Indépendance. Le mot est sur toutes les lèvres officinales. Dans la tête de chaque pharmacien, qu’il soit jeune ou installé depuis longtemps. C’est un credo ; une doctrine pour la profession. Un dogme inattaquable, comme l’a appris à ses dépens un syndicat - considéré comme représentatif jusqu’aux dernières élections aux URPS - lorsqu’il a voulu remettre cette indépendance en cause via l’ouverture du capital.
Derrière cette uniformité de façade, se dissimulent pourtant bien des situations à mêmes de remettre en cause l’indépendance du réseau, et auxquelles ne songent pas forcément les (futurs) titulaires lorsqu’ils franchissent le pas de l’installation. Des situations synonymes de prisons financières dont il est particulièrement difficile de s’échapper lorsque la nasse s’est refermée.
Pieds et poings liés
Car « le nerf de la guerre reste l’argent, explique Gérard Blanc, directeur des relations apporteurs chez Interfimo. Les pharmaciens en mal d’installation n’ont pas forcément conscience d’aliéner leur liberté lorsqu’ils contractent certains emprunts. Le degré d’indépendance conservé différera pourtant fortement selon les financeurs que le pharmacien aura face à lui ; voire en fonction de la nature des prêteurs. D’où l‘intérêt de bien choisir ses partenaires, dès le départ. Et donc de regarder à la loupe les clauses des contrats afin d’éviter les pièges, et en particulier celui des obligations convertibles ».
D’autant que « le droit commun n’interdit aucunement, dans une profession réglementée, de recourir à des obligations, dont une éventuelle prime de non-conversion permettrait à son détenteur d’obtenir une compensation financière en cas de non-conversion », explique Serge Juliani, conseiller financier. Avec à la clé, pour le pharmacien, le risque de se retrouver pieds et poings liés. Une situation intolérable qui nécessite une évolution des textes pour sortir de l’opacité et préserver l’indépendance des pharmaciens.
En attendant, il apparaît indispensable de se montrer prudent et donc curieux. « Une saine curiosité dont ne font pas toujours preuve les candidats à l’installation, plus enclins à trouver un financement qu’à éplucher les alinéas d’un contrat de prêt souvent acquis de haute lutte et au terme d’âpres négociations », déplore Serge Juliani. Mais le contexte n’explique pas tout, puisque « les syndicats et l’Ordre sont rarement très curieux », ajoute le président fondateur de l’association de défense de l’indépendance des pharmacies (ADIP) Patrick Freva.
Destruction de la valeur
Confronté à l’installation d’un pseudo-supermarché de la santé, en plein cœur de Paris, à deux pas de l’École militaire, ce quinqua qui revendique sa « non-appartenance à quelque groupement que ce soit », se souvient encore des difficultés rencontrées pour que les instances représentatives prennent enfin conscience du danger de laisser deux officines fusionner et transférer dans une surface laissée vacante par une marque espagnole de vêtement. Rien d’étonnant en soi puisqu’à l’instar de nombre de grandes villes françaises Paris compte un nombre pléthorique d’officines. « Il a fallu que je leur mette les points sur les i pour qu’ils envisagent les dégâts collatéraux que pourrait occasionner une officine de 1 000 m2 en plein 7e arrondissement parisien. » En clair, que la location d’une telle surface coûterait environ un million d’euros par an et nécessiterait de réaliser environ vingt millions de chiffre d’affaires. Avec à la clé, un impact économique considérable pour la dizaine d’officines, aujourd’hui installées dans le quartier. La raison ? « L’arrivée de ce nouvel acteur, désireux de privilégier les volumes, l’incitera à détruire la valeur de l’acte officinal », ajoute Patrick Freva.
Pas question non plus, pour les pharmaciens, d’espérer compter sur le soutien des pouvoirs publics. Si les syndicats et l’Ordre se sont finalement rendus à l’évidence et ont donné un avis défavorable au transfert, il n’en a rien été de l’agence régionale de santé (ARS). « Considérant que cette ouverture n’aurait aucun impact pour la population, l’ARS a en effet donné son accord au transfert des deux officines parisiennes », explique encore Patrick Fevra.
Favoriser l’installation des jeunes
Pour éviter que ce genre de situation ne se reproduise, la profession aurait tout intérêt à s’organiser. Comment ? « En finançant elle-même d’éventuelles installations et autres transferts », explique Serge Carrier, directeur général de Pharmactiv. Pour éviter aux requins de la finance de s’intéresser à un secteur où le retour sur investissement se révèle encore très intéressant, « les officinaux devraient aider les (jeunes) confrères désireux de s’installer », suggère Dominique Brasseur, cofondateur du groupe Ma Pharmacie Référence. Un bon moyen d’éviter que les fonds d’investissement n’interviennent insidieusement par le biais d’obligations qui permettent d’accéder au capital lorsqu’elles sont convertibles.
Un défi que deux groupements – Pharmactiv et Ma Pharmacie Référence – ont décidé de relever en se rapprochant d’Interfimo. « Conscients que les pharmaciens ne doivent pas s’engager dans des schémas financiers et juridiques de plus en plus complexes et dangereux, nous avons réfléchi à des solutions pour favoriser l’installation des jeunes », indique Serge Carrier.
Pour éviter que les futurs titulaires ne cèdent aux sirènes des « capital-risqueurs », le banquier des professions libérales a ainsi imaginé proposer un prêt personnel, à hauteur de 150 000 euros, que les groupes Ma Pharmacie Référence ou Pharmactiv auraient cautionné. À charge aux candidats d’être adhérent de l’un de ces groupements. « Sans risque pour le souscripteur de perdre son indépendance, ce prêt est en outre proposé à un taux cohérent par rapport au marché afin que le pharmacien ne soit pas confronté au mur de la dette », précise Dominique Brasseur. C’est dans cette même logique que le groupement a développé un « fond booster » destiné à prêter 50 000 € supplémentaires aux futurs titulaires. La contrepartie ? S’aligner sur la politique d’achat du groupement et « référencer les essentiels que sont le grossiste répartiteur et le génériqueur choisis par le groupe », ajoute-t-il. Un coup de pouce de trésorerie qui permettra aux candidats de « résister aux désirs hégémoniques de certains groupes dont la progression des volumes est l’unique objectif », avec à la clé des prix cassés et la mort des pharmacies indépendantes.
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