Le Quotidien du pharmacien.- À partir du 27 mai, les distributions de masques des stocks de l'État aux officines ne s’effectueront plus en flux poussés, mais en flux tirés. Quelles en seront les conséquences pour les grossistes-répartiteurs et pour les pharmaciens ?
Hubert Olivier.- j’ai pris connaissance de cet arbitrage il y a quelques jours sans que nous ayons été invités à y prendre part. Je comprends les attentes des pharmaciens, des professionnels de santé et des malades d’avoir accès aux masques avec des allocations selon leurs besoins. OCP sera aux côtés des pharmaciens pour assurer ces distributions, à la demande. Cependant, d’ici à début juin, nous aurons un certain nombre d’éléments à clarifier. Car j’alerte les uns et les autres que cette distribution soulève plus de sujets techniques qu’on ne peut l’imaginer.
De quelle nature ?
Si nous voulons que ça fonctionne, il va falloir que nous nous assurions de la robustesse des process, d’une traçabilité exemplaire et d’un réassort permanent pour éviter les ruptures. Ajoutons à cela une régularité dans les types de masques commandés car nous ne pouvons nous permettre des variations dans les références. Il va falloir identifier et stabiliser ces points, organiser le partage des données et fixer des quantités hebdomadaires maximales. Cela va représenter un coût réel et du temps humain considérables pour les grossistes-répartiteurs. J’ignore si le ministère de la Santé et la CNAM ont pris conscience de cet effort d’adaptabilité.
Ces surcoûts ne surviennent-ils pas au mauvais moment, alors même que les grossistes-répartiteurs, comme les pharmaciens, sont durement touchés par la baisse d’activité de l’officine ?
Nous traversons en effet une période particulièrement délicate. Mais je voudrais assurer que les grossistes-répartiteurs, et notamment OCP, seront au rendez-vous. Nous avons les capacités techniques d’assurer cette distribution en flux poussés, mais aussi parce que l’expérience récente a démontré que quand on veut faire de la répartition sans la répartition pharmaceutique, c’est le chaos. Pour autant, il apparaît désormais indispensable que les grossistes-répartiteurs, à l’instar des pharmaciens, soient rémunérés pour cette contribution. La CSRP (1) est en discussion à ce sujet avec le ministère de la Santé. J’espère qu’elle sera entendue.
Depuis le début de la crise, les grossistes-répartiteurs, tout comme les pharmaciens, font preuve en effet d’un engagement sans faille. Quel regard portez-vous sur les dernières semaines écoulées ?
La répartition est intervenue dans de nouveaux domaines aux services des patients pour gérer des urgences Je pense bien sûr à la distribution des masques issus des stocks de l’État, mais aussi au transfert des produits de sortie hospitalière, souvent des médicaments d’intérêts thérapeutiques majeurs. OCP s’est fortement investi pour parvenir à concrétiser un texte dérogatoire qui permette de s’appuyer sur la répartition pour faire le lien entre la PUI, l’officine et le patient.
Cette crise sanitaire nous a tous surpris. Comme d’autres acteurs, nous ne l’avons pas forcément vu venir. Je peux témoigner de la façon dont nos salariés se sont investis en quelques heures pour continuer à fonctionner. C’est dans notre ADN, nous savons que nous ne pouvons pas nous arrêter. Au cœur de nos préoccupations, il y avait la nécessité de prendre soin de nos salariés et de garantir la continuité du service aux pharmacies. Nous nous sommes appuyés sur un dialogue renforcé et constant avec les partenaires sociaux, à l’échelle nationale comme au niveau local.
Les mesures de précaution prises ont été efficaces car elles nous ont permis de fonctionner sans interruption tous les jours, en assurant un approvisionnement fiable, lors du pic d’activité qui a précédé le confinement, mais aussi lorsque l’activité s’est effondrée. Jamais les tiroirs des pharmacies n’ont été vides. On ne peut pas en dire autant des rayons des supermarchés !
C’est l’un des enseignements que nous devons tirer de cette crise. Nous ne devons pas avoir peur de valoriser nos forces collectives et la chaîne que nous constituons, nous grossistes-répartiteurs aux côtés des pharmaciens.
Quelle aide avez-vous apportée à vos clients pharmaciens touchés par la crise et comment entendez-vous les soutenir dans cette sortie du confinement ?
Nos conseillers en gestion ont accompagné et orienté nos clients pharmaciens qui connaissaient des difficultés financières. Parallèlement, nous avons ajusté notre politique d’approvisionnement auprès des laboratoires en augmentant les stocks, notamment en produits symptomatiques du Covid-19 et en médicaments d’intérêt thérapeutique majeur. Nous voulions protéger nos clients des aléas liés à la chaîne du médicament. Parallèlement, nous avons répondu aux besoins en nouveaux produits, en SHA par exemple, même si le niveau volumétrique ne fut pas satisfaisant, il devrait être atteint dans les semaines à venir. Nos trois groupements - Pharmactiv, Pharmacie Référence Groupe et Réseau Santé - ont mis à disposition de leurs adhérents tout un arsenal de protection spécifiques, en particulier un dispositif de plexiglas. Ils ont aussi développé l’usage du numérique et la livraison à domicile. Mais la grande étape, bien entendu, a été les masques.
Un sujet qui continue de passionner la France…
Tout à fait. Avant même d’avoir la certitude que les pharmaciens pourraient en distribuer, OCP s’est engagé dans un processus de commandes afin de pouvoir leur fournir 10 millions de masques entre la semaine dernière et le début du mois de juin. Notre appartenance à un groupe d’envergure internationale, Mc Kesson, a été un atout. Nous avons pu bénéficier de l’organisation au sein de notre groupe pour faciliter notre approvisionnement via d’autres pays européens.
Vous faites référence aux masques chirurgicaux, mais qu’en est-il de l’approvisionnement en masques grand public toujours en tension ?
C’est justement la deuxième composante de notre démarche. Nous pensons que les masques grand public représentent une grande opportunité pour l’officine. Nous avons beaucoup réfléchi pour bâtir notre stratégie en prenant en compte les besoins des Français à l’aube d’une période estivale teintée de nouveaux réflexes et de nouvelles habitudes. Cela nous a conduits à conclure un partenariat avec la Lainière Santé, filiale du groupe Chargeurs, pour proposer une gamme unique de masques en textile de haute technicité permettant à la fois protection, respirabilité et confort. Cette gamme de produits dotés de quatre références de catégorie 1 comprend trois coefficients de filtration 90 %, 95 % et 99 %, les propriétés de filtration atteignent celles des masques de type sanitaire pour les plus hautes filtrations. Cette offre spécifique, disponible à partir de fin mai, permettra aux pharmaciens d’apporter leur conseil pour un produit qui trouvera sa place en officine de manière toute légitime. Lainière Santé a bien compris les besoins des Français ; être protégés, protéger les autres, en portant un masque facile à supporter, qu’on oublie presque. Ils sont parvenus à fabriquer une véritable nouveauté qui se distingue de tout ce que nous pouvons trouver en ce moment, et pas uniquement en pharmacie. La valeur d’usage est tout à fait compétitive puisque pour 21 utilisations, on se situe, selon le niveau de protection à un coût d’usage estimé entre 30 et 50 centimes (2), bien inférieur à celui des masques chirurgicaux !
Vous innovez donc en installant une nouvelle offre et ce alors même que la répartition connaît des difficultés accrues…
La CSRP a lancé un cri d’alarme fin avril à destination des ministères de la Santé et de l’Économie. Je suis inquiet, je ne sais pas comment notre secteur va se réinventer et réagir. Nos calculs sont simples et effrayants à la fois. Avant même la crise Covid, la répartition aurait cumulé 83 millions d’euros de pertes pour l’année 2020. Avec la crise, elle a encaissé une baisse de 15 % du chiffre d’affaires et de 20 % des volumes, et parfois même dans certaines zones comme l’Ile-de-France, une chute de l'activité de 30 % en moyenne. En intégrant les conséquences de la crise actuelle sur une durée de 3 mois, la profession subirait des pertes de 100 millions d’euros en 2020. La situation est donc dramatique.
Les grossistes-répartiteurs sont touchés de plein fouet. Des mesures d’urgence s’imposent afin que nous retrouvions de la marge pour sécuriser nos investissements. Je fais confiance au gouvernement mais je suis prudent et vigilant. Nous sommes en pourparlers pour bénéficier d’allégements fiscaux qui nous semblent légitimes. Dans cette crise sanitaire, la répartition est sortie de l’ombre. Elle est forte dans son efficacité et son organisation, mais fragile au niveau économique. Le ministère de l’Économie et des Finances et le ministère de la Santé ne peuvent plus l’ignorer.
Cette démarche ne saurait faire oublier la nécessité d’une réforme structurelle de la rémunération de la répartition pharmaceutique. Où en est ce dossier ?
Il y a aujourd’hui une véritable opportunité pour les pouvoirs publics de se saisir à nouveau du sujet. Après trois années de rendez-vous ratés autour d’une nouvelle marge structurante et deux engagements non tenus depuis deux ans par le gouvernement, ce dernier s’était montré ouvert fin décembre 2019 et avait réuni un groupe de travail interministériel avant le confinement. Il n’y a désormais plus d’échappatoire possible.
Comment envisagez-vous l’après-crise pour le marché officinal ?
Il est difficile de visualiser aujourd’hui l’ampleur de la crise. Avec un recul de 7 ou 8 % du PIB c’est un tsunami économique et social qui s’annonce. Je n’exclus pas qu’il faille des mois et même des trimestres pour revenir au niveau de février. On peut penser que les Français vont à nouveau consulter leur médecin, que le suivi des patients chroniques va reprendre. Mais la reprise de l’OTC et de la parapharmacie dépendra du pouvoir d’achat des Français. Nous serons attentifs à l’équilibre économique de nos clients pharmaciens qui continueront d’être confrontés à un niveau d’activité potentiellement perturbé.
1) Chambre syndicale de la répartition pharmaceutique.
2) Prix public TTC conseillé entre 5,60 et 10,50 euros, selon les coefficients de filtration.
3) Projet de loi de financement de la Sécurité sociale.
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