Le Quotidien du pharmacien. - Vous évoquiez récemment une économie officinale plongée dans une dépression post-Covid. Comment pensez-vous sortir la pharmacie de ce syndrome ?
Philippe Besset. - Les chiffres du mois d'avril confirment malheureusement les tendances à la baisse que nous avions déjà observées en janvier, février et mars. Nous sommes désormais obligés d'étudier les moyens de rebondir après cette période Covid. Toutefois, le sujet est double. Nous devons tout d'abord convaincre les pouvoirs publics, les autorités de santé, que notre activité, qui dépend à 80 % de l'assurance-maladie, a besoin d'urgence d'une revalorisation tarifaire des actes de dispensation, c’est-à-dire tous les honoraires. Cette revalorisation doit être indexée à l'inflation.
Du jamais vu depuis l'institution des honoraires…
Oui, exactement, et je dirais même plus, c'est la première fois que nous demandons que les honoraires soient revalorisés. Cela ne s'est jamais fait. Quand ils ont été créés, ils l'ont été par un transfert de charge. On a procédé à un échange et on est tombé d'accord au milieu sur une revalorisation budgétaire. Ce qui est tout à fait différent et surtout ne se voit pas. Pour la première fois, la revalorisation va se voir et cette question est centrale pour nous.
Qu'en est-il des missions, l'un des autres piliers de la rémunération officinale ?
Les missions constituent en effet le deuxième axe sur lequel sur nous allons travailler avec l'assurance-maladie lors des négociations de l'automne. Le déploiement des missions a été quelque peu mis sous cloche pendant le Covid. Il convient de les réactiver car les missions, rappelons-le, participent au développement de l'activité de l'officine, que ce soit les bilans partagés de médication ou les vaccins, par exemple.
Faut-il s'attendre à voir de nouvelles missions émerger lors des prochaines négociations ?
Je pense qu'il faut en priorité s'attacher à mettre en œuvre les missions dont nous disposons déjà et à revaloriser l'acte de base. Nous disposons dans ce domaine d'un réservoir important puisqu'en raison de la crise sanitaire les budgets alloués à ces missions n'ont pu être utilisés. Mais attention, si je rechigne aujourd'hui à créer de nouvelles missions, c'est juste pour ces raisons. Les pharmaciens ne doivent surtout pas s'inquiéter sur les capacités d'inventivité de leur syndicat. Et sur l'usine à idées qu'est la FSPF. Nous en avons plein les tuyaux !
Vous soulignez à juste titre ce trésor dormant que sont les missions non mises en place par les pharmaciens. Comment accélérer leur application sur le terrain selon vous ?
Nous pouvons le faire au moyen de deux outils : l'informatique et la formation. En ce qui concerne le premier, nous avons de réels problèmes pour identifier les patients. Il nous manque l'outil informatique qui pourrait nous dire, dès que nous avons le patient devant nous, à quelles missions d'accompagnement – bilan ou entretien — il est éligible. Et sur ce terrain, les informaticiens sont vraiment mauvais. Les éditeurs de LGO n'ont pas compris le sens d'un tel instrument et les besoins qu'étaient les nôtres. Il faut dire, à leur décharge, qu'ils étaient très occupés ces derniers temps par le Ségur du numérique. Il n'empêche. Certaines start-up ont mis au point des systèmes performants, mais ils sont compliqués à utiliser car on ne peut les « plugger » aux LGO. Je veux un système prévoyant qu'un warning s'allume sur le LGO dès que le patient se présente. Il faut aussi avoir recours aux algorithmes en lien avec les bases de données Vidal ou Claude Bernard pour assister le pharmacien à son poste de travail.
Un support qui pourrait donc être précieux alors que le quotidien des pharmaciens est aujourd'hui centré sur les questions de pénuries de médicaments, voire de personnels.
Oui, cela permettrait aux pharmaciens de dégager du temps pour se poser un instant sur la vie de leurs patients, et aborder avec eux au cours d'entretiens, leur traitement, l'observance, les effets indésirables…
Cela suppose également que des relais existent au sein de l'équipe.
C'est là que pour moi intervient la formation, ce second outil que j'évoquais tout à l'heure. Elle est pour moi la clé. Si on enseigne aux jeunes l'accompagnement du patient, le bilan partagé de médication va devenir un élément nécessaire dans le cadre des stages. Les maîtres de stage vont devoir s'en emparer pour les mettre en œuvre avec les étudiants. Car les futurs confrères ont l'appétence et la volonté pour ces entretiens, que leurs aînés devraient aussi avoir. Si les titulaires ne les proposent pas aux étudiants de sixième année, ils risquent fort de ne pas attirer de stagiaires.
À l'heure où la pharmacie doit faire face à des tensions sur le marché du travail…
Je serais moins catégorique. La pénurie de personnels est moins flagrante que pendant le Covid. Il ne faut pas oublier que nous avons enregistré 10 % d'actes supplémentaires pendant cette période. Les difficultés semblent décroître depuis le pic de 2022.
Les évolutions du métier, je pense au logisticien de pharmacie actuellement expérimenté à Lyon, et bien sûr au DEUST*, pourront-elles aussi contribuer à résoudre ces problèmes de recrutement ?
Je fonde mes espoirs dans les évolutions du métier et je crois tout particulièrement à l'alternance et à l'apprentissage. En ce qui concerne le logisticien en pharmacie, ce nouveau métier pourrait se justifier par des tâches de rangement, de commandes ou de télétransmission auxquelles sont aujourd'hui occupés les préparateurs, voire dans certains cas les adjoints. Les préparateurs, avec un statut de professionnel de santé, vont pouvoir se consacrer à d'autres missions. Ils vont devenir des véritables techniciens de l'officine. Je suis ainsi très satisfait des premiers retours du DEUST sur Parcoursup. Les résultats qui seront publiés aujourd'hui le confirmeront mais j'ai déjà de très bons échos. En Martinique, par exemple, le CFA qui avait augmenté ses capacités d'accueil de 20 à 30 places a reçu 93 demandes ! Grâce à Parcoursup, les jeunes veulent s'orienter vers la pharmacie car, à nouveau, grâce au DEUST il est possible d'identifier les lycéens qui veulent « faire pharmacie ».
Ce qui n'est pas le cas avec les L.AS ou les PASS, comme vous l'aviez déjà souligné.
J’irais même plus loin en disant que si aucune réforme n’intervient sur les L.AS et les PASS pour donner de la visibilité à la filière pharmacie, le DEUST pourrait devenir la voie « normale » pour faire des études de pharmacie. Ainsi, le système ne sera pas bloqué. Ce qui est tout à fait paradoxal. Car le métier, initialement celui de préparateur mais au-delà celui de pharmacien − il sera en effet possible de poursuivre les étu-
des au-delà du DEUST −, devient visible grâce à ce nouveau diplôme. À l’inverse, à cause du PASS le métier de pharmacien est devenu invisible.
L'accès aux études est un prérequis à la relève à l'heure où de nombreux titulaires envisagent de prendre leur retraite. Comment analysez-vous la situation alors que plus de 1 000 places sont restées vacantes en deuxième année à la rentrée 2022-2023 ?
On risque en effet d'être confrontés à un problème à terme. Je vois trois solutions. Soit on réforme les PASS et les L.AS, et le dossier est dans les mains des ministères de la Santé et de l'Enseignement supérieur. Soit les jeunes vont se former à l'étranger. Soit, comme je l'ai évoqué, nous aurons une voie alternative sous la forme du DEUST.
La première matinée du congrès national des pharmaciens sera consacrée aux questions économiques. Pensez-vous être entendu par François Braun, ministre de la santé, et par Marguerite Cazeneuve, directrice déléguée à la gestion et à l'organisation des soins de la CNAM, qui seront vos invités ?
J'attends en effet beaucoup de leurs interventions et de ce qu'ils diront des enjeux que nous venons d'exposer. De manière plus large, je dirais que nous nous trouvons au cœur d'une réforme de notre système de santé. Sans loi Santé certes, mais avec en revanche deux propositions de loi, la PPL Rist et la PPL Valletoux. Je note que, dans chacun de ces textes, les pharmaciens sont recherchés. Cela fait écho à l'attachement que j'ai pour le système conventionnel avec l'assurance-maladie. Je pense qu'il est grand temps de renouer le dialogue, pour plus de démocratie, plus de proximité.
* DEUST préparateur technicien en pharmacie. ·
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