Comme pour d’autres missions et services de l’officine, il y aura eu un avant et un après. La téléconsultation a bénéficié de la pandémie pour s’installer dans la vie des Français. Le nombre de patients en téléconsultation a augmenté de 16 % entre 2022 et 2023, selon la quatrième étude Mediaviz. À tel point qu’un retour en arrière est aujourd’hui inenvisageable. Les pouvoirs publics eux-mêmes incitent à l’implantation de ces cabines. Le 6 mars, la Haute Autorité de santé (HAS) a ainsi recommandé d’en installer en priorité à proximité des lieux de soins dans lesquels exerce un professionnel de santé, notamment les pharmacies. Tandis qu’un décret du 1er mars, appliquant des dispositions figurant à la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2023, a mis de l’ordre dans ce marché.
En soumettant les plateformes de téléconsultation telles que Livi, Medadom ou Qare, pour ne citer que les plus importantes, à un agrément, le gouvernement les fait entrer de plain-pied dans le système de soins. Elles seront rémunérées directement par l’assurance-maladie pour chaque téléconsultation. Et pourront par conséquent salarier les médecins qu’elles emploient. En retour, ces plateformes, qui jusqu’alors devaient utiliser un centre de santé comme intermédiaire avec les organismes payeurs, seront contraintes d’appliquer un tarif équivalent à celui d’une consultation physique. Voire, si celle-ci venait à être revalorisée à 30 euros, la téléconsultation pourrait rester à 25 euros. Une restriction qui aurait pour vertus de répondre aux réticences de l’assurance-maladie et ne pas ajouter au courroux des médecins libéraux globalement opposés à cette concurrence qu’ils soupçonnent d’être le cheval de Troie de la financiarisation en santé.
Le décret du 1er mars entérine par ailleurs l'obligation pour les médecins de ne pas consacrer plus de 20 % de leur temps à la téléconsultation.
Les pharmacies vont-elles bénéficier de cette structuration du marché de la téléconsultation ? Cette réorganisation anticipe en tout état de cause un déploiement de la téléconsultation en officine. 22 % des pharmaciens (1) la proposent aujourd’hui et 1 209 officines se sont équipées de cabines de téléconsultation, en 2023. Ce développement acte l’ancrage de l’officine comme porte d’entrée du parcours de soins des Français.
Des vitrines digitales
Une nouvelle fois, cependant, les pharmaciens se heurtent au même dilemme : comment faire connaître ce service dans leur territoire ? Contraints dans leur communication et en l’absence d’un nouveau code de déontologie, les officinaux se retrouvent dans une position paradoxale : ils disposent du savoir-faire mais ne peuvent guère le faire savoir en dehors des murs de leur officine. Dans ces conditions, l’« aller vers », tant prôné par les pouvoirs publics pour certaines missions, ne peut se contenter que d’un recrutement assidu au comptoir.
Le décret du 1er mars interdit aux médecins de consacrer plus de 20 % de leur temps à la téléconsultation
Afin d’informer plus largement sur leur offre de téléconsultation comme pour la vaccination, les entretiens, les dépistages et désormais la prise en charge de la cystite et de l’angine, les officines se voient obligées de recourir à des outils numériques. Mais alors que les sites Internet, y compris ceux mis en place par les groupements, supposent que l’officine – ou tout au moins l’enseigne - soit connue du public cible, des prestataires généralistes ont créé ce maillon manquant entre une population élargie et l’offre des pharmaciens en services et missions.
Se déclarant « vitrines digitales » de la pharmacie physique, quelques plateformes de prise de rendez-vous médicaux ont en effet élargi leurs offres aux pharmacies. Maiia et Doctolib sont de celles-là. Vaccination contre le Covid aidant, la pandémie a consacré leur usage. Et leur développement. Il a suffi de quelques clics pour que missions et services en officine deviennent visibles à l’ensemble de la population.
Services ou opportunismes ?
Aujourd’hui, le patient peut prendre rendez-vous avec son pharmacien pour une téléconsultation, un bilan de médication, une injection contre la grippe ou le Covid mais aussi pour se conformer à une échéance du calendrier vaccinal. Il peut aussi s’inscrire sur l’agenda de la pharmacie de son choix pour un dépistage, un entretien pharmaceutique… Au fur et à mesure que l’offre des pharmaciens s’étoffe, les fonctionnalités de ces plateformes s’étendent. Avec parfois quelque opportunisme qui ne met pas à l’abri d’excès (voir ci-dessous). 700 pharmaciens disposent aujourd’hui d’un compte sur Maiia (Cegedim Santé) (2). 1 800 sur Doctolib. Cette plateforme annonce par ailleurs 3 000 pharmacies utilisatrices, le partage d’ordonnances étant gratuit. La fonctionnalité la plus courante est l’agenda, 150 000 rendez-vous étant ainsi pris chaque mois en officine via le site Doctolib. Au gré de l’apparition de nouvelles missions officinales, celui-ci a adjoint d’autres onglets à sa page Internet. Alors que la messagerie professionnelle permet depuis quelque temps aux pharmaciens de dialoguer avec d’autres professionnels de santé, y compris en cas de ruptures de stocks pour connaître la disponibilité d’un produit chez un confrère, une messagerie patients vient de s’ouvrir début mars. Mars bleu ou autre campagne de dépistage ou de vaccination sera l’occasion pour l’officine d’informer de l’opération les patients déjà inscrits sur sa base de données Doctolib. Il est dans ce cas possible de les sélectionner selon certains critères liés à l’âge ou au sexe.
Des fonctionnalités qui, pour séduisantes qu’elles paraissent, ne manquent pas d’interroger. Sur l’accès à certaines données, sur le respect de quelques règles, comme la non-sollicitation de clientèle… (voir page 5). Ou encore sur l’opportunité de confier à des acteurs commerciaux des tâches qui relèveraient d’une démarche intrinsèque à l’officine. Sous réserve que le nouveau code de déontologie lui laisse les coudées franches pour communiquer sur ses missions et services.
(1) GERS Data janvier 2024
(2) Maiia propose aux pharmaciens, outre une offre agenda avec prise de rendez-vous et rappel par SMS, une messagerie sécurisée en santé et l’accès à la base de données Claude Bernard.
« Et demain un abonnement Doctolib pour chaque mot-clé ? »
Titulaire à Cléon-d’Andran (Drôme), Sébastien Roubinet affirme avoir été le premier pharmacien de France à prendre un compte Doctolib en 2018 sur lequel il pouvait rendre visibles les différentes missions qu’il offrait à sa patientèle : différents entretiens pharmaceutiques, la vaccination et, depuis fin 2021, la téléconsultation.
Quelle ne fut pas sa surprise – et son amertume — il y a trois semaines lorsqu’il s’aperçut que sa facture avait doublé. Et pour cause. L’officinal a constaté qu’il disposait de deux comptes. « Il n’était pas du tout prévu à mon contrat que je sois obligé de détenir un deuxième compte ! », s’insurge-t-il. « Et demain, devrai-je en avoir un troisième parce que je ferai de la délivrance protocolisée pour l’angine ? Ou encore si j’applique le protocole OSyS de prise en charge des soins de premier recours, devrais-je détenir un abonnement pour chaque mot-clé qui apparaîtra sur Doctolib ? »
Celui qui est aussi président du syndicat des pharmaciens du département (FSPF) s’interroge sur l’éthique d’une telle démarche. Cela ne revient-il pas à créer des disparités entre les officines qui paieront pour cette visibilité supplémentaire et celles qui ne pourront pas s’offrir le package à 2 556 euros par an (soit 89 euros par mois l’abonnement agenda et 124 euros par mois l’abonnement téléconsultation)* ? Sans compter que cette pratique fait émerger, selon lui, une problématique déontologique : « Si je payais pour être référencé sur Google, je serais sanctionné par l’Ordre. »
L’officinal demande à Doctolib une uniformité – c’est-à-dire la gratuité de la téléconsultation - pour tous les pharmaciens abonnés à Doctolib. Les gestionnaires de la plateforme ne l’entendent pas de cette oreille. « Nous avons constaté début septembre 2023 qu’environ 800 pharmacies équipées d’un dispositif de téléconsultation assistée, avaient une configuration de leur agenda avec une spécialité en “Médecin généraliste”. Cela représentait environ 25 % de nos utilisateurs pharmaciens, qui ont tous été régularisés depuis », ont-ils expliqué, répondant à une sollicitation du « Quotidien du pharmacien ».
Concrètement, une pharmacie qui proposait la téléconsultation assistée remontait dans la recherche du patient avant un cabinet de médecin généraliste physique. « Cela était susceptible d'entraîner une confusion pour le patient entre une consultation de médecine générale physique et une téléconsultation assistée en pharmacie, que nous avons souhaité clarifier, dans l’intérêt de l’information des patients », justifie Doctolib qui a, par conséquent, créé une nouvelle offre pour « Téléconsultation assistée » pour les pharmaciens afin d’offrir aux patients une meilleure lisibilité de l’offre de soins. Et une distinction entre les rendez-vous qui relèvent de l’exercice du pharmacien (comme une vaccination par exemple) et l’accès à une téléconsultation de médecine générale assistée en pharmacie. À ce titre Doctolib est formel : il n’y aura pas d’agenda supplémentaire pour l’angine et la cystite « car elles s’inscrivent bien dans le cadre de l’activité de pharmacien ».
Une erreur de paramétrage de la part de Doctolib, commentent les pharmaciens concernés qui refusent d’en faire les frais. Ils s’en inquiètent d’autant plus que Doctolib est en position dominante pour la prise de rendez-vous en pharmacie auprès du grand public.
*Maiia, concurrent de Doctolib, propose un abonnement unique à 99 euros/mois
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