Lors des confinements liés à la pandémie de Covid-19, les pharmacies ont fait partie des rares lieux encore ouverts. Mais pour beaucoup de patients empêchés de se déplacer, la livraison et la dispensation à domicile sont devenues indispensables. Aujourd'hui, même après le retour à la normale, les habitudes restent.
Des pratiques indispensables en milieu rural
« C’est un service que l’on rendait déjà à nos clients, et cette demande s’était accentuée pendant la pandémie. Aujourd’hui, on se rend compte qu’il y a un vrai besoin, notamment dans certains départements ruraux » explique Béatrice Clairaz, présidente de l'Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO) des Hauts-de-Seine. Les pratiques de portage à domicile sont le quotidien des pharmacies de campagne depuis des décennies.
« À la campagne, les patients sont isolés, et beaucoup de personnes âgées ne se déplacent plus. C’est un service important que nous leur rendons qui est quasiment obligatoire. Cela fait 12 ans que je pratique la livraison et la dispensation à domicile, et de plus en plus », affirme Élodie Beynat, titulaire de la pharmacie de l'abbaye à Bénévent l'Abbaye (Creuse). Même son de cloche chez un pharmacien exerçant en Corrèze. « Nous l'avons toujours fait. Je suis installé depuis 17 ans, et le titulaire qui était avant moi le proposait également ». Loin des grandes villes où les officines sont nombreuses, les pharmacies rurales s’organisent à leur manière pour servir la population âgée et isolée.
Une question d’organisation
Car si les pratiques de dispensation et de livraison à domiciles sont très encadrées, sur le terrain, aucune pharmacie ne fait comme les autres. Il faut dire que le portage prend du temps, et monopolise de nombreuses ressources. « Nous livrons souvent sur notre temps libre », témoigne Élodie Beynat. À la pharmacie centrale de Thaon-Les-Vosges (Vosges), l’organisation est différente : « Nous avons un créneau horaire dans l’après-midi dédié au portage, explique Gaëlle Garion, pour qui la pharmacie doit revoir ses horaires, et faire coïncider ces activités avec les moments creux de son activité. »
Au-delà de l'organisation de l'officine, la dispensation à domicile force aussi à repenser la manière de travailler. Ainsi, selon une enquête menée entre le 20 mai et le 15 juin 2020 par la Société française de pharmacie clinique (SFPC) auprès de 803 pharmaciens, 8 pharmacies sur 10 pointent des difficultés sur deux étapes particulières : le recueil d'information auprès des patients et la vérification auprès d'eux de la compréhension des conseils de bon usage. L’absence physique du patient - dans le cadre de conversations au téléphone - entrave parfois l’analyse pharmaceutique et le recueil d’information. Par ailleurs, les dispensations à domicile se faisant souvent dans un contexte d’accompagnement continu du patient, les officines impliquées doivent veiller à développer des outils de suivi.
S’il y a toutefois un point où les pratiques se rejoignent, c’est sur la question de la livraison. Toutes les officines livrent elles-mêmes leurs patients, sans faire appel à une entreprise tierce. « Je ne pense pas que ce serait une bonne idée, estime Béatrice Clairaz, car dans ce cas, le patient pourrait très bien passer par un opérateur privé qui viendrait à la pharmacie chercher le paquet et ferait juste office de livreur. Ce n'est pas ce qu’on souhaite, il faut conserver ce lien que le pharmacien et son équipe entretiennent avec leur patient, et valoriser la notion de dispensation et d’accompagnement. » Une position que rejoint son confrère corrézien : « Potentiellement, si vous passez par une société tierce, vous avez toujours le risque de tomber sur une personne malhonnête. Alors que si mon collègue ou moi-même le faisons, je sais que l'ordonnance sera correctement honorée ». Selon l’enquête menée par la SFPC, seulement 2,3 % des répondants s’étaient appuyés exclusivement sur un prestataire de service pendant la période du premier confinement.
Resserrer les liens
Malgré les contraintes d’organisation et de temps que représentent les activités de portage de médicament à domicile, ces dernières semblent appréciées des professionnels engagés dans la démarche. « J'aime livrer mes patients, car on va chez eux, connaître leur environnement facilite par exemple la mise en place de certains équipements, comme un matériel médical plus adapté. Mine de rien, les patients discutent plus facilement lorsqu'ils sont chez eux, ça ouvre le dialogue », confie Élodie Beynat.
La dispensation à domicile offre à l'officinal une occasion unique : l'accès au domicile du patient. Il devient ainsi possible d’observer son degré d'autonomie et d'analyser certains facteurs psychosociaux. Mais aussi d’identifier ses problèmes de mobilité, de continence, de déshydratation, d'hygiène, de nutrition ou de suivi de maladie chronique, voire d'observer le patient directement et identifier des problèmes de dextérité ou de déglutition, ou les risques de chutes et d’accidents domestiques. Il s’agit donc d’un outil très utile qui améliore considérablement le suivi des patients.
Tout travail mérite salaire
Un des débats qui anime la profession reste la rémunération de l’acte de portage. Difficile d’avoir un avis tranché. « Je suis un peu partagée, admet Gaëlle Garion. Ce serait normal de reconnaître notre engagement, d'autant que le tout gratuit n'est pas valorisant pour le rôle que nous jouons. Mais dans le même temps, c’est un service que nous rendons à des personnes isolées… » Pour beaucoup, facturer ce service ne ferait que pénaliser des populations déjà dans le besoin. « Nous avons toujours envisagé cet acte comme un service. D'un autre point de vue, notre périmètre d'intervention est de plus en plus vaste, l’essence de plus en plus chère, à tel point que certaines livraisons sont pour nous déficitaires », complète Élodie Beynat. Pour Béatrice Clairaz, « La dispensation doit être rémunérée car ce n’est pas une simple livraison. Il faut qu'on puisse, au moment où l’on dépose le médicament au domicile, accompagner cela d’une vraie dispensation comme celle que nous réalisons au comptoir. Cela justifie une rémunération ».
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