’occasion de contacts avec des fluides biologiques : c’est l’hypothèse du chasseur blessé ou mordu par un singe porteur ou infecté. Selon des études de phylogénie moléculaire, ce passage a eu lieu dans les années 1900-1910 pour le VIH-1-M, vers 1920 pour le VIH-1-O, entre 1930 et 1935 pour le VIH-2 et plus tard, vers 1963 pour le VIH-1-N. » Mais avant le passage à l’homme, le virus a navigué entre différentes espèces de singes. « Les SIV qui ont touché les chimpanzés sont déjà des recombinants qui viennent de petits singes, il y a donc déjà eu des passages inter-espèces pour donner des SIV, puis le HIV. Il y a des contacts fréquents lors de la chasse et l’ouverture des forêts par de nombreuses routes a multiplié la possibilité des transmissions inter-espèces. Malgré une réponse immune innée et des facteurs de restriction de transmission qui seraient à l’origine de la prévention de l’émergence de zoonoses à partir de ces virus SIV qui infectent une foultitude de petits singes (près d’une cinquantaine d’espèces), on ne peut éliminer la possibilité d’émergence d’un VIH-3 », prévient Antoine Gessain.
Passionné par les rétrovirus, le virologue s’intéresse en particulier au premier rétrovirus humain associé à un cancer : le HTLV-1 ou Human T Lymphotropic Virus de type 1, découvert en 1981 et sur lequel il a travaillé dès 1983. « C’est l’un des virus avec le plus fort potentiel oncogène puisque 5 à 7 % des personnes infectées vont développer un cancer. Le HTLV-1 est l’agent causal de plusieurs maladies, notamment d’une leucémie très sévère, l’ATLL ou lymphome-leucémie à cellule T de l’adulte. C’est l’un des pires cancers, avec une mortalité de 50 % des sujets infectés dans la première année. C’est aussi l’agent causal d’une grave maladie neurologique, le TSP-HAM (Tropical Spastic Paraparesis – HTLV-1 Associated Myelopathy), ainsi que d’autres maladies dermatologiques, musculaires… Il infecte entre 5 et 10 millions de personnes dans le monde, surtout en Afrique, mais également dans le sud du Japon et sur le continent américain. » Là encore, l’origine est un rétrovirus simien, le STLV-1, très fréquent chez les singes d’Afrique et d’Asie, qui pour certains développent des leucémies identiques à ce qui est observé chez l’homme.
Transmission inter-espèces
Si la circulation dans la population humaine en zone de forte endémie se fait principalement par la transmission mère-enfant et par les relations sexuelles, une étude réalisée par Antoine Gessain en 2015 a mis en évidence la persistance de la transmission inter-espèces, chez les chasseurs mordus par un singe. Et plus la blessure est sévère, plus le risque de transmission est élevé. Pour illustrer cette transmission du singe à l’homme, le virologue raconte un cas d’école. « Une jeune fille mordue sévèrement à la main durant un épisode de chasse par un petit singe à nez blanc, le cercopithecus nictitans, a été infectée par un HTLV-1 d’un sous-type génotypique particulier, le génotype D, qui est présent quasiment uniquement chez ces petits singes. On croyait s’être trompés dans l’analyse car la maman de cette jeune fille était aussi infectée par un HTLV-1, mais c’était un génotype B. Cela montre que la jeune fille a bien été infectée par la morsure du singe, et non préalablement par sa maman lors d’un allaitement prolongé. »
Depuis la découverte du HTLV-1, d’autres rétrovirus ont été découverts – HTLV-2, HTLV-3 et récemment le HTLV-4 – tous issus de rétrovirus simiens, mais aucune maladie associée n’a encore été mise au jour. Toujours est-il qu’il est parfaitement démontré que la transmission de rétrovirus des singes à l’homme reste une réalité actuelle en Afrique centrale, par le biais de morsures et blessures sévères.
Très contagieux Ebola
Autre maladie transmise par des primates non humains : Ebola. Les gorilles et chimpanzés infectés ne seraient qu’un hôte intermédiaire, le réservoir animal est mal connu mais pourrait être des espèces de chauves-souris frugivores du Gabon. Ce filovirus (comme la fièvre de Marburg) a été identifié en 1977 dans le nord du Zaïre (aujourd’hui la République démocratique du Congo) à proximité de la rivière Ebola. Il provoque une fièvre hémorragique grave et sa létalité est comprise entre 25 % et 90 %. Très contagieux, il se transmet lors de contact avec des liquides corporels d’une personne symptomatique infectée, notamment lors des rituels funéraires (lavage du corps par les proches). Pire, le virus peut subsister chez des survivants, se réactiver, provoquant alors séquelles et rechute, et donc se transmettre.
« Il y a eu plus de 30 épidémies en Afrique centrale et à partir de 2014 en Afrique de l’Ouest. Entre 2013 et 2016, il y a eu plus de 25 000 cas en Sierra Léone, au Liberia et en Guinée, dont plus de 12 000 morts, avec des cas exportés notamment au Nigeria, au Sénégal, en Espagne et aux États-Unis. Ce qui a permis d’accélérer la recherche, en particulier sur les vaccins », souligne Antoine Gessain. De fait, un premier vaccin a été homologué début 2020, Ervebo, actif contre le sous-type Ebola Zaïre, et plusieurs candidats sont en cours de développement. « C’est aussi une maladie nosocomiale : 10 à 15 % des soignants ont été contaminés lors des grandes épidémies en Guinée », rappelle le virologue.
« Out of Africa »
Dernier focus sur une zoonose venue d’Afrique : la variole du singe ou monkeypox devenue mpox. Elle tient son nom de l’isolement du virus en 1958 à Copenhague chez des macaques destinés à la recherche. Mais le réservoir animal n’est pas, là non plus, le singe ; il s’agirait plutôt de rongeurs, à savoir des écureuils et des rats vivant dans les forêts pluviales d’Afrique centrale et de l’Ouest. « Le premier cas humain a été décrit en 1970 chez un enfant de 9 mois au Zaïre. C’est une maladie cutanée de l’enfant ou du jeune adulte, dans sa forme africaine, qui évolue en plusieurs phases : 13 jours d’incubation en moyenne, prodrome, éruption, puis évolution vers des croûtes et desquamation. La létalité est de 1 à 10 % chez les enfants, c’est important mais la maladie survient en Afrique dans des conditions difficiles : faiblesse des infrastructures médicales, villages isolés, pauvreté, zone de conflits », indique Antoine Gessain.
Si le nombre de cas a augmenté en Afrique sur les trente dernières années, ce n’est qu’en 2003, puis en 2018-2022 que la maladie fait parler d’elle, lorsque de premiers cas sont rapportés hors d’Afrique. « La première émergence en 2003 aux États-Unis est liée à l’importation de rats géants du Ghana vers le Texas, qui ont transmis le virus à des chiens de prairie présents dans les mêmes animaleries exotiques, qui l’ont à leur tour transmis à des enfants et de jeunes adultes lors de griffures ou de morsures. » Mais c’est surtout la seconde émergence qui a fait la une des médias. Elle a débuté au Nigeria en 2018 et se fait connaître à partir de mai 2022, lorsqu’une série de cas est rapportée en Angleterre, au Portugal et en Espagne, principalement chez des hommes ayant des relations avec des hommes. La transmission de mpox se fait donc soit de l’animal infecté à l’être humain, soit entre humains lors de contact avec des liquides biologiques infectés. L’épidémie « out of Africa » a pris une forme particulière, touchant des personnes plus âgées qu’en Afrique, avec une surreprésentation des éruptions génito-anales. « Plus de 100 pays ont été touchés, plus de 80 000 cas ont été déclarés, beaucoup aux États-Unis, mais cette pandémie est en voie de régression. » Notamment grâce à l’efficacité du vaccin antivariolique disponible, Imvanex.
« En conclusion, l’émergence virale d’origine zoonotique est un phénomène permanent, sans frontière et souvent imprévisible, martèle Antoine Génin, aussi bien au niveau de sa nature, de sa cible, que de son importance : c’est vraiment une histoire sans fin. »
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