LES CONDITIONS draconiennes fixées par le juge américain pour que M. Strauss-Kahn quitte la prison de Rikers le privent de toute autonomie. Il ne pourra même pas sortir de l’appartement que son épouse a loué à Manhattan. Il passe d’une cellule sordide à une prison plus confortable. Comme nous l’avions pressenti dès qu’il fut arrêté par la police de New York, sa carrière politique est terminée. Le tableau général de l’affaire est sombre. DSK a été défendu par ses amis au-delà de l’impartialité. Qui, comme Jack Lang, s’insurge contre la machine judiciaire américaine et déclare qu’il n’y a pas mort d’homme ; qui, comme Robert Badinter, tout en reconnaissant qu’il parle au nom de son amitié pour DSK, se livre à une charge énorme contre le système pénal des États-Unis ; qui, du côté des commentateurs, absout DSK en réduisant son crime, pour autant qu’il soit prouvé, à « un troussage de femme de ménage ».
Les exigences de la justice américaine paraissent excessives (et ruineuses pour la famille de l’ex-directeur du FMI) mais elle veut se prémunir contre l’absence d’accord d’extradition aux États-Unis pour des ressortissants français et contre une issue comparable à l’échec des poursuites de la justice californienne contre Roman Polanski. L’intérêt des Français va peut-être se perdre dans les méandres d’une procédure longue et presque incompréhensible, qui va durer plusieurs mois. Mais d’une part, les enquêteurs américains veulent retrouver des précédents indiquant que DSK est coupable parce qu’il l’aurait déjà été en différentes occasions ; et, d’autre part, lui-même ne pourra se défendre qu’en tentant de discréditer, par tous les moyens, son accusatrice. Il n’y a rien de bon à attendre de cette bataille qui va être sordide, douloureuse pour tout le monde, et surtout pour la victime, et qui conduira l’accusé à renoncer à toute ambition personnelle, car il sortira dévasté de la bataille.
Dans ces conditions, le PS doit décider de tourner la page et d’aller de l’avant, comme le suggère Ségolène Royal qui, elle, n’a pas accordé à DSK le délai nécessaire à n’importe quelle forme de deuil. Si le PS ne le fait pas, les instituts de sondage ne s’en privent pas dont les enquêtes pleuvent et montrent que la disparition politique de M. Strauss-Kahn n’affecte pas la popularité de la gauche. « Le Monde » a cru bon de publier jeudi dernier une manchette affirmant que « l’avance des socialistes n’est pas remise en cause ». Ce qui est vrai mais partiel. Il n’est pas du tout surprenant que François Hollande arrive en tête des socialistes, s’adjugeant de la sorte une partie des suffrages qu’obtenait DSK. Il est son clone idéologique tout en cultivant une image diamétralement opposée à celle de son ex-rival qui, fort prématurément si l’on en juge par le scandale qui a suivi, avait eu le mauvais goût d’exiger de M. Hollande qu’il retirât sa candidature aux primaires. Martine Aubry aussi remonte dans les sondages, mais pas au niveau de M. Hollande. On ne sait pas très bien pourquoi l’ancien premier secrétaire déplaît à l’actuelle première secrétaire, mais on devine qu’elle va se faire un devoir de bloquer son ascension, notamment en présentant, peut-être à contrecœur, sa propre candidature. Ségolène Royal arrive en troisième position et présente le risque de l’élimination avant le second tour.
Bon pour Sarkozy.
Personne n’a dit que le centre et la droite bénéficient du retrait de DSK. Que Marine Le Pen se tasse, certes à un niveau élevé, en subissant le report des voix strauss-kahniennes vers les centristes et l’UMP. Que, selon les divers sondages, Nicolas Sarkozy n’est plus éliminé après le premier tour comme c’était le cas quand la simulation l’opposait à DSK. Nous sommes à moins d’un an du scrutin et déjà ce qui semblait une certitude, l’alternance politique, devient aujourd’hui beaucoup moins sûr. Le comportement attribué à DSK relativise celui de M. Sarkozy. La Porsche renvoyait les Français au bling bling, cette fois à gauche, et l’accusation de viol fait apparaître le président comme un homme prude qui s’en tient la vie conjugale, avec la perspective d’une nouvelle paternité dont on veut croire qu’elle est exclusivement l’effet naturel d’un grand amour et pas du tout le produit d’un calcul électoral. La gauche n’a pas perdu tous ses moyens de vaincre. Elle est néanmoins privée d’un candidat extraordinairement populaire, tellement populaire que peu de Français croient à sa culpabilité. Bien entendu, les élections se joueront non sur des scandales mais sur l’économie et l’emploi. M. Hollande, dont la campagne concentre le contenu moral de la fable de La Fontaine, « le Lièvre et la Tortue », va peut-être se forger une image irrésistible. Ce qui est nouveau, c’est que M. Sarkozy dispose de chances nouvelles qu’il n’avait pas il y a dix jours.
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