Si la suspension du vaccin AstraZeneca n’a duré que 4 jours, les difficultés des pharmaciens pour se lancer pleinement dans la campagne risquent, elles, de se faire ressentir plus longtemps.
Au lendemain des annonces de l’EMA et de la Haute Autorité de santé (HAS), Renaud Nadjahi a (enfin) pu injecter les doses reçues juste avant qu’Emmanuel Macron n’annonce l’arrêt temporaire de l’utilisation du vaccin du laboratoire anglo-suédois. « Toutes les doses du premier flacon ont été utilisées, confirme le pharmacien installé à Rambouillet, dans les Yvelines. J’ai ensuite reçu deux flacons supplémentaires mardi et mercredi, tous les rendez-vous ont été pris. En tout, j’ai pu vacciner à pleine plus de 30 personnes, une goutte d’eau dans l’océan », se désole-t-il.
Après la joie relative de pouvoir enfin vacciner les premiers patients, une fatigue teintée de colère a rapidement envahi Renaud Nadjahi lorsqu’il a appris qu’il ne pourrait passer de nouvelles commandes cette semaine. « On nous rend les vaccins, puis on nous les retire… on joue avec les patients, et nous, pharmaciens, passons pour des imbéciles auprès d’eux. Si on n’a pas assez de doses AstraZeneca, on n’a qu’à nous le dire clairement. » Pour Renaud Nadjahi, une priorité apparaît désormais : autoriser les pharmaciens à utiliser les vaccins Pfizer et Moderna. « Si l’on veut atteindre les objectifs qui ont été fixés par le gouvernement, soit 20 millions de personnes vaccinées à la mi-mai et 30 millions à la mi-juin, il faut que l’on puisse commencer à les utiliser dès maintenant », réclame-t-il.
La concurrence des vaccinodromes ?
Pouvoir injecter en officine les vaccins à ARNm c’est également ce que souhaite Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). Une évolution qui pourrait être possible en cas de changement de doctrine sur le mode de conservation de ces vaccins (voir ci-dessous) et si la présence d’un médecin n’est plus exigée au moment de leur administration. « Pour l’instant cette demande n’avance pas trop, c’est en stand-by, admet-il. Les médecins s’évertuent toujours à empêcher les pharmaciens de vacciner. En attendant, toutes les doses reçues par les pharmaciens ont été injectées. Nous ne faisons pas de stocks contrairement à eux », critique le président de l’USPO. Il dénonce une différence de traitement entre sa profession et les médecins généralistes. Selon ses chiffres, ces derniers ont reçu 1,6 million de doses de vaccins depuis qu’ils sont impliqués dans la campagne quand les pharmaciens n’en ont reçu que 380 000.
Il reproche également aux décideurs de privilégier certaines solutions pour vacciner la population, comme les vaccinodromes, au lieu de s’appuyer sur le réseau officinal. « On se félicite d’avoir permis à 200 000 personnes d’être vaccinées en un jour (grâce à l’ouverture de centres le samedi et le dimanche). Ce nombre serait atteint chaque jour si chaque pharmacie utilisait un flacon de dix doses ! », explique-t-il à titre de comparaison. L’option « vaccinodrome » semble cependant retenue par le gouvernement qui a annoncé lundi l’ouverture de 35 méga-centres gérés par l’armée et les pompiers. Selon les objectifs fixés, chacun de ces centres géants devra vacciner entre 1 000 et 2 000 personnes quotidiennement. Gilles Bonnefond, lui, n’en démord pas et défend deux autres idées pour renforcer le rôle du pharmacien et lui permettre d’accélérer le rythme de la campagne : « autoriser les infirmier(e)s à donner un coup de main en officine » et « livrer uniquement aux pharmaciens le vaccin de Johnson & Johnson », qui devrait arriver en France courant avril.
Une troisième brique avec Moderna ?
Si le vaccin de Johnson & Johnson devrait passer, sauf catastrophe, par la case officine, comme l’a encore confirmé la Direction générale de la Santé le 23 mars, la possibilité de voir un jour des pharmaciens utiliser le vaccin Pfizer/BioNTech en officine semble moins certaine. « Ce n’est pas dans les plans, indique Laëtitia Buffet, responsable de la Task force interministérielle vaccination Covid-19. Du point de vue logistique, il ne serait pas totalement impossible de faire entrer le vaccin Pfizer en pharmacie, mais on considère qu’il faut que chaque lieu de vaccination se spécialise, il faut éviter de mettre tous les vaccins dans tous les tuyaux,. En revanche Moderna oui, c’est envisageable. Nous allons d’abord voir comment la ville "absorbe" le vaccin AstraZeneca, ensuite arrivera le vaccin de Johnson & Johnson qui, lui, est parfaitement réalisable par les pharmaciens, puis nous pourrions, après cela, ajouter une troisième brique pour la vaccination en officine avec Moderna », détaille Laëtitia Buffet.
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