Non, le Covid ne fait pas bon ménage avec le tabac

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Publié le 01/12/2020
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Le débat Covid-19 et tabac a suscité bien des positions contradictoires au cours de l’année. « Aujourd’hui deux questions se posent : primo, est-ce que fumer entraîne un risque de faire une maladie plus grave ? La réponse est oui, et elle est bien documentée. Secundo, est-ce que fumer protège de l’infection ? Sur ce point, le débat fait rage, bien qu’aucune donnée consolidée ne permette d’étayer l’hypothèse d’une protection… et que d’autres mettent au contraire en évidence un surrisque clair », résume le Dr Ivan Berlin (CHU Pitié-Salpêtrière, Paris, et centre universitaire de médecine générale et santé publique, Lausanne, Suisse).

Aucune donnée sérieuse n’étaye la thèse d’une protection

Aucune donnée sérieuse n’étaye la thèse d’une protection
Crédit photo : GARO/PHANIE

« Chez les fumeurs, l’infection à Covid-19 est plus grave. Dès les premières données, chinoises, le phénomène était patent. Une méta-analyse récente de 47 études observationnelles le confirme (1). Elle montre que les fumeurs et les ex-fumeurs payent un plus lourd tribut à l’infection », explique le Dr Berlin.

Ces 47 études regroupent près de 33 000 patients hospitalisés pour Covid-19, dont 17 % d’ex-fumeurs et 4,6 % de fumeurs actuels plus 3 % de fumeurs/ex-fumeurs (statut indéterminé). L’analyse met en évidence chez les fumeurs un surrisque d’infection : sévère (RR = 1,80 ; [1,1-2,8] ; p = 0,012) et sévère ou critique (RR = 2 ; [1,2-3,4] ; p = 0,012). Ce surrisque est retrouvé chez les ex-fumeurs : maladie sévère (RR = 1,3 ; [1,1-1,5] ; p = 0,001) et maladie sévère ou critique (RR = 1,3 ; [1,2-1,5] ; p < 0,0001), mais aussi mortalité intrahospitalière (RR = 1,3 ; [1,2-1,3] ; p < 0,0001), nécessité d’intuber (RR = 1,2 ; [1-1,4] ; p = 0,043). « Plus largement, tous les sujets avec une histoire de tabagisme (26 % des patients) s’avèrent plus à risque de développer une infection sévère assortie d’un moins bon pronostic intrahospitalier », souligne le Dr Berlin.

Pas de protection contre l’infection bien au contraire

« Il y a certes moins de fumeurs parmi les personnes hospitalisées pour Covid-19 qu’en population générale. Mais cela ne permet pas d’affirmer que les fumeurs seraient protégés ! explique le Dr Berlin. On ne peut pas comparer des sujets hospitalisés à une population générale. Cela n’a aucun sens. Il faudrait a minima les comparer à une population de sujets hospitalisés pour autre cause. Or, jusqu’ici, aucune étude cas-témoins à âge, sexe, et comorbidités égales n’a été menée ! ». C’est pourquoi l’étude clinique qui démarre, testant l’effet d’une protection par patch de nicotine auprès de 1 600 soignants non-fumeurs, en cours d’inclusion, est selon lui discutable… « L’idée est intéressante, mais il faudrait avoir au préalable des données expérimentales cliniques », souligne-t-il.

Par ailleurs, il est de plus en plus établi que les fumeurs expriment plus de récepteurs ACE2, porte d’entrée du virus au niveau pulmonaire (2). Cela contredit l’hypothèse selon laquelle la nicotine pourrait protéger de l’infection à Sars-Cov-2. De plus, une étude récente menée sur une base de données de 72 millions d’Américains a mis en évidence un risque d’infection multiplié par huit chez les fumeurs (3). « Conclusion : les fumeurs ne sont pas épargnés par l’infection. Au contraire, ils sont à la fois plus souvent infectés et font des formes plus graves », explique le Dr Berlin.

 

 

Entretien avec le Dr Ivan Berlin (Paris et Lausanne)
(1) RK Reddy et al. The effect of smoking on Covid‐19 severity : A systematic review and meta-analysis. J Med Virol. 2020 ; 1–12. DOI : 10.1002/jmv.26389
(2) Smith JC et al. Cigarette Smoke Exposure and Inflammatory Signaling Increase the Expression of the SARS-CoV-2 Receptor ACE2 in the Respiratory Tract. Developpemental Cell 2020 ; 53 : 514-29
(3) QQ Wang et al. Covid-19 risk and outcomes in patients with substance use disorders : analyses from electronic health records in the United States. Molecular Psychiatry 2020 ; https://doi.org/10.1038/s41380-020-00880-7

Pascale Solère

Source : Le Quotidien du Pharmacien