Le Quotidien.- Pourquoi consacrer cette 18e campagne aux AJA ?
Pr Steven Le Gouill.- Au-delà du clin d'œil au chiffre 18, âge de la majorité, nous souhaitions mettre en lumière un type de cancer méconnu, qui touche une population qui a beaucoup souffert ces derniers temps et à laquelle nous n'associons pas spontanément ces pathologies. Cela nous tient d'autant plus à cœur que Curie a depuis près de 10 ans, une unité spécialisée de huit lits pour ces AJA, qui accueille dans une approche multidisciplinaire environ 70 patients par an - sur les 2 300 jeunes touchés chaque année en France.
Quels sont les enjeux actuels autour de ces cancers ?
La priorité est de guérir tous les cancers, notamment de vaincre les tumeurs de mauvais pronostic - ce qui rejoint les objectifs plus larges de la stratégie décennale. Les cancers des AJA sont de bon pronostic, puisque le taux de survie à 5 ans est de 88 %. Mais il reste 12 % de patients qui ne guérissent pas. Le cancer reste la troisième cause de décès dans cette tranche d'âge, après les accidents de la route et les suicides.
Autre enjeu qui rejoint l'un de ceux de la stratégie décennale et qui est crucial pour les 15-25 ans est la réduction des toxicités. Il s'agit de guérir les jeunes en les maintenant dans leur vie et tissu social actuel et en diminuant les séquelles à long terme : stérilité, retard social (lorsque les études ont été interrompues), modifications physiques…
Par exemple, l'on sait que le traitement par radiothérapie du lymphome d’Hodgkin, première tumeur des adolescents, a comme toxicité majeure chez les femmes le cancer du sein, 20 à 30 ans plus tard. Comment prévenir des pathologies qu'on observera plusieurs années plus tard ? Cela demande des suivis à long terme. Dans certains cas, l'on peut changer de traitement, dans d'autres, comme le lymphome d’Hodgkin, on tente de décroître l'intensité des traitements sans perdre en efficacité, ce qui est un vrai challenge, d'autant que les conséquences ne sont pas immédiatement visibles.
Quelles sont les spécificités de la prise en charge de ces patients jeunes ?
Ce ne sont plus des enfants et ne sont pas encore des adultes : ils sont à un moment charnière où ils se construisent et prennent leur élan… Un élan que le cancer vient couper. La prise en charge doit donc être globale et inclure l'aspect sociétal, pédagogique voire professionnel, et psychologique, sans oublier que pas un adolescent ou jeune adulte ne ressemble à un autre.
Il faut aussi garantir un accès des soins à tous : les adolescents sont parfois dans le déni, parler d'une atteinte testiculaire n'est pas simple, mais rester dans le silence risque de retarder l'entrée en cure.
Peut-on dire que tous les AJA bénéficient d'une préservation de la fertilité ?
Cette démarche est prévue et proposée dans tous les services de cancérologie, a fortiori quand ils sont spécialisés dans cette tranche d'âge. Mais aborder ce sujet reste délicat et nécessite une diversité de professionnels. Sans oublier qu'il y a une différence entre les sexes : les préservations d'ovaires et d'ovocytes sont plus aléatoires que les prélèvements de sperme.
Outre son unité pour les AJA, Curie a comme particularité d'avoir un centre de protonthérapie, à Orsay. Qu'est-ce ?
C'est une forme de radiothérapie ultra-précise qui utilise des faisceaux de protons. Elle limite donc les effets secondaires, préserve mieux les organes et permet donc de traiter les tumeurs de l’enfant et de l’adulte situées à proximité d’organes très sensibles comme les tumeurs cérébrales ou les tumeurs de l'œil. D'autres indications sont à l'étude.
Au-delà de la campagne « Une jonquille contre le cancer », l'Institut Curie a tenu à témoigner sa solidarité avec l'Ukraine. Comment ?
Nous avons cherché à mener des actions concrètes, qui se traduisent rapidement sur le terrain. Grâce à la Fondation Curie, nous faisons un don de 50 000 euros de médicaments (chimiothérapies, antibiotiques, antiémétiques) pour traiter les patients ukrainiens en Pologne (l'ambassade de Pologne ayant transmis une liste de leurs besoins).
Par ailleurs, puisque nous sommes experts au niveau mondial de la prise en charge du rétinoblastome (tumeur de la rétine en développement) nous proposons trois places pour accueillir des enfants et leur famille. C'est une première offre que nous pourrons adapter par la suite.
Enfin, nous devrions assurer le traitement avec Herceptin d'une patiente ukrainienne que nous avons déjà pris en charge. Elle devait être en cure en Ukraine le 8 mars, mais ayant fui à Paris chez sa nièce, elle pourra suivre son traitement d'entretien sur Curie.
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