* Après avoir évoqué la figure de son arrière-grand-père kabyle, mort pour la France à Verdun en 1917 (« Cent vingt francs »), Xavier Le Clerc rend hommage à son père Mohand-Saïd Aït-Taleb, arrivé en France en 1963 et qui a travaillé comme manœuvre « illettré » toute sa vie pour faire vivre sa famille de neuf enfants. Dans le sillage du reportage « Misère de la Kabylie », publié par Albert Camus en 1939, il exhume les conditions de dénuement et d’esclavage qui furent celles de son père, faisant de lui « l’archétype de ces hommes qui ne se sont jamais rebellés (…) qui ont été formatés à raser les murs ». « Un homme sans titre », à la fois effacé et sujet à des emportements, silencieux parce que sans les mots pour dire. (Gallimard, 125 p., 13,50 €)
* Survivante du génocide des Tutsis en 1994 et saluée pour son premier roman, « Tous tes enfants dispersés », Beata Umubyeyi Mairesse évoque une autre séparation, dans le Rwanda de 1954. « Consolée », 8 ans, est placée dans un orphelinat pour métisses et sera plus tard ramenée de force en Belgique. On la retrouve en 2019 sous un autre nom dans un EHPAD, atteinte de la maladie d’Alzheimer et prise en charge par Ramata, dont le père avait émigré du Sénégal. Deux histoires coloniales s’entrechoquent, qui disent aussi les répercussions sur les enfants d’immigrés. (Autrement, 366 p., 21 €)
* Le dramaturge (« le Caïman ») et romancier (« la Danse des vivants ») Antoine Rault nous ramène à la fin de la Première Guerre mondiale quand un « tirailleur sénégalais » (!) est empêché de retourner dans sa Guinée natale parce qu’un médecin militaire, qui lui a sauvé la vie, le veut à son service et l’emmène dans son manoir franc-comtois. « Monsieur Sénégal » raconte l’autre combat qu’entreprend le jeune homme face à l’hostilité et au racisme, bien qu’il fasse tout pour se comporter en « bon Français bien éduqué ». Émaillé de textes d’époque et de publicités, le roman invite à se confronter à la réalité de notre histoire. (Plon, 423 p., 19,90 €)
* Écrivaine franco-américaine d’origine guadeloupéenne, Jennifer Richard (« Il est à toi, ce beau pays », « le Diable parle toutes les langues ») romance une nouvelle vision sans concession de l’histoire de la colonisation et de l’impérialisme. Contre-récit de l’Histoire officielle, « Notre royaume n’est pas de ce monde » met en scène, de façon aussi attrayante que puissante, la réunion d’une Amicale des insurgés : des fantômes de l’histoire et de la littérature, assassinés pour leurs idées, se rappellent des événements qui ont marqué leur vie et la société, depuis les années 1800 jusqu’à aujourd’hui, avec un focus particulier sur la colonisation belge. Un livre engagé mais aussi un roman avec des personnalités complexes et des destinées fabuleuses. (Albin Michel, 714 p., 24,90 €)
* Hadrien Bels a consacré son premier roman au quartier du Panier à Marseille, sa ville natale (« Cinq dans tes yeux »). « Tibi la Blanche » nous conduit à Dakar, sa ville d’adoption, où vit la famille sénégalaise de son épouse. Dans le quartier populaire de Thiaroye, trois jeunes gens attendent les résultats du bac. Ils rêvent leur avenir et ils ont des ambitions mais ils hésitent : aller en France ou rester au Sénégal ? Un beau roman d’apprentissage sur un fond politique et social et qui mêle les mots de la rue à ceux des grands maîtres de la littérature africaine. (L’Iconoclaste, 247 p., 20 €)
* Il fallait du talent pour imposer une héroïne sans grade et presque sans nom, sans occupation et sans projet, qui est juste « l'Épouse » d’un délégué de la Croix-Rouge en poste à Gaza pour un an ; elle n’a rien d’autre à faire que d’attendre son mari. Anne-Sophie Subilia (« Parti voir les bêtes », « Neiges intérieures ») réussit la gageure de nous ramener en Palestine en 1974 sans s’attarder sur le contexte politique et, en laissant la vedette à cette femme ordinaire, trop privilégiée, trop belle, trop blanche et qui fait semblant de s’occuper, d’installer la tension au cœur même du désœuvrement. (Zoé, 221 p., 17 €)
* Dans la lignée du « Train des orphelins », qui lui a apporté le succès, Christina Baker Kline s’est à nouveau inspirée, pour « le Pays au-delà des mers », de faits réels, qui se sont déroulés dans la Tasmanie coloniale de l’ère victorienne. Elle relie les destins d’une orpheline aborigène, obligée par la femme du gouverneur de se plier aux règles de l’éducation du vieux continent, et de deux jeunes femmes envoyées d’Angleterre en Australie en déportation. Un récit follement romanesque qui met en exergue le courage des femmes. (Belfond, 328 p., 21 €)