Le Quotidien du pharmacien.- La réforme de la rémunération des pharmaciens, prévue à l’avenant 11 de la convention pharmaceutique a-t-elle selon vous fonctionné ?
Nicolas Revel.- Je réponds clairement oui pour la première année, c’est-à-dire 2018, et les chiffres dont nous disposons pour la deuxième année de mise en œuvre semblent également le confirmer : la réforme apparaît même plus favorable à l’économie officinale que ce que nous avions prévu.
Est-il possible de chiffrer ce gain pour l’officine ?
Il est encore trop tôt. Les chiffres ne sont pas encore consolidés. Dès qu’ils le seront, sans doute d’ici à quelques semaines, nous les partagerons avec les partenaires conventionnels. Mais d’ores et déjà, je peux annoncer que la réforme a bien répondu à sa finalité première qui était de stabiliser l’économie officinale en la désensibilisant des effets des baisses de prix du médicament, grâce notamment à un soutien financier inédit de l’assurance-maladie à travers les nouveaux honoraires de dispensation. Nous sommes au rendez-vous, et même au-delà car le gain global est supérieur à ce que nous attendions.
Pour 2018, l’évolution de l’arrêté de marge devait permettre d’augmenter la rémunération des officines de 70 millions d’euros. Il apparaît que ce gain sera en réalité plus près de 90 millions d’euros. Cela conduit à ce que l’économie officinale a terminé l’année 2018 dans le vert pour ce qui concerne les rémunérations liées aux médicaments pris en charge et aux missions financées par les ROSP (environ 6,6 milliards d’euros), avec une progression de 20 à 30 millions par rapport à 2017 qui, rappelons-le, avait été une mauvaise année. Il y a donc bien un avant/après avenant 11.
Et pour 2019 ?
Pour cette année, la réforme prévoit de réduire de 750 millions d’euros la marge officinale et d’y substituer 820 millions d’euros d’honoraires de dispensation, soit un nouveau gain différentiel de 70 millions d’euros pour les officines. Il est encore tôt pour le dire, mais, là aussi, on observe déjà sur les premiers mois de l’année 2019 que le gain net prévu sera supérieur à ce que nous avions anticipé. Nous verrons de combien en cours d’année mais je pense que nous devrions être au moins à un gain net de 120 millions d’euros.
Comprenez-vous dans ce contexte que la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France déclare vouloir déclencher la clause de revoyure ?
L’accord conventionnel prévoit deux clauses qu’il ne faut pas confondre. Il y a d’abord une clause individuelle qui peut être déclenchée chaque année pour toute pharmacie qui, à périmètre égal, serait perdante du fait de l’introduction des honoraires et de la réduction de la marge. Si la perte excède 350 euros, on compense. Nous appliquerons la clause dès la première année de mise en œuvre de la réforme pour les officines concernées.
La seconde clause de revoyure est collective et porte sur l’évolution globale de l’économie officinale. Elle est prévue en 2021 car il faut laisser le temps à l’accord de produire ses effets. Elle se déclencherait alors si la rémunération officinale liée à l’assurance-maladie devait baisser de plus de 1 %, en évolution cumulée par rapport à 2016. Non seulement l’accord ne prévoit pas que cette clause se déclenche avant 2021 mais rien ne dit que cela se produira quand nous serons arrivés à cette échéance.
L’honoraire à la boîte à 1 euro sera-t-il reconductible en 2020 ou est-il appelé à être renégocié, comme le demande certains ?
Non, nous n’avons pas prévu d’ouvrir le sujet à ce stade. Ce ne pourrait être le cas que si le bilan 2019 de la réforme faisait apparaître des déséquilibres trop importants par rapport au schéma cible.
Toujours dans le registre de la rémunération, nombre de pharmaciens dénoncent la baisse de la ROSP générique, la FSPF refuse même de signer l’avenant. Vous en étonnez-vous ?
À vrai dire non. L’avenant 11 prévoyait déjà un ajustement de la ROSP générique de 40 millions d’euros sur deux ans. Dès lors que la FSPF n’a pas signé l’avenant 11, il est cohérent qu’elle ne signe pas non plus les textes liés à sa mise en œuvre. Il est vrai cependant que j’ai proposé un ajustement un peu plus fort que prévu de la ROSP générique pour 2019. Pour deux raisons principales : d’abord, il y a eu une erreur de calibrage sur la ROSP 2017 payée en 2018. Nous n’avions pas bien pris en compte l’arrivée très rapide de 3 produits génériques sur la rosuvastatine. Par conséquent, ce sont 60 % de l’économie sur cette molécule qui ont été redistribués au réseau alors que nous sommes habituellement autour de 15 %. Le rendement de la ROSP a donc été artificiellement augmenté d’une vingtaine de millions d’euros.
Mais surtout, les éléments que je vous ai indiqués sur le bilan des deux premières années de la réforme indiquent que le coût pour l’assurance-maladie de l’avenant 11 sera bien plus élevé que prévu. Ce petit ajustement sur la ROSP était nécessaire et n’empêchera pas que le bilan global soit largement positif pour les officines, et je le redis, plus favorable encore que prévu.
Dans ces conditions, la ROSP constitue-t-elle encore pour l’assurance-maladie un outil de pilotage ?
Il est clair que si la ROSP générique avait vocation à se réduire, elle demeure un dispositif que nous voulons conserver. Elle a produit de bons résultats. Elle a fait bouger les lignes. Et même si elle est arrivée aujourd’hui à maturité, ce dispositif doit être maintenu dans la durée.
Mais je veux insister encore sur un point : quand nous investissons beaucoup sur les nouveaux honoraires et réduisons un peu la ROSP, l’assurance-maladie ne reprend pas d’une main ce qu’elle a versé de l’autre. Au global, il y a bien un gain net pour les pharmaciens et plus encore si on ajoute les nouvelles missions telles que le bilan partagé de médication, l’ouverture du DMP ou la télémédecine, sans parler de la revalorisation des gardes. Et demain d’autres missions encore, comme l’accompagnement des patients traités par chimiothérapie orale.
En ce qui concerne le paiement des ROSP, les pharmaciens dénoncent des délais trop longs. Comptez-vous remédier à cela ?
Je sais que c’est un problème pour les pharmaciens mais il faut se souvenir que nous sommes sur un dispositif de suivi au long cours des patients dont nous devons nous assurer qu’il produit des résultats en termes d’observance dans la durée. Par conséquent, on ne peut pas payer l’accompagnement au fil de l’eau car il s’inscrit dans un calendrier. Pour autant, nous avons amélioré les choses depuis l’avenant 11. Avant cette année, le paiement des entretiens AVK s’effectuait à l’automne de l’année suivante. Nous les avons réglés cette année au mois de mars. C’est la même chose que pour les médecins dont la ROSP et le forfait structure sont versées au printemps.
Toujours dans le registre technique, les pharmaciens regrettent que les modalités de déclaration des bilans partagés de médication se heurtent à des dysfonctionnements. L’USPO de son côté propose un paiement immédiat et une suppression de la limite d’âge du patient. Qu’en pensez-vous ?
Je le reconnais, la première version de l’interface des déclarations sur Ameli pro était en effet perfectible. Nous avons livré une V2 en début d’année qui a donné lieu à de bons retours. Aucun problème ne m’a plus été signalé. En ce qui concerne les demandes de l’USPO, je les découvre, elles ne vont pas de soi mais nous en discuterons. Sincèrement, je ne crois pas que le faible nombre d’officines engagées dans le bilan de médication tienne à la question de l’âge ou à la date de paiement. Nous sommes déjà face à un potentiel de 4 millions de patients de plus de 65 ans. Je pense réellement que la question de l’adhésion des pharmaciens à ce dispositif ne se réglera pas en réduisant l’âge alors même que la grande majorité des patients polymédiqués sont bien les plus de 65 ans.
Je souhaite vraiment que la profession s’engage plus largement dans ces nouvelles missions et que le bilan de médication se développe. Il s’agit d’un champ d’intervention très important dans la lutte pour l’observance et contre l’iatrogénie. Je n’ai pas de doute que les jeunes pharmaciens partagent cette vision du métier et qu’il s’agisse d’ailleurs pour demain d’un facteur d’attractivité pour la profession.
Certains dispositifs comme la PDA ou les entretiens asthme et AVK ont des difficultés à s’intégrer à l’exercice officinal. Qu’en est-il des nouvelles missions prévues pour 2019, et notamment de l’accompagnement des patients dans la chimiothérapie orale ?
L’accompagnement de ces patients a été mentionné dans l’avenant 11 comme une piste que nous voulons travailler. Cela ne peut se faire qu’à la condition que le pharmacien intervienne dans un cadre pleinement sécurisé, notamment en termes de protocole de gestion des effets secondaires et de conduite à tenir. C’est pour cela que nous voulons nous appuyer sur l’Institut national du cancer (INCa) qui doit border le dispositif. Les travaux sont en cours.
La préparation des doses à administrer (PDA) est liée à un texte que nous attendons.
À ce propos, une nouvelle mission a été évoquée le 25 mars, concernant les TROD angine. Donnera-t-elle lieu à un avenant conventionnel ?
L’annonce est toute récente. Nous ne disposons pas de davantage d’éléments. Il apparaît cependant que cette mission requiert une base réglementaire afin de permettre au pharmacien d’administrer le test. Il faudra construire ensuite le dispositif avec les pharmaciens, en concertation aussi avec les médecins.
Cette mission doit-elle être inscrite dans un exercice coordonné, au sein des CPTS notamment, comme le bilan partagé de médication et la téléconsultation ?
Le président de la République a insisté sur ce point le 18 septembre 2018 dans son discours sur « Ma santé 2022 » : il est absolument nécessaire que l’ensemble des professionnels de santé s’engagent dans des exercices coordonnés. Nous avons aujourd’hui un système beaucoup trop cloisonné sans vraie protocolisation des prises en charge ni partage de l’information. C’est une vraie faiblesse en termes de qualité des pratiques et d’accès aux soins.
Des moyens coercitifs sont-ils prévus à l’encontre des professionnels de santé qui ne s’engageront pas dans l’exercice coordonné ?
Il n’est pas question de coercition. Oui, l’exercice isolé doit devenir marginal mais nous n’y parviendrons pas par des oukases, mais en convainquant les professionnels que c’est leur intérêt et celui de leurs patients, mais aussi en leur donnant les moyens de le faire et en valorisant ceux qui s’engagent davantage que ceux qui ne bougent pas. Au fil des négociations conventionnelles que nous menons avec les différentes professions de santé, nous introduisons des éléments de modulation en faveur de l’exercice coordonné. Cela ne se réduit pas aux CPTS. Ce qui compte, c’est le développement de la coordination sous ses différentes formes.
La dispensation sous protocole sera-t-elle soumise aux mêmes conditions ?
Il est prématuré de s’exprimer sur ce sujet dans la mesure où le texte est actuellement en examen au Parlement. Cependant, sur l’esprit, la dispensation sous protocole par le pharmacien répond à ce que nous voulons promouvoir en termes de coordination. Les tensions en termes d’accès aux soins concernent de nombreux territoires s’agissant des médecins généralistes. Il faut trouver des solutions pragmatiques mais maîtrisées, encadrées par des recommandations de la HAS et surtout, des protocoles locaux entre professionnels, au niveau du terrain. Les CPTS peuvent en offrir le cadre.
L’introduction de l’ordonnance électronique est-elle un pré requis à l’application de ces coopérations ?
Un prérequis non, mais un élément de facilitation certainement. Depuis plus d’un an, nous expérimentons la prescription électronique sur trois territoires avec une technologie qui se limite à imprimer un QR code sur les ordonnances papier. D’ici l’été, nous passerons à une nouvelle étape qui permettra que les données de la prescription soient accessibles par le pharmacien à travers une base centrale. Cela sécurisera le processus et rendra plus rapide et facile le retour d’information vers le prescripteur en cas de nécessité. Nous aborderons la phase de généralisation en 2020.
Sera-t-il possible pour le patient de récupérer l’ordonnance via son DMP ?
Cette fonctionnalité est prévue dans la nouvelle phase qui démarre. Il s’agira en effet de mettre en place un flux en Y depuis le poste du médecin orientant la prescription, d’une part, vers la base interrogée par le pharmacien, et, d’autre part, vers le DMP du patient qui pourra le consulter. Il s’agit d’une évolution attendue et nécessaire. Toutefois, il faut pour cela que le patient ait un DMP. C’est pour cela que l’engagement des pharmaciens dans la création des DMP est un enjeu majeur.
Ne sont-ils pas déjà bien engagés dans la démarche ?
17 000 pharmacies sont aujourd’hui équipées pour ouvrir des DMP mais le nombre de pharmacies qui en créent réellement est encore trop faible. Très souvent, les pharmaciens attendent que les patients le leur demandent. Je souhaiterais qu’ils soient plus proactifs, comme ils ont su le faire pour le dossier pharmaceutique. L’enjeu, ce n’est pas la rémunération de 1 euro. C’est la nécessité de doter notre système de santé mais aussi les patients d’un vrai outil de partage de l’information. L’assurance-maladie est à la disposition des officines pour les accompagner. Nous relancerons notre campagne de communication fin avril.
Qu’en est-il du projet de dématérialisation de la carte Vitale ?
Le développement de la technologie est achevé. Nous avons prévu deux expérimentations en 2019 dans deux grandes villes, Lyon et Nice. Nous attendons la publication du décret qui nous autorisera à débuter, vraisemblablement avant l’été.
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