Pour être négligées, ces maladies n’en sont pas moins nombreuses et concernent un nombre élevé de personnes. En effet, selon Pierre Flori (Président de Biologie sans Frontières), près de 1,6 milliard de personnes seraient exposées en permanence à une ou plusieurs Maladies Tropicales Négligées (MTN), selon un rapport de 2017 de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS).
Leur mortalité est réelle mais moindre que celle de la tuberculose, du paludisme, des diarrhées infectieuses et du VIH/SIDA. Méconnues, non médiatisées, ne sévissant que dans les pays pauvres, elles n’incitent guère spontanément à la recherche et aux investissements industriels et ne font pas partie des « grands programmes internationaux ».
Touchant rarement les voyageurs, elles sont largement sous-estimées du reste du monde et pourtant seraient facilement évitables puisqu’elles ont disparu, ou n’ont jamais existé dans les pays développés.
Des maladies définies par 7 critères
En pratique, les MTN sont définies par 7 caractéristiques, ainsi que le détaille le Pr Jacques Chandenier (Université de Tours, Secrétaire général de la Société francophone de médecine tropicale et santé internationale) :
Elles sont un signe de pauvreté et d’exclusion ; leur corrélation avec la pauvreté est si étroite qu’elles sont parfois qualifiées de « maladies des populations négligées » ;
Elles touchent des populations peu visibles et qui ont peu de poids politique ;
Elles ne se propagent pas partout dans le monde ;
Elles sont cause de stigmatisation et de discriminations, notamment pour les femmes et les jeunes filles ;
Elles sont un impact important sur la morbidité et la mortalité ;
Elles intéressent relativement peu la recherche ;
Des solutions efficaces et réalistes existent pour combattre, prévenir et éventuellement éliminer ces pathologies.
Ce concept novateur (cela étant, toutes les maladies tropicales et négligées n’appartiennent pas au groupe des MTN) élaboré au début des années 2000, recouvre 20 entités, très majoritairement parasitaires, parmi lesquelles la maladie de Chagas, la maladie du sommeil, les leishmanioses, les filarioses lymphatiques, l’onchocercose, les échinococcoses, les ténias, les schistosomoses (bilharzioses)… D’autres types de pathologies sont également concernés, comme la lèpre, le pian (une infection provoquée par un tréponème, douloureuse, défigurante, socialement stigmatisante et pouvant entraîner un handicap définitif), la dengue, le chikungunya, la rage, ainsi que certaines mycoses (mycétomes, chromoblastomycoses…).
En métropole aussi
Plusieurs facteurs aidant - réchauffement climatique, immigration, voyages -, certaines de ces MTN sont susceptibles de s’inviter en France métropolitaine. De fait, dans certains cas, des voyageurs venant ou revenant de zones d’endémie peuvent apporter la maladie dans notre pays et être à l’origine de foyers autochtones.
C’est d’ailleurs déjà une réalité dont on parle peu, notamment, le cas de la dengue (5 foyers certains et un 6e en cours d’investigation) ainsi que de la bilharziose urinaire dont des foyers ont été identifiés en Corse. Le risque représenté par la leishmaniose doit, quant à lui, conduire à un meilleur contrôle des réservoirs canins et potentiellement félins.
Dans un autre ordre d’idée, le développement d’épidémies de cryptosporidiose en métropole met en lumière une transmission non contrôlée (péril fécal). Il faut aussi penser à l’ascaridiose qui affecterait près de 700 millions de personnes dans le monde.
Mobilisation internationale
L’intérêt du concept de MTN a permis d’ores et déjà des avancées notables pour plusieurs maladies concernées. Notamment la mise à disposition, le plus souvent sous forme de très importantes donations par l’industrie pharmaceutique de médicaments spécifiques, le renforcement des moyens alloués par les agences, les fondations et diverses organisations et aussi des prises de conscience et des engagements de plus en plus nombreux par les États concernés (création de programmes nationaux de lutte dédiés), par exemple au Burkina Faso, au Cameroun et à Madagascar.
Parmi les succès récents, citons la quasi-disparition de la maladie du sommeil dont le nombre de cas répertoriés est passé de plus de 3 millions en 2000 à moins d’un millier en 2018. Tout en sachant que les efforts doivent être maintenus afin d’éviter des résurgences.
Enfin, après la création en 2005 d’un département dédié aux MTN au sein de l’OMS, cette organisation vient de lancer une nouvelle feuille de route 2021 – 2030 pour un nouvel élan et progresser vers un monde sans MTN. « Un énorme travail en perspective ! » a conclu Jean Jannin (président de la Société francophone de médecine tropicale et santé internationale.
D'après la séance « Maladies tropicales négligées » de l'Académie nationale de pharmacie du 28 septembre 2022.
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