Stress, anxiété, impatience, voire agressivité, le mal-être des patients s’exprime sous différentes formes à l’officine. Il ne s’agit pas seulement de personnes déjà suivies pour des pathologies psychiques et qui se trouvent aujourd’hui éloignées de leur praticien en raison des mesures sanitaires. Des changements se remarquent aussi dans le comportement de la population générale. « Nous sommes l’éponge de leurs problèmes », soupire une titulaire d’Ile-de-France, ajoutant que, sur le front de l’épidémie depuis neuf mois, la profession se doit cependant « de tenir et de ne rien laisser transparaître quant à ses propres états d’âme ».
Les pharmaciens sont sans aucun doute parmi les premiers professionnels confrontés à cette détérioration de la santé mentale des Français dont Olivier Véran a pris la mesure, jeudi 26 novembre, lors d’une conférence de presse. « Cette dégradation est multifactorielle », a indiqué le ministre de la Santé, faisant référence aux 20 000 appels par jour reçus au numéro vert 0 800 130 000. Il a exhorté les Français ressentant de la tristesse et éprouvant le besoin à se confier de s’adresser à leur médecin, à se confier à un proche ou à appeler le numéro vert accessible 24 heures/24,7 jours/7. Il a par ailleurs annoncé la mise en place de plusieurs plateformes, ainsi que l’activation de réseaux de centres de santé dans le cadre d’une stratégie de suivi, de soutien et d’accompagnement. Le Premier ministre Jean Castex affirmait quant à lui que 15 000 nouveaux postes seraient créés dans la santé mentale au sein des établissements de santé.
Des troubles du sommeil pour 6 Français sur 10
Depuis plusieurs semaines, les pouvoirs publics ont pris conscience de cet autre dommage collatéral de l’épidémie de Covid-19. Une bombe à retardement au même titre que la crise économique, signalent les observateurs. Dans les derniers résultats de son étude CoviPrev qu’elle commentait à la mi-novembre, l’agence Santé publique France alertait sur « une dégradation significative de la santé mentale des Français, entre fin septembre et début novembre, avec une augmentation importante pour l’ensemble de la population adulte des troubles dépressifs ressentis désormais par 21 % de la population, soit une hausse de 10 % ». 63,1 % des Français font par ailleurs état de troubles du sommeil. La souffrance psychologique frappe tout particulièrement les personnes âgées isolées, mais aussi les plus jeunes. Ainsi, les troubles dépressifs ont augmenté de 16 % parmi les 18-24 ans et de 15 % chez les 25-34 ans. À la mi-novembre, les étudiants en pharmacie ont eux-mêmes alerté les autorités et le Président de la République sur leur mal-être psychologique, relayant leurs inquiétudes sous le hashtag #PronosticMentalEngagé.
« Le pharmacien n’est coupable de rien »
L’équipe officinale n’échappe pas à cette vague de mal-être. « Les pharmaciens, comme d’autres professionnels de santé, ont tendance à ne pas s’écouter. Ils ne sont pas assez attentifs à eux-mêmes, et ne portent pas attention à ces signes déclencheurs physiques et émotionnels », constate Bruno Vibert. Ce psychothérapeute recommande de veiller à se ménager des bulles de plaisir, de se déconnecter des écrans, de revenir à la sensorialité, ne serait-ce qu’en portant des couleurs gaies. Il leur conseille de ne pas se laisser absorber par le mal-être des patients afin de ne pas se fragiliser. Un exercice de communication au quotidien peut permettre d’éviter ce piège, affirme le psychothérapeute. « Ainsi, face au client, il faut privilégier les formulations telles que « je vous comprends » « je vous recommande », « vous pouvez essayer », aux injonctions « il faut que… », « vous devriez… » car ces dernières, si elles ne sont pas suivies par le patient, ne peuvent être que déceptives, expose Bruno Vibert. En adoptant cette position dès le départ, l'officinal prend du recul. Le pharmacien n’est coupable de rien ! »
Les groupements prennent également ces alertes au sérieux. Giropharm proposera ainsi dès la semaine prochaine un module de formation en visioconférence sur le thème « Savoir mieux prendre en charge les émotions des patients en période de crise sanitaire ». La formation des titulaires comme de leurs équipes est sans aucun doute l’un des moyens les plus pertinents pour répondre à la situation. « Les modules de formation vont donner les clés aux équipes pour comprendre le contexte auquel elles ne sont pas forcément confrontées : confinement, télétravail, solitude, précarité sociale et économique, et leurs effets dévastateurs sur la santé mentale : troubles du sommeil, anxiété, dépression, risque de burn-out, voire addictions sous diverses formes, auxquels on pourra répondre par des conseils associés », suggère Marie-Hélène Gauthey, directrice d’Atoopharm, dont le cabinet a déjà assuré plus d’un millier de formations* depuis le premier confinement.
La formatrice insiste également sur les troubles non exprimés par les patients et qu’il faudra détecter sans paraître trop intrusif. Un entretien de bilan, payant ou non (prix préconisé 19 euros), peut être proposé à ces patients afin d'identifier avec eux les troubles qu’ils ressentent. L'accès des collaborateurs à ces différents éléments de réponse donne également un signal managérial très fort. Ces formations donnent en effet aux équipes officinales l’assurance que la mobilisation contre le Covid-19 se poursuit, mais sous une autre forme.
* Les effets délétères de la crise sanitaire en trois modules atoopharm.fr.
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