Un peu comme la téléconsultation, l’e-learning a bénéficié d’une impulsion décisive liée à la crise sanitaire.
« Nous avons vu arriver des clients qui utilisaient peu l’e-learning, cela leur a permis de le découvrir », témoigne ainsi Marie-Hélène Gauthey, directrice générale d’Atoopharm. Ce qui ne pouvait être fait en présentiel s’est fait à distance dans la mesure du possible, et cet état de choses demeure partiellement aujourd’hui. « La formation en présentiel n’a pas totalement repris », confirme Charles Woitiez, président de DMVP, créateur de Ma Formation Officinale. Mais cette accélération de l’usage de l’e-learning due à la crise sanitaire ne doit pas cacher non plus la lente mais sûre appropriation de cette façon de se former par les pharmaciens. « Il y a encore cinq ans, l’e-learning était peu présent dans les habitudes des pharmaciens qui lui préféraient le présentiel », évoque Sophie Nicolas, directrice de Hémisphères Santé, l’organisme de formation créé par Giphar. Aujourd’hui, il est mieux intégré dans les usages. Il n’est plus juste un complément du présentiel, mais une véritable « pierre angulaire » de la formation, selon les termes employés par Charles Woitiez.
La portabilité de la formation en ligne
C’est aussi une affaire de générations. Les anciens fonctionnent beaucoup encore en présentiel tandis que les jeunes sont très demandeurs de formation en ligne. Un glissement progressif s’opère. Et ce glissement joue sur la façon de concevoir l’e-learning, qui, il est vrai, connaît peu d’évolutions sur l’aspect purement technologique. Il y a dix ans, tout était déjà là. La vidéo, le graphisme, l’interactivité. Ce qui a changé, c’est que les choses sont plus simples aujourd’hui, le haut débit s’est généralisé et en a facilité l’accès, et l’ergonomie s’est beaucoup améliorée.
L’un des phénomènes nouveaux néanmoins qui marquent l’e-learning ces dernières années est sa « portabilité ». « Cela a impacté l’évolution des supports et des infrastructures mais aussi la conception des formations », explique Charles Woitiez. La portabilité, c’est la possibilité d’accéder au e-learning n’importe où, n’importe quand, à partir de n’importe quel support, d’un smartphone par exemple. Les jeunes ont grandi avec cette portabilité. Et aujourd’hui, « on voit les jeunes pharmaciens qui demandent volontiers des modules d’e-learning, de façon à pouvoir les suivre dans les transports en commun par exemple », explique Sophie Nicolas. Les formats courts se développent donc de plus en plus, ils vont de pair avec, et cette portabilité, et l’évolution des pratiques. « Nous pouvons concevoir des modules de deux à trois heures, composés de sessions de vingt minutes, courts et percutants, d’autant que la concentration est limitée sur une durée plus longue », ajoute Sophie Nicolas. Hémisphères Santé a réalisé ainsi des modules liés à l’animation de l’officine, aux parcours clients, aux zones de chalandises… « Les formats courts et mobiles conviennent parfaitement aux formations liées à la gestion », confirme Charles Woitiez. Et ce d’autant plus qu’ils correspondent à une évolution globale des usages où n’importe qui peut trouver un tuto sur You Tube relatif à un sujet qui l’intéresse, le bricolage par exemple. Pourquoi pas en pharmacie…
Travailler le comment dire
Pour autant, pas question de sacrifier l’importance du principe de formation dans cette évolution vers des formats plus courts. Le risque est en effet de confondre formation et information. Il faut rester dans une logique de formation, et c’est un sujet à propos duquel les sociétés spécialisées affirment vouloir rester vigilantes. L’e-learning dans ce contexte n’est pas une pratique rigide ou exclusive, les prestataires peuvent la mixer avec du présentiel si nécessaire. Il est en effet des thématiques complexes qui parfois demandent une acquisition classique de connaissances qu’il faut ensuite apprendre à mettre en pratique. C’est notamment le cas dans le cadre des entretiens pharmaceutiques relatifs à la chimiothérapie orale, pour laquelle par exemple Ma Formation Officinale consacre dix heures de formation en ligne et une demi-journée en présentiel pour notamment travailler la prise en charge des patients. Ça l’est aussi beaucoup pour les formations liées au Covid, d’abord les tests antigéniques depuis fin octobre dernier, et à présent pour la vaccination. Les prestataires estiment en effet qu’il est nécessaire d’avoir une partie pratique pour apprendre comment vacciner, ça se fait déjà pour la grippe. « Il faut valider le geste, voir comment la personne pique sur un bras en plastique », explique Sophie Nicolas.
Même position pour Élisabeth Ferreira, ex-directrice de la société Pharmacade qui travaille désormais en tant que prestataire externe pour cet organisme, l’un des premiers à s’être lancé sur l’e-learning : « dès lors que l’on a des prestations de santé où les gestes ont une portée technique importante, le présentiel est indispensable. » Ce n’est pas vrai pour tout le monde cependant. « Nous sommes dans l’e-learning depuis 2008, où nous sommes pionniers, et notre volonté est de mettre l’accent sur la pratique officinale et non sur l’acquisition des connaissances », explique Marie-Hélène Gauthey. « Nous ne travaillons pas en mode " descendant ", bien au contraire nous privilégions l’interactivité, car ce qui compte ce n’est pas tant ce que l’on sait, mais ce que l’on sait dire au patient » précise-t-elle.
Atoopharm pratique l'e-learning de façon « asynchrone », c’est-à-dire, indépendant de toute réunion virtuelle, accessible n’importe quand et basée sur une interaction dynamique. Dans les domaines des entretiens pharmaceutiques et des bilans partagés de médication, les formations proposées par Atoopharm vont également insister sur la façon dont on pose les questions à un patient. « Éviter par exemple de lui demander, " est-ce que vous avez oublié de prendre votre traitement ? ", question fermée intrusive à laquelle le patient peut se dérober de la vérité », conseille Marie-Hélène Gauthey. « Il faut toujours travailler le comment dire. » La société propose ainsi un échange interactif entre un pharmacien virtuel et un patient virtuel. Précisons par ailleurs que l’e-learning synchrone selon Atoopharm est plus un format classique de formation qui au lieu de se faire en présentiel se fait en distanciel, à jour et heure fixes et qui est dépendante des contraintes de temps et d’organisation. Un format hybride selon certains, qui n’est pas de l’e-learning à proprement parler, mais qui a aussi son utilité, notamment en ces temps où la formation en présentiel est plus difficile à réaliser que d’habitude compte tenu des circonstances sanitaires.
Pour Élisabeth Ferreira, les classes virtuelles n’ont toutefois pas le même impact que le présentiel : « en tant que formateurs, nous pouvons animer une session de formation, repérer les personnes moins attentives, ce que nous ne pouvons pas faire à travers un écran. » Précisons par ailleurs que les formats des modules de formation dépendent aussi du cadre du financement de la formation, les prises en charge par les OPCO commençant dès 4 h 30 de formation.
La gamification en question
À côté de la portabilité de l’e-learning et de son impact sur les formats des formations ainsi dispensées, il est un phénomène évoqué par les organismes spécialisés lié à ce qu’on appelle la « gamification », ou « serious game », une façon de reprendre les codes des jeux vidéo appliqués à un univers professionnel. Pour Sophie Nicolas, « utiliser la forme du jeu comme un challenge permet d’apprendre plus vite. » Hémisphères Santé utilise les « serious game » depuis deux ans environ, de façon à élargir encore le panel des façons d’apprendre, chacun étant plus sensible à certaines techniques que d’autres (le graphisme, le texte, la vidéo etc.). Sophie Nicolas cite l’exemple des interactions médicamenteuses susceptibles de faire l’objet d’une telle approche. Charles Woitiez est plus nuancé quant à la gamification. « C’est un problème de coût, c’est très cher à produire et le retour sur investissement n’est pas suffisant », estime le Président de Ma Formation Officinale. « Le serious game est une logique très immersive, un peu comme un jeu de rôle, et son développement très coûteux l’empêche de trouver son audience en pharmacie. » Mais Charles Woitiez en retient quand même quelque chose, « derrière, la logique du jeu reste, et nous invite à apporter une dimension plus ludique, notamment pour les exercices et les cas comptoirs. » Le constat est plus flagrant encore pour la réalité virtuelle, également très chère, « pour une expérience utilisateur qui n’est pas suffisamment significative. »
Le coût de l’e-learning est relativement limité pour les pharmaciens, sous forme d’abonnement mensuel, et/ou avec des prises en charge par les OPCO et OPCO EP, mais ne reflète pas forcément le coût réel de son développement, qui selon Charles Woitiez, est quatre fois plus élevé que celui du présentiel. « Nous travaillons avec des spécialistes de différentes disciplines, des graphistes, des concepteurs, des vidéastes, des spécialistes du son etc. Pour un marché relativement limité, 110 000 personnes seulement dans le monde de la pharmacie. » De fait, peu d’acteurs proposent de l’e-learning pour les équipes officinales, un marché qui se partage entre deux grands acteurs, Ma Formation Officinale et Atoopharm, ainsi que des organismes crées par des groupements comme Hémisphères Santé ou encore des coopératives à l’instar d’Ospharm.
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