Vente en ligne

Vente de médicaments par des plateformes : jusqu’où ira le gouvernement ?

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Publié le 07/03/2024
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Autorisé par un jugement de la Cour de justice de l’Union européenne du 29 février 2024 à statuer sur la vente de médicaments OTC via des plateformes, le gouvernement français se contentera-t-il de considérer que la vente de médicaments non soumis à prescription médicale à partir des sites d’officines des pharmacies ayant souscrit à ce service, relève de la notion de” service de la société de l’information” ? Ou maintiendra-t-il sa volonté de déréguler le secteur, comme l’a récemment annoncé le Premier ministre ? Dans cette seconde éventualité, les représentants de la profession promettent une mobilisation massive des pharmaciens.

La profession réfléchit à une solution alternativepour mettre en relation le pharmacien et le patient sans passer par une plateforme numérique.

La profession réfléchit à une solution alternativepour mettre en relation le pharmacien et le patient sans passer par une plateforme numérique.
Crédit photo :  VOISIN/PHANIE

« Un beau jour pour la pharmacie française ! » C’est ainsi que Laurent Filoche, président de l’Union des groupements de pharmacies d’officine (UDGPO), conclut les huit longues années de procédure contre Doc Morris, le géant européen de la vente en ligne. Dans un arrêt en date du 29 février 2024, suivant les conclusions de l’avocat général, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) déclare que les États membres sont habilités à statuer eux-mêmes sur la vente de médicaments OTC via des plateformes Internet.

Une victoire à la Pyrrhus

Par conséquent, les États membres sont autorisés à interdire les plateformes qui vendent des médicaments sans prescription. Le président de l’UDGPO se félicite de la clarté de ces conclusions : « Les États membres peuvent, sur le fondement de cette disposition, interdire la fourniture d’un service consistant à mettre en relation, au moyen d’un site Internet, des pharmaciens et des clients pour la vente, à partir des sites d’officines des pharmacies ayant souscrit à ce service, de médicaments non soumis à prescription médicale, s’il s’avère, compte tenu des caractéristiques dudit service, que le prestataire du même service procède lui-même à la vente de tels médicaments sans y être autorisé ou habilité par la législation de l’État membre sur le territoire duquel il est établi. »

En revanche, précise le même arrêt, « un service fourni sur un site Internet consistant à mettre en relation des pharmaciens et des clients pour la vente, à partir des sites d’officines des pharmacies ayant souscrit à ce service, de médicaments non soumis à prescription médicale relève de la notion de” service de la société de l’information” ».

Alain Grollaud, président de Federgy (chambre syndicale des groupements et enseignes de pharmacie), met en garde « contre une victoire à la Pyrrhus ». Il revient, selon lui, à la profession de réfléchir à une solution alternative « pour mettre en relation le pharmacien et le patient sans passer par une plateforme numérique. Nous devons répondre à un besoin sociétal par la délivrance de produits au patient, à domicile, à partir du stock du pharmacien ». Le président de Federgy affirme que les groupements détiennent « un système quasiment prêt ». Il en a d’ailleurs fait part au Premier ministre ainsi qu’au député Marc Ferracci à l’origine d’un projet de loi sur la dérégulation du marché, qu’il a récemment rencontrés.

Une loi « Macron 2 »

Mais la profession ne se réjouit-elle pas trop tôt de la décision des juges européens ? Car, ce sont précisément les desseins de ce parlementaire qui inquiètent les représentants de la profession. D’autant que ceux-ci s’inscrivent dans un contexte politique remettant au goût du jour une certaine dérégulation du marché. Le Premier ministre, Gabriel Attal, n’a-t-il pas déclaré le 30 janvier dans son discours de politique générale, devant l’Assemblée nationale, vouloir « déverrouiller notre économie, conquérir de nouvelles libertés et refuser le principe de rente ». Et d’annoncer « un projet de loi au printemps pour déverrouiller certaines professions (…) comme la vente en ligne de médicaments par les pharmacies ». Le locataire de Matignon ne fait que remettre au goût du jour une libéralisation déjà envisagée par Emmanuel Macron alors ministre de l’Économie, il y a une dizaine d’années.

Et comme à l’époque, cette perspective suscite une levée de boucliers dans les rangs des pharmaciens. « On sait que des députés ont la volonté de faire une "loi Macron 2", dont Marc Ferracci, qui envisageait de faire un rapport sur le sujet, Ensuite, il y a eu le discours de Gabriel Attal, qui a parlé de la vente en ligne des médicaments et de l’idée d’aller vers un système de plateformes au bénéfice des pharmaciens. Dernièrement, nous avons eu connaissance de la volonté de la Direction générale des entreprises à Bercy d'étudier des voies de simplification, voire de dérégulation, concernant la vente du médicament en dehors des officines et la libéralisation du capital des pharmacies, ce qui entraînerait donc la perte d'indépendance du pharmacien », récapitule Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF).

Le spectre d’une libéralisation du capital des officines, via le modèle de financiarisation qui s’est attaqué à la biologie médicale ou encore aux cliniques vétérinaires, plane depuis quelque temps sur le réseau officinal. « Si une telle décision était prise par le gouvernement -la libéralisation du capital des officines- ce serait le dernier clou porté dans le cercueil de la ruralité », affirme Philippe Besset. Une perspective qu’il rejette résolument. « Cela ne se fera pas tant que notre équipe sera à la tête de la FSPF. » Il met par ailleurs en doute le fait que ce modèle rejoigne « la volonté du président de la République ou celle des parlementaires ». Le sujet de l'accès aux soins en proximité, et de la ruralité, reste selon lui majeur dans l'esprit des Français. « Il n'est pas question que quelques va-t-en-guerre de Bercy prennent le pouvoir sur ce sujet. »

Il ne s’agit pour l’heure que de conjectures. « Concrètement, il n'y a rien sur la table du gouvernement sur ce thème-là aujourd'hui », tient à préciser le président de la FSPF. Mais il ne relâche pas sa vigilance pour autant. « En revanche, il y a clairement des volontés de certains acteurs d'aller dans ce sens. Si jamais nos arguments ne sont pas suffisants et que le gouvernement n'arbitre pas dans notre sens alors il nous trouvera contre lui.  »

La profession prête à se mobiliser

Ces risques de libéralisation et/ou de dérégulation sur la pharmacie sont évoqués alors même que les négociations conventionnelles portant sur l’avenant économique à la convention pharmaceutique entrent dans leur phase décisive. Ils s’ajoutent, aussi, aux difficultés auxquelles la profession est déjà confrontée aujourd’hui, entre pénuries de médicaments, manque d’attractivité de la filière et autre, lourdeurs administratives… L’Union des syndicats des pharmaciens d’officine (USPO) a récemment interrogé les pharmaciens sur leur volonté de se mobiliser dans les prochaines semaines pour défendre les intérêts du métier. L’immense majorité des officinaux (près de 90 % sur plus de 4 200 répondants) se dit « favorable à une mobilisation en trois étapes : pétition auprès des patients, grève des gardes puis fermeture de la pharmacie », souligne l’USPO. Très attentif depuis plusieurs semaines aux envies de dérégulation affichées par certains élus de la majorité, le syndicat prévient : « Les pharmaciens ne se laisseront pas faire ! Cette mobilisation est essentielle pour obtenir le retrait du rapport Ferracci sur la libéralisation de la vente en ligne des médicaments et la dérégulation de la profession mais également pour obtenir une réforme économique ambitieuse pour la profession. Les enjeux sont immenses. De l’engagement de la profession, dépendra l’avenir de la pharmacie et de l’accès aux soins des patients sur les territoires », prédit l’USPO.

Marie Bonte et Pascal Marie

Source : Le Quotidien du Pharmacien