La pollution de l’air, par les gaz d’échappement ou les produits de la combustion de carburants fossiles, est depuis longtemps suspectée dans le développement des CP non à petites cellules (CPNPC) chez les patients non-fumeurs, pour lesquels les mutations du gène de l’EGFR sont fréquemment retrouvées. Cependant, le lien n’avait jusqu’à présent pas été directement prouvé et les mécanismes en cause restaient inconnus.
Un risque établi sur un demi-million de sujets
L’étude exposée (1) a mis en évidence un risque accru de CPNPC, avec mutation de l’EGFR, lié à l’exposition aux particules fines de 2,5 µm de diamètre maximum (PM2.5), sur une population de 473 679 personnes (UK Biobank) en Angleterre (R = 0,58), en Corée du Sud (R = 0,42) et à Taïwan (R = 0,62). Plus largement, ce risque est retrouvé dans différents types de cancers et localisations tumorales : intestin grêle (HR = 1,30), larynx (HR = 1,26), anus (HR = 1,23), mésothéliome (HR = 1,19), glioblastome (HR = 1,19), poumon (HR = 1,16), lèvre, cavité buccale et pharynx (HR = 1,15).
Des mutations naturellement présentes dans plus de moitié des cas
D’autre part, l’équipe de chercheurs anglais a également montré la présence des mutations EGFR et KRAS dans, respectivement, 15 % et 53 % des échantillons de tissus pulmonaires sains, parmi les 247 analysées en laboratoire. « Ces mutations, communément retrouvées dans les CP, sont observées dans plus de la moitié des biopsies de tissus pulmonaires sains. Elles sont une conséquence naturelle de l’âge », a commenté le Pr Charles Swanton (Institut Francis Crick, Londres), auteur de l’étude. En effet, les chercheurs ont montré que le taux de mutations retrouvées dans les tissus sains de sujets non-fumeurs avait tendance à augmenter avec l’âge. « Les mutations sont nécessaires, mais ne sont pas suffisantes pour qu’un cancer se développe », a ajouté le Pr Swanton. Et c’est là que la pollution intervient…
Les polluants, éléments déclencheurs d'une inflammation
Dans trois modèles de souris différents, l’équipe du Pr Swanton a démontré que les PM2.5 provoquaient de rapides changements dans les cellules des voies respiratoires ayant des mutations préexistantes de l’EGFR ou KRAS, les faisant évoluer vers un état de cellules souches cancéreuses.
En effet, les PM2.5 entraîneraient une inflammation du tissu pulmonaire, via un afflux de macrophages, qui favorise la sécrétion de l’interleukine-1β (IL-1β). En tant que médiateur inflammatoire, l’IL 1-β induirait la transformation des cellules épithéliales mutées en cellules alvéolaires de type 2 (AT2). Ces dernières sont des cellules progénitrices à l’origine de l’adénocarcinome du poumon avec mutation de l’EGFR.
À l’inverse de la théorie reposant sur des mutations d’ADN directement induites par un agent carcinogène, ce modèle de cancérogenèse rappelle celui proposé par Berenblum il y a plus de 70 ans (1947). « Cela constitue un début d’explication sur la capacité des agents environnementaux cancérogènes, qui n’engendrent pas de mutations de l’ADN, à déclencher des cancers, a ajouté le Pr Swanton. La prochaine étape est de découvrir pourquoi certaines cellules pulmonaires mutées deviennent cancéreuses, en cas d’exposition aux polluants, et pas d’autres ».
Vers un traitement par anti-IL-1β ?
Par ailleurs, l’étude a confirmé que le blocage de l’IL-1β est susceptible d’inhiber le développement du CP, en bloquant le processus de cancérogenèse induit par la pollution. Cette découverte est cohérente avec les données d’un large essai clinique (Cantos) ayant démontré une diminution dose-dépendante de l’incidence des CP chez les patients traités par un anticorps anti-IL-1β, le canakinumab. Pour le Pr Tony Mok (Hong Kong), « ces recherches laissent envisager à l’avenir la possibilité de recourir au scanner du poumon pour détecter des lésions précancéreuses, puis d’essayer de les traiter avec des médicaments comme les inhibiteurs de l’IL-1β ». Le ciblage de l’IL-1β pourrait ainsi ouvrir la voie à une nouvelle approche de prévention.
Invitée à commenter l’étude, la Pr Suzette Delaloge (Gustave Roussy, Villejuif) a conclu à « un énorme pas en avant », mais évoque néanmoins plusieurs questions à investiguer : « Un autre mécanisme mutagène de carcinogenèse pourrait-il coexister ? Quel(s) composant(s) des PM2.5 pourraient induire ces effets ? Pourquoi et comment des sujets sains développent des mutations comme l’EGFR ? ».
D’après les présentations orales des Prs Charles Swanton et Suzette Delaloge et les communiqués de l’ESMO 2022.
(1) Swanton C et al. Mechanism of Action and an Actionable Inflammatory Axis for Air Pollution Induced Non-Small Cell Lung Cancer : Towards Molecular Cancer Prevention. ESMO 2022, abstract LBA 1.
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