Contrairement au corps médical, très présent sur les plateaux de télévision depuis le début de l’épidémie, la profession a résisté à la tentation de la surexposition médiatique. Seuls certains pharmaciens ont répondu aux sollicitations des chaînes de télévision et de la presse quotidienne pour dénoncer le manque de masques ou pour informer sur leurs nouvelles pratiques : fabrication de solutés hydroalcooliques dans un premier temps, puis réalisation de tests antigéniques et plus récemment, administration des vaccins Covid.
Certaines de ces communications, souvent spontanées, parfois maladroites, ont suscité des réactions dans les rangs de la profession jusqu’aux instances ordinales. C’est le cas d’une pharmacienne qui, au tout début du mois de mars 2020, fait état dans une édition régionale de sa fabrication de gels hydroalcooliques alors même que la profession n’y est pas encore autorisée. Ou encore de cet officinal qui avait installé un panneau faisant la promotion des tests antigéniques à l'entrée du centre commercial où son officine est implantée. Ou cet autre titulaire qui est photographié en train de réaliser des tests antigéniques « en drive », une démarche explicitement commentée dans les colonnes d'un journal local.
Pas de sollicitation
« J'ai dû rappeler à l'ordre quelques pharmaciens qui s'étaient un peu trop mis en avant lorsqu'ils ont commencé à faire des tests antigéniques. Certains avaient notamment tendance à s’exposer sur les réseaux sociaux. Des professionnels ont le sentiment qu'ils doivent communiquer, mais certains de leurs confrères peuvent estimer que cela va parfois trop loin », témoigne Bruno Galan, président du Conseil régional de l’Ordre des pharmaciens (CROP) d’Occitanie. En effet, tout est question de limites. Car si, dans la majorité des cas, ces écarts ne donnent pas lieu à une plainte, tout juste à un rappel à l’ordre, certains officinaux franchissent allégrement les bornes, au grand dam des représentants de la profession. Une affaire est ainsi en instance aujourd'hui en Occitanie. « Un pharmacien avait conclu un partenariat avec une chambre des métiers pour proposer des tests antigéniques à tous les artisans qui étaient inscrits. Il s'était positionné comme étant le seul pharmacien capable de proposer ce service, ce qui, bien sûr, n'était pas le cas », expose Bruno Galan.
Il revient aux chambres de discipline de juger ces entorses à la réglementation professionnelle au cas par cas, rappelle Pierre Béguerie, président de la section A (titulaires) du Conseil national de l'Ordre des pharmaciens (CNOP). Car en matière de publicité, le code de déontologie est très rigoureux. Stricto sensu, seul un encart de 10 cmx10 cm est toléré pour des annonces dans la presse concernant l’officine : création, transfert ou changement de titulaire (art. R5125-26 du CSP). La fabrication de SHA n’est bien évidemment pas mentionnée par ces textes, pas davantage la réalisation de tests antigéniques ! Et pour cause. Ces nouvelles missions n'existaient pas lors de la rédaction des textes. Aussi, le principe du « tact et de la mesure » prévaut aujourd'hui comme hier.
Les confrères sont appelés à faire œuvre de discernement, insiste Pierre Béguerie. La liberté de la presse doit s’exercer, là n’est pas la question. Un journaliste peut interviewer de son propre chef un pharmacien sur une nouvelle mission ou un nouveau service officinal. L’inverse n’est en revanche pas possible. « Le pharmacien, non seulement, n’a pas le droit de solliciter un journaliste, mais il ne doit pas non plus prendre part activement à la rédaction de l’article », résume le président de la section A.
« Nous veillons à ce que les pharmaciens ne se servent pas des nouvelles missions (les tests, la vaccination…) comme d'un outil de promotion, nous sommes très vigilants sur ce point », renchérit Bruno Galan. À l’adresse de ses confrères, Bruno Galan rappelle que le pharmacien doit déclarer au journaliste qu'il est préférable de ne pas le citer, de même que le nom de sa pharmacie. « Il faut aussi éviter de publier une photo mettant en avant le pharmacien. » Il fait également allusion aux réseaux sociaux, largement utilisés par les pharmaciens aujourd'hui. Leur usage peut aussi conduire à des dérives dans le domaine de la communication dès lors que le pharmacien y fait la promotion de ses nouveaux services. Notamment lorsqu'il propose des jeux-concours, mettant en avant des promotions, des prix bas sur certaines gammes, ou fait la publicité d'opération style "black friday"…
Commentant l'affaire du panneau installé dans le centre commercial, où l'on pouvait lire « tests antigéniques gratuits et sans rendez-vous », Bruno Maleine, président du CROP d’Île-de-France, estime que la terminologie employée est un peu ambiguë : « ces tests ne sont pas "gratuits", ils sont remboursés par la Sécurité sociale ». « Est-ce une information ou bien cela peut-il être considéré comme de la sollicitation de clientèle ? Ce sera à la chambre de discipline de décider de la suite à donner », estime-t-il. En effet, rappelle Pierre Béguerie, la mission de l’Ordre est de protéger la population et par là même la profession. Car de cette protection dépend la confiance que les Français accordent à leur pharmacien.
Un droit européen opposable
« Afficher dans la presse locale une activité ou une initiative, avec mention du lieu et du nom de mon officine, c’est faire de la publicité », analyse de son côté Me Maud Geneste, avocat à la Cour. « Or, poursuit-elle, à ce jour, les articles R4235-57 et R5125-26 du CSP ne l’y autorisent pas. À moins que l’article relayant une initiative locale, ne cite ni le nom du pharmacien, ni celui de la pharmacie, et/ou qu’il mentionne les autres pharmacies de la ville. »
La juriste ne relève pas moins un certain paradoxe « dans le fait d'interdire toute forme de publicité en dehors de celle prévue à l’article R5125-26 du CSP, à une profession dont un pan de l’activité relève de l’activité commerciale ».
« Au demeurant, rappelle-t-elle, depuis l'arrêt CJUE du 4 mai 2017, l’interdiction générale et absolue de toute forme de publicité n’est plus admise en droit européen. » Aussi, les juridictions – devant lesquelles le droit européen est opposable -, ne sanctionnent-elles plus les professionnels de santé au seul motif qu’ils auraient fait acte de publicité, constate Me Geneste. Et ce en dépit des textes nationaux encore en vigueur, mais qui devront prochainement se conformer à la législation européenne.
Retoqué il y a trois ans par le ministère de la Santé qui le trouvait trop restrictif, le code de déontologie avait pourtant tenté d’assouplir substantiellement les règles de la communication et de la publicité à l'officine. Une nouvelle version devrait être remise par le CNOP au début de l’été. En février dernier, Carine Wolf-Thal, présidente du CNOP, rappelant l’évolution considérable de l’exercice professionnel avec, notamment les nouvelles missions, avait en effet reconnu nécessaire cette refonte. Il s’agit de mettre en adéquation les principes qui régissent la profession, inscrits dans le code de déontologie, avec la réalité de l’exercice professionnel.
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