Le Quotidien du pharmacien.- Un des principaux sujets post-Covid est la tension qui apparaît dans le monde officinal sur la gestion des flux de médicaments et tout particulièrement l’attitude qu’il convient d’avoir face aux produits manquants. Selon vos observations, ce phénomène pourrait-il, à terme, affecter l’activité et la rentabilité des officines ?
Philippe Becker. - C’est effectivement une situation qui empoisonne la vie des patients et des pharmaciens, et cela au quotidien. Le risque est la fuite de clientèle et par conséquent la perte de chiffre d’affaires sur le cœur du métier. Beaucoup de choses ont été dites et écrites sur l’aspect politique de cette question qui fait ressortir l’affaiblissement de la souveraineté de notre pays quant à la production des médicaments nécessaires à la population française. Au-delà des discours et des promesses de ceux qui gouvernent le pays, les officinaux doivent gérer le court terme, c'est-à-dire trouver des solutions plus ou moins « bricolées », on l’a vu il y a quelques mois avec le Doliprane pédiatrique…
Est-ce à dire qu’il faut surstocker lorsque l’opportunité d’une disponibilité se présente ?
Catherine Baffos. - Cela fait effectivement partie des solutions « bricolées » que l’on voit se développer. C’est une pratique qui n’existait jusqu'alors pas sur le « remboursable classique » du fait d’un système de livraison prévisible des grossistes et des laboratoires. Il faut bien comprendre qu’emmagasiner ces molécules est une pratique qui nécessite de l'espace, engendre un coût en trésorerie sur les produits chers et comporte aussi le risque d’une péremption qu’il ne faut pas négliger. En contrepartie, cette pratique permet au pharmacien de répondre aux besoins des patients. En effet, beaucoup de nos clients nous le disent, ces produits « manquants » sont mal vécus par la population qui parfois manifeste de manière véhémente son mécontentement.
Dans un autre registre, l’inflation, qui affecte le non remboursable et aussi la parapharmacie, aurait-elle un impact sur la façon de gérer le stock ?
Philippe Becker. - Le premier impact évident affecte la politique commerciale sur les produits à marge libre dans un contexte d’une concurrence forte et d’une baisse du pouvoir d’achat des clients. La question est simple : dois-je répercuter les hausses imposées par les laboratoires en totalité, partiellement ou pas du tout ? Inutile de dire que cette démarche tactique n’est pas simple à aborder. Chacun comprendra qu’il n’y a pas une réponse toute faite ! Au-delà, le coût de possession du stock va augmenter au minimum à hauteur de l’inflation. Pourtant, ce n’est pas si grave si les conditions commerciales se maintiennent ainsi que les conditions de paiement. Nous le disons depuis longtemps, le point clé est la bonne rotation des différentes catégories de produits OTC et hors monopole !
Si je comprends bien, on peut faire des choix osés à la condition d’être sûr de vendre rapidement les produits stockés ! À votre avis, quels sont les défis que vont devoir affronter les pharmaciens en matière de gestion de leurs stocks dans les prochaines années ?
Catherine Baffos. - Nos études statistiques montrent que le sujet est finalement plutôt bien maîtrisé par les officinaux – les cabinets comptables qui abordent systématiquement cette question lors de la présentation du bilan ont fait un gros travail pour que les pharmaciens prennent conscience que le surstockage pour obtenir des remises quantitatives est finalement contre-productif si les produits ne tournent pas. Aujourd’hui nous discutons de la gestion du stock sur deux angles nouveaux : la difficulté de trouver du personnel formé et la nécessité de trouver de la place dans l’officine pour effectuer les nouvelles missions dans de bonnes conditions de confidentialité et de confort.
Quelles solutions envisagez-vous avec vos clients ?
Philippe Becker. - La première équation à résoudre est de faire mieux avec moins de personnel. Tout indique que la situation en matière de recrutement ne va pas s’améliorer rapidement ! De plus, lorsque l’on a la chance de trouver quelqu’un, le tarif demandé est souvent supérieur à celui du personnel déjà en place… Une solution est la robotisation quasiment à outrance ! À court terme un automate ou un robot représente beaucoup d’argent (entre 75 000 et 250 000 euros) mais, nous l’observons, les approches de la gestion de stockage et de dispensation des médicaments par ces technologies ont progressé en fiabilité et elles permettent aujourd’hui de maintenir les effectifs sans embauche. Si cette robotisation va sans nul doute libérer du temps « pharmaciens » pour l’écoute des patients, elle peut parfois aussi libérer de la place dans la zone de réserve en supprimant des colonnes à tiroirs : 10 à 15 m² gagnés sont suffisants pour créer le local « nouvelles missions et vaccinations ». C’est la deuxième équation à résoudre !
D’après vous, sur combien d’années peut-on avoir un retour sur investissement ?
Catherine Baffos. - En intégrant l’effet de levier fiscal de l’impôt sur les sociétés qui réduit de 25 % chaque année le coût du crédit-bail, on peut estimer un retour sur investissement dès la fin de la quatrième année pour un investissement de 150 000 euros. À condition de faire l’économie d’un poste de préparateur. Bien évidemment, au-delà de la question du financement, c’est une décision sérieuse qui doit intégrer souvent une profonde réorganisation de l’officine et aussi une redéfinition des postes de travail. Cela demande un peu d'effort, mais c’est toujours à ce prix que l’on progresse !
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