Voilà trois ans que l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) le répète : « enceinte, les médicaments, c’est pas n’importe comment ! » Un message qui pourrait aussi s’appliquer aux traitements non conventionnels comme les produits d’aromathérapie, phytothérapie, etc., qui suscitent l’engouement des femmes enceintes. « Je vois tous les jours des patientes qui recourent à des pratiques et produits (alternatifs) », rapporte Marianne Benoit Truong Canh, secrétaire générale de l’Ordre des sages-femmes.
En cause : des besoins de santé mal couverts. Selon le Dr Jessica Dahan-Saal, gynécologue-obstétricien chef de la maternité de l’hôpital Pierre Rouquès-les Bluets (Paris) et directrice médicale de l’établissement, « certaines femmes souffrent pendant des mois de vomissements gravidiques, de douleurs ligamentaires importantes, etc. » parfois non soulagés par les traitements classiques.
Puis, pendant la grossesse, les médicaments font peur. Il est vrai « qu’on dispose de peu d’études sur les médicaments pendant la grossesse », rappelle le Dr Pierre de Bremond d’Ars, généraliste à Malakoff et président du collectif No FakeMed. Et les notices et pictogrammes grossesse apparaissent anxiogènes. Au contraire, les approches non conventionnelles, dites « douces », « naturelles », encouragées par des coachs très suivis sur les réseaux sociaux, inquiètent peu.
La sécurité en question
Heureusement, dans la plupart des cas, ces consommations alternatives sont peu risquées. Bénédicte Coulm, sage-femme épidémiologiste au Centre de référence sur les agents tératogènes (CRAT), rassure. « Malgré l’absence de données d’efficacité et d’innocuité issues d’essais cliniques (ces produits n’étant pas des médicaments), les signalements d’effets indésirables restent rares. »
Cependant, le profil de sécurité des traitements parallèles reste flou, en lien avec cette absence d’études et des exigences de qualité réduites. Concernant les compléments alimentaires, s’il existe évidemment « des fabricants sérieux », les produits provenant notamment de l’étranger et achetés sur Internet sont à éviter chez les femmes enceintes du fait d’un risque d’adultération par des toxiques, indique Fanny Huret, responsable de la nutrivigilance à l’Agence nationale de sécurité sanitaire et de l’alimentation (Anses).
Les produits provenant notamment de l’étranger et achetés sur Internet sont à éviter chez les femmes enceintes du fait d’un risque d’adultération par des toxiques
De plus peuvent se dégager des dangers théoriques. Par exemple, du fait de la présence de certains composés comme les terpènes, d’études menées seulement chez l’animal ou d’anciennes utilisations, ou encore de l’usage de plusieurs huiles essentielles considérées comme convulsivantes ou abortives.
Et quelques alertes ont déjà été émises. En 2017, l’Anses a fait état d’hypercalcémies néonatales et d’hypothyroïdies congénitales dues à des utilisations inadaptées de compléments alimentaires. Aussi, Fanny Huret souligne-t-elle la nécessité de passer par des professionnels de santé et idéalement une documentation biologique avant toute consommation par une femme enceinte.
Des pratiques problématiques sous les radars ?
Or, souvent, « les patientes se tournent vers (tous ces produits) sans nous informer », insiste Marianne Benoit Truong Canh. Si bien que certaines pratiques problématiques pourraient rester sous les radars. Citons la consommation d’huile de ricin pour déclencher l’accouchement, conseillée sur certains forums malgré des cas de diarrhées, déshydratation et troubles électrolytiques. Ou encore la géophagie – traditionnelle, persistante Outre-Mer et en métropole dans des communautés issues de l’immigration –, qui permettrait de réduire les nausées au risque d’anémie, explique le Dr Véronique Lambert, cheffe de pôle femme-mère-enfant du CH Ouest Guyanais.
Ainsi, les pharmaciens peuvent contribuer à identifier les patientes potentiellement intéressées par les approches non conventionnelles… et enceintes. D’où, selon Marianne Benoit Truong Canh, l’importance de poser la question « êtes-vous enceinte ? » - toutefois délicate. L’enjeu est de pouvoir informer au mieux les femmes des risques et bénéfices incertains des produits alternatifs, et les orienter vers des options pharmaceutiques si nécessaire. En cas de réticence face aux médicaments, la vigilance est de mise quant à une escalade des refus de soins – potentiellement rapide « Les croyances deviennent vite des dogmes », souligne le Dr Dahan-Saal.
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