Alors que l’épidémie de Covid va en s’intensifiant, ne serait-il pas urgent de tirer les leçons de la gestion de la première vague ? Lors de son discours d’introduction des Amphis de l’officine, le 10 septembre, Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), a tenu à lever le voile sur certains dysfonctionnements révélateurs, selon lui, d’un « système hospitalo-centré, hiérarchisé, normatif », et surtout du « manque de liberté accordé aux acteurs pour s’organiser dans la prévention ».
Ces dernières années, les exemples n’ont pourtant pas manqué pour illustrer l’implication des pharmaciens dans la prévention. Ce rôle semble, du reste, avoir été très bien accepté par la population. Dernier témoin de cet accueil favorable, le succès rencontré en 2019 lors de la généralisation de la vaccination antigrippale à l’officine. La preuve des compétences du pharmacien dans la prévention ne serait donc plus à faire auprès des Français, mais bien auprès des pouvoirs publics, voire de certains autres professionnels de santé. Selon Philippe Besset, les pharmaciens doivent revendiquer une valorisation de ces actes, réclamer des moyens techniques et financiers, mais aussi communiquer sur leurs pratiques. « La prévention doit prendre de l’ampleur et les pharmaciens, en tant qu’acteurs de prévention primaire, doivent jouer leurs atouts en matière de proximité et de disponibilité face à la sous-densité médicale », renchérit Fabrice Camaioni, membre du bureau national de la FSPF, insistant sur la traçabilité des missions et l’interprofessionnalité.
Un accord interpro sur le dépistage Covid
Dans le volet de l'interpro, la crise du Covid est l’occasion pour les acteurs de s’accorder au sein de l’Union nationale des professionnels de santé (UNPS) sur un protocole de dépistage commun puisqu’un consensus a été obtenu entre pharmaciens, médecins et biologistes médicaux. Sous réserve des recommandations des autorités pour le dépistage du Covid, une priorité devra être accordée aux patients envoyés aux laboratoires d’analyse médicale par leur médecin. Quant aux catégories intermédiaires, notamment les patients en demande de médicaments d’automédication évocateurs des symptômes du Covid, « le pharmacien, s’appuyant sur un arbre décisionnel, pourra les orienter vers un laboratoire d’analyse et les résultats seront envoyés au médecin traitant », annonce Philippe Besset.
La maitrise de l’épidémie requiert la mobilisation de toutes les énergies, martèle le Dr François Sarkozy, fondateur de TousPourLaSanté. TV, appelant à l’organisation des réseaux. Les pouvoirs publics semblent acquis à ce principe. Le Pr Élisabeth Bouvet, présidente de la commission technique des vaccinations auprès de la HAS et Emmanuelle Cohn, pharmacienne, adjointe à la sous-directrice SDPF* de la direction générale de l’offre de soins (DGOS) soulignent le rôle joué – et revendiqué — par les pharmaciens dans le dépistage avec le TROD Covid. Elles ne voient pas d’inconvénient à ce que, dans l’éventualité de mise sur le marché de tests antigéniques et/ou salivaires, ceux-ci soient mis à disposition des pharmaciens pour les réaliser. Elles savent qu’elles pourront compter sur le réseau officinal. « Nous ne sommes pas inquiets sur la réactivité de la profession », affirme Emmanuelle Cohn, rappelant que les pharmaciens se sont rapidement mis en ordre de marché pour distribuer les masques des stocks de l’État.
Dépister la migraine
En attendant l’arrivée de ces nouveaux tests et du futur vaccin Covid, la campagne de vaccination antigrippale risque d’être fortement connotée par l’épidémie. À la mi-parcours, sans aucun doute à la mi-novembre, la vaccination des populations cible donnera lieu à un monitoring, annonce Emmanuelle Cohn. « Il est en effet nécessaire d’augmenter la couverture vaccinale contre la grippe afin de pouvoir éviter la confusion entre les symptômes de la grippe et ceux liés au coronavirus », expose-t-elle, confirmant que deux millions de doses de vaccin supplémentaires seront mises à disposition cette année. En attendant l’élargissement de leurs compétences vaccinales qu’ils appellent de leurs vœux, les pharmaciens sont invités à communiquer auprès de leurs patients sur le calendrier vaccinal. En effet, comme le remarque, le Pr Élisabeth Bouvet, le confinement a engendré de nombreux retards dans les vaccinations, créant un besoin de rattrapage dans les vaccinations pour 450 000, voire 500 000 personnes.
Toutefois, la vaccination n’est qu’une facette de la prévention par le pharmacien. Le dépistage, régulièrement effectué en officine lors de campagne sur le diabète ou les maladies cardiovasculaires, demande à être étendu à d’autres pathologies comme le démontre le programme mis en place par le CHU de Nice avec les pharmaciens d’officine en coopération avec le Laboratoire Pfizer. « Il existe un énorme déficit dans le dépistage de la migraine : 20 % seulement des migraineux sont pris en charge », note le Dr Michel Lanteri-Minet, neurologue au CHU de Nice, et dont la consultation a été « nourrie » par des pharmaciens d’officine formés au dépistage, au bon usage du médicament pendant la crise et à la prévention de l’abus de médicament.
Le pro bono en question
La prise en charge de l’antalgie est également au cœur des soins de premiers recours par le pharmacien. Mais encore faudrait-il qu’on lui en donne les moyens. « Notre arsenal est aujourd’hui très pauvre et trop fréquemment nous devons envoyer le patient chez le médecin de garde ou aux urgences », déplore Fabrice Camaioni. Autre exemple en date de ce sentiment d’être dépossédé, l’interdiction, depuis le début de la pandémie, des TROD angine à l'officine. Outre la nécessité de disposer des outils adéquats, le déploiement systémique de la prévention et de dépistage à l’officine nécessite des moyens financiers suffisants. Car, comme le dénonce Philippe Besset, la viabilité de ce modèle économique pro bono est loin d’être prouvée par les bilans de fin d’année.
* Sous-direction du pilotage de la performance des acteurs de l’offre de soins
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