Le sujet concerne tous les professionnels de santé, et singulièrement les pharmaciens. Les violences faites aux soignants sont devenues ces dernières années un fait de société d'une ampleur considérable, qui appelle désormais une réponse des pouvoirs publics. C'est dans ce contexte que la ministre avait choisi d’en faire l’annonce officielle lors de la journée de l’Ordre des pharmaciens, le 20 novembre dernier. Une campagne tolérance zéro contre les violences faites aux soignants sera donc lancée le mardi 19 décembre. Elle se déclinera en deux volets et sous forme d’affiches. Le premier est destiné au grand public, dans le but de « rappeler qu’il est inacceptable de s’en prendre à un professionnel de santé ». Le second s’adresse aux soignants et souhaite les inciter à porter plainte en cas d’agression. « Nous diffuserons - via les Ordres, les agences régionales de santé (ARS), l’assurance-maladie et les fédérations professionnelles - un kit de communication à destination des professionnels de santé qui comprendra non seulement ces affiches mais aussi des fiches conseils pour les accompagner en cas de situation de violences. C’était une forte demande de leur part. Il y aura aussi une diffusion média dans les lieux de soins tels que les hôpitaux, les cabinets médicaux, les pharmacies d’officine… », détaille-t-on au ministère. En outre, une affiche destinée au grand public sera spécifiquement consacrée aux pharmaciens.
Cette campagne est la première pierre visible du plan interministériel pour la sécurité des professionnels de santé, élaboré sur la base du rapport de Jean-Christophe Masseron, président de SOS Médecins et Nathalie Nion, cadre supérieure de santé à l’AP-HP. Un plan en 42 mesures et trois axes dont le premier n’est autre que « sensibiliser le public et former les soignants ». L’inclusion des professionnels de santé de ville, jusque-là parents pauvres des politiques de sécurité autour des soignants, en est certainement l’avancée majeure. « Même si l’un des objectifs du plan était d’opérer un "rattrapage" au profit de la sécurité des libéraux (par rapport aux professionnels hospitaliers), nous ne partions pas de rien », tient-on néanmoins à souligner au ministère de la Santé. « Il est par exemple d’ores et déjà possible pour les pharmaciens d’officines victimes d’agression de prendre rendez-vous pour déposer plainte et éviter une longue attente, ou bien de demander à être domiciliés à son adresse professionnelle, ou à celle du service de police ou de la brigade de gendarmerie territorialement compétents. »
Délit d’outrage
Parmi les mesures « déjà mobilisables » par l’ensemble des professionnels, le ministère met en avant les formations à la gestion de l’agressivité des patients. « En établissement, ces formations seront accessibles dès le début d’année. Pour les libéraux, elles se déploient déjà et entrent désormais dans le cadre du développement professionnel continu (DPC). Elles ne sont donc pas obligatoires mais nous devons inciter les professionnels libéraux à y recourir le plus largement possible. » Outre cette offre en formation continue, la gestion de l’agressivité doit s’intégrer dans les maquettes de formation initiale, « notamment dans les compétences à acquérir en stage, puisque ce n’est que sur le terrain, en situation, qu’il est possible de se former ». Autre mesure déjà applicable : la possibilité de mobiliser le Fonds interministériel de prévention de la délinquance pour équiper les abords des officines de caméra de vidéosurveillance, en y travaillant avec les élus et les préfets.
D’autres dispositifs doivent encore voir le jour, notamment parce qu’ils exigent parfois une intervention au niveau réglementaire ou législatif. C’est par exemple le cas de l’élargissement du délit d’outrage à tous les soignants, déjà applicable aux professionnels hospitaliers parce qu’ils sont considérés comme des personnes chargées d’une mission de service public. « L’outrage est caractérisé par les paroles, gestes ou menaces, les écrits ou images […] de nature à porter atteinte à la dignité ou au respect dû à la fonction dont une personne chargée d’une mission de service public est investie », explique-t-on au ministère, qui confirme que « les pharmaciens d’officine bénéficieront bien des évolutions législatives envisagées que nous engagerons dès le début d’année prochaine, notamment en ce qui concerne l’aggravation des peines pour les vols de matériel médical et pour l’élargissement du délit d’outrage ».
C’était là aussi une annonce de la ministre Agnès Firmin-Le Bodo lors de la journée de l’Ordre des pharmaciens : « Ce sera dans la loi au premier trimestre 2024 et j’espère que cela incitera les libéraux à porter plainte en cas d’agression. » Et le ministère de la Santé de compléter : « L'élargissement du délit d'outrage s’inscrit dans notre démarche de tolérance zéro face aux violences que subissent nos soignants, et correspond au message que nous martelons quant au respect dû aux professionnels de santé, puisque ceux qui vilipendent nos soignants libéraux pourront maintenant être poursuivis. »
Rompre l’isolement
Le deuxième axe du plan pour la sécurité des soignants vise à « prévenir les violences et sécuriser l’exercice des professionnels », notamment en améliorant la sécurité des bâtiments et en équipant les soignants d’outils pour réagir face aux violences. « Cela va de la conception des projets immobiliers à l’aménagement des espaces de consultation, en passant par l’équipement en caméras, en badgeuses, en boutons dissimulés sous le comptoir ou même en boutons portatifs, cachés sous les vêtements ou dans les poches, qui permettent d’avertir d’un incident. Que ces boutons discrets soient fixes ou portatifs, les Ordres et les Unions régionales des professions de santé (URPS) parviennent à négocier des réductions pour les achats, comme c’est le cas en Île-de-France, et le ministère travaille à financer ce type de dispositifs pour les professionnels les plus exposés, par exemple pour ceux qui réalisent des consultations à domicile. »
L’Observatoire national des violences en santé (ONVS), qui recueille les signalements de faits de violence dans les établissements depuis 2005 (y compris pour l'hospitalisation à domicile) et dans le secteur libéral depuis fin 2020, en a recensé 20 000 en 2022 dont 45 % chez les infirmiers. Pour les pharmaciens, le site de l’Ordre enregistre « quasiment une déclaration par jour », déplore sa présidente, Carine Wolf-Thal. Une problématique que n’ignore pas Agnès Firmin-Le Bodo : « En tant que pharmacien, j’ai porté plainte huit fois. »
Accompagner les victimes
Le 3e axe du plan de sécurité des soignants cible justement l’accompagnement des personnes victimes de violence dans la déclaration et dans leur suivi. En ville, le ministère compte sur l’exercice coordonné pour « rompre l’isolement de certaines victimes », ainsi que sur les référents sécurité des différents Ordres. « Nous allons intensifier le travail mené localement avec les parquets et les forces de sécurité intérieure, pour qu’ils dispensent des formations aux référents des Ordres, en immersion dans les tribunaux, les commissariats et les gendarmeries. Le but est de les sensibiliser aux enjeux de la procédure, de l’action pénale, etc. L’accompagnement peut prendre un aspect purement psychologique, mais aussi se faire sur le plan juridique. Ainsi, certains conseils départementaux des Ordres nouent des partenariats avec des avocats pour proposer un accompagnement immédiat des victimes », précise le ministère.
C’est pour embrasser toutes ces dimensions que le plan de sécurité des soignants, porté par le ministère de la Santé, a été conçu après un long travail qui a associé les ministères de l’Intérieur, de la Justice, et de la Transformation et de la Fonction publiques. Un travail qui aboutit aujourd’hui à une promesse : un soignant agressé = une condamnation à la clé.
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