Depuis la publication de l'arrêté du 26 avril les autorisant à vendre des masques en tissu, les pharmaciens sont engagés dans une course de vitesse. Et avant tout contre les autres circuits de distribution. Car Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État à l'Économie, a conclu un accord avec la grande distribution pour que « certaines grandes enseignes commencent à vendre des masques le 4 mai et toutes les grandes enseignes à partir du 11 mai ».
De quoi exacerber la colère des pharmaciens, déjà très remontés d’avoir été pris de court par le gouvernement. « La plupart des pharmaciens n’ont pas encore de masques pour les citoyens. Avec ce timing, le gouvernement nous met une sérieuse pression », twittait Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) en début de semaine dernière. Tandis que sur une affiche, un titulaire ironisait « un arrêté annonçant le dimanche la mise à disposition le lundi de masques encore interdits le samedi, ce n’est plus de la gouvernance, c’est de la magie ».
La profession a d’autant plus du mal à encaisser ce revers du gouvernement qu’elle réclamait depuis le 6 avril l’ajout des masques à la liste des produits pouvant être commercialisés en pharmacie ! Comment alors s’approvisionner en vingt-quatre heures pour répondre à la demande de la population ? Laurent Filoche, président de Pharmacorp, indique que les quelque 150 masques dont disposait chacun de ses adhérents avaient été vendus dans la matinée du 27 avril. David Abenhaim, président de Pharmabest, annonce que son groupement disposera de 4 millions de masques alternatifs à partir du 4 mai et incite ses adhérents à prendre des « pré-commandes ».
Il est d’ores et déjà clair que les pharmacies assaillies dès les premières heures du 27 avril pourront répondre à la demande de la population au plus tôt dans le courant de cette semaine. Et encore. « Nous naviguons à vue », déclarent de nombreux pharmaciens et groupements. Ils s’insurgent contre cette impréparation de l’État, précisant qu’en l’absence de doctrine, il leur était difficile d’anticiper par des commandes en nombre. « Nous ne pouvions faire prendre ce risque à la trésorerie, surtout quand il faut payer la moitié cash à la commande ! », renchérit Hervé Jouves, président de Lafayette Conseil, dont le réseau de 200 pharmacies mettra à disposition de ses clients 3,5 millions de masques d’ici à la fin de la semaine.
Un sourcing difficile
Les masques sont pour les groupements une nouvelle occasion de prouver leur plus-value et en aucun cas ils ne veulent rater ce rendez-vous avec leurs adhérents. « Déjà en première ligne depuis le début de la crise, la question des masques nous met sur la brèche. La communication des autorités sanitaires sur le sujet a été particulièrement tardive. Les pharmaciens doivent gérer actuellement cette question dans l’urgence pour accompagner au mieux la population dans les semaines à venir. Les attentes sont en effet très importantes, et l’annonce de l’obligation de port de masques dans certaines circonstances de vie va renforcer l’afflux de demandes au comptoir. Pourtant il n’est pas simple pour un groupement de sécuriser le bon sourcing au bon prix et dans les bons délais, et surtout pour des quantités sans commune mesure avec des besoins individuels », déclare Franck Vanneste, P-DG de Giropharm, affirmant accompagner les adhérents « pour garantir la mise à disposition d’un maximum de masques de qualité irréprochable tout en informant les patients sur les différents types et les bonnes pratiques à suivre ».
Car s’approvisionner en quantités astronomiques dans un contexte international très concurrentiel est une difficulté majeure pour les pharmaciens français. Mais sourcer des produits à la qualité irréprochable est un défi autrement plus délicat à relever. « En tant que pharmaciens nous avons une obligation de vendre des produits de qualité. Compte tenu de l’enjeu, nous devons fournir des masques assurant un haut niveau de sécurité », expose Jean Fabre, P-DG de Phoenix France et du groupement Pharmavie. Il précise que, dans ce marathon, le réseau pharmaceutique s’adresse en priorité à ses fournisseurs habituels, notamment les fabricants de dispositifs médicaux, et privilégie les sources connues lui garantissant une qualité irréprochable. De son côté, OCP a fait le choix de la haute technologie. Trois gammes de masques filtrant de 90 à 99 % et de fabrication française seront mis à la disposition des pharmacies à la mi-mai. Une démarche partenariale entre le grossiste-répartiteur et son fournisseur, leader du marché, a permis de mettre au point un masque répondant « aux impératifs d'ergonomie et de protection maximale ».
Une prise en charge par l'assurance-maladie ?
La sécurité des produits est en effet le maître mot face à une offre pléthorique provenant d’acteurs encore méconnus des pharmaciens il y a quelques semaines. Or, bien que le ministère de l’Économie ait rendu obligatoire l’apposition de logos sur les produits, l’absence de labels et de certification – les données AFNOR n’étant que des spécifications techniques — rend le sourcing compliqué pour un pharmacien isolé. Cependant, si Bercy ne fait pas état des catégories 1 (filtration 90 %) et 2 (filtration à 70 %), se contentant de logos en fonction de la résistance du produit au lavage, le réseau officinal devrait vraisemblablement s’orienter vers ce type de produits « différenciants ».
Question prix, la multiplication des fournisseurs laisse entrevoir une lueur d’espoir alors que les tarifs les plus fantaisistes circulaient encore la semaine dernière. Une tendance qui n'a pas manqué de faire réagir les syndicats de la profession ainsi que France Assos Santé, représentant les usagers de santé. La prise en charge par l'assurance-maladie de ces masques pour les populations les plus précaires semble incontournable. Cependant, la compétition entre les fabricants devrait infléchir les tarifs, comme l’indique Laurent Filoche qui n’avait jusqu’à présent pu se fournir qu’à un prix d’achat de 4,90 euros. Il vise désormais pour ses prochains approvisionnements un prix de vente à 5 euros. Les pharmacies Lafayette observeront des tarifs ne dépassant pas 3,50 euros, tandis que, dans le réseau Pharmabest, les masques filtrant à 90 % et lavable 20 fois seront vendus à moins de 4 euros.
Les grossistes-répartiteurs et les groupements savent désormais qu’il leur faut consolider leur filière d’approvisionnement, les cadencements devant s’accélérer. Car une chose est certaine : alternatif, tissu ou grand public, quelle que soit son appellation, ce masque est un produit qui va s’inscrire dans la durée dans les rayons de la pharmacie.
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