Au cœur de la région du Haut-Taravo, Cozzano (Cuzzà en langue corse) est un village perché à 700 mètres d’altitude, à proximité d’un célèbre chemin de grande randonnée, le GR20. À l’année, un millier d’habitants vivent dans ce secteur dont 280 au sein même de Cozzano. Jusqu’au mois de novembre 2019, le village avait sa propre pharmacie, qui a accueilli les patients du village pendant plus de 50 ans avant son inéluctable fermeture. L’officine la plus proche, celle de Vivien Delpoux à Santa-Maria-Siché, se trouve à 30 kilomètres et… 40 minutes de route. Une route de montagne, parsemée de lacets où vaches et cochons obligent parfois les automobilistes à la patience. Lorsque l’officine de Cozzano a baissé le rideau, Vivien Delpoux s’est démené pour que les habitants de ce coin isolé ne se retrouvent pas sans solution, en mettant notamment en place des livraisons à domicile et en collaborant avec le cabinet d’infirmiers du village.
Puis, il y a maintenant près de deux ans, l’agence régionale de santé de Corse l’a contacté pour lui demander s’il serait favorable à l’idée de devenir le gérant d’une antenne de pharmacie à Cozzano. « On a tout de suite été réceptifs à cette idée, raconte le titulaire. J’ai quand même bien pris le temps de lire le cahier des charges pour voir si on répondait aux critères. Ce fut un sacré parcours du combattant mais nous avons été les premiers en France à réussir à aller jusqu’au bout et donc à ouvrir cette antenne. »
Deux ans de réunions et de démarches
Rendue possible sous la forme d’expérimentations par l’article 51 du Code de la santé publique, l’ouverture d’antennes de pharmacie a déjà été envisagée ailleurs en France, comme à Tende, dans les Alpes-Maritimes, sans que le projet n’aboutisse. Cette solution offerte sous certaines conditions aux communes de moins de 2 500 habitants qui n’ont plus d’officine, a depuis été pérennisée dans la loi Valletoux. À Cozzano, c’est bien dans le cadre d’une expérimentation validée par l’ARS que l’antenne a pu voir le jour, sous l’impulsion du maire du village, Jean-Jacques Ciccolini, qui n’a jamais pu accepter l’idée de voir son village sans croix verte. Appel dans les médias, participation au programme de TF1 SOS Villages… L’édile a envisagé plusieurs solutions avant de pousser à la création d’une antenne de pharmacie. Après deux ans de démarches et de réunions, le projet a pu voir le jour.
Une solution offerte, sous certaines conditions, aux communes de moins de 2 500 habitants qui n’ont plus d’officine
Élus et habitants étaient nombreux le 29 juillet, date de l’inauguration de l’établissement, sis dans les locaux autrefois occupés par l’officine du village, à proximité de l’école et du cabinet où exerce l’unique médecin de Cozzano.
Déjà plus d’une centaine de patients par jour
Parmi les conditions à remplir, outre les critères de proximité, pour qu’une officine dite mère puisse gérer une antenne, il faut premièrement que le titulaire soit épaulé par au moins un adjoint. C’est en tout cas ce qui est prévu par le cahier des charges. « Dans les faits, il vaut mieux être trois. Si nous ne sommes que deux et que l’un part en vacances, cela oblige à fermer l’un des deux sites », explique Vivien Delpoux. C’est son adjointe, Françoise Azam, qui a accepté de tenir l’antenne un jour par semaine (le jeudi) avec un double statut de pharmacienne adjointe et gérante, aidée par une préparatrice qui travaille elle aussi à la pharmacie de Santa-Maria-Siché le reste du temps. « Ce projet, c’est une belle expérience à vivre, explique Françoise Azam, qui a été à la tête de sa propre officine pendant plus de 30 ans. Les premiers retours des patients ont été excellents, j’ai vraiment senti qu’ils étaient ravis par l’ouverture de l’antenne. Pour le premier jour, j’ai reçu une soixantaine de patients. La semaine suivante une centaine puis la fois d’après près de 110… Il s’agit en grande majorité de gens du village, qui viennent pour des renouvellements d’ordonnance. » De l’extérieur, pas de vitrine, seul un panneau vert et blanc placé au-dessus du rideau métallique et portant l’inscription « Pharmacie » ainsi qu’une croix verte de l’autre côté du bâtiment trahissent la présence de l’antenne dans cette grande maison en pierre d’un étage. À l’intérieur, en revanche, pas de doute, nous sommes bien dans une véritable pharmacie. « Elle fait 30 mètres carrés de superficie, il y a des étagères pour les produits de parapharmacie, un comptoir, un coin orthopédie, des fauteuils roulants, les médicaments sur prescription sont stockés à l’arrière, j’ai aussi un espace de confidentialité où pourront être proposés tests et vaccinations… », décrit l’officinale.
Pour durer, l’antenne devra être rentable
Pour offrir ce service complet aux habitants de Cozzano, l’équipe officinale de Santa-Maria-Siché a dû s’organiser et surmonter certaines difficultés. L’antenne est ouverte de 9 heures à 12 h 30, puis de 14 h 30 à 19 heures, uniquement le jeudi donc, du moins pour l’instant. « Nous n’avons bien sûr pas tout le stock disponible au sein de l’antenne donc nous conseillons aux patients de venir le matin et si le médicament dont ils ont besoin ne se trouve pas sur place, je passe commande à la pharmacie-mère et le produit est livré l’après-midi. S’ils viennent après 14 heures et que le médicament n’est pas disponible, on le livre quand même chez eux dès le lendemain », explique Françoise Azam. Celui qui effectue ces livraisons la plupart du temps n’est autre que… Vivien Delpoux. Le titulaire s’occupe donc lui-même de réapprovisionner l’antenne en cours de journée. Depuis que cette dernière est opérationnelle, il a déjà été confronté à plusieurs difficultés logistiques. « Les grossistes ne veulent pas livrer à Cozzano, c’était déjà le cas du temps de l’ancienne pharmacie. Tout est donc livré à Santa-Maria-Siché mais il n’y a pas de distinction entre ce qui est destiné à l’officine et ce qui servira à l’antenne. Nous devons effectuer ce tri, ce qui est très fastidieux, détaille l’officinal, qui espère bien qu’un service de livraison adapté à la spécificité de l’antenne pourra bientôt lui être proposé. Il a aussi fallu que j’obtienne une deuxième carte CPS pour pouvoir effectuer les télétransmissions directement depuis l’antenne mais pour l’instant nos logiciels ne permettent pas d’avoir des flux distincts pour les deux établissements, à la fois pour les commandes et pour les stocks », complète-t-il.
Les locaux sont mis à disposition par la mairie, au moins pendant les trois premières années
L’expérimentation doit normalement durer 3 ans. Le titulaire de Santa-Maria-Siché a reçu des aides à l’installation de la part de l’ARS, les locaux sont mis à disposition par la mairie, au moins pendant les trois premières années. Vivien Delpoux n’a donc pas à payer le loyer, ni l’eau et l’électricité mais d’autres frais sont à sa charge, notamment le système informatique, les frais d’essence et bien sûr les salaires. Dans son esprit, le titulaire a déjà évalué les objectifs à atteindre pour que l’antenne soit viable. « Pour qu’elle soit rentable, l’antenne devra selon moi recevoir environ 150 patients par jour. Le projet est suivi de très près, des réunions sont organisées très régulièrement, notamment avec l’ARS. Il faut voir comment cela va fonctionner en basse saison mais je pense que cet hiver, mon adjointe s’y rendra seule. Il y a aussi d’autres choses à voir, comme harmoniser les horaires d’ouverture de l’antenne avec ceux du cabinet médical. » Pour Vivien Delpoux, l’objectif est clair, l’antenne ne doit pas lui faire perdre d’argent. Le titulaire espère aussi que ce service lui permettra d’arrêter, ou au moins de fortement réduire, les livraisons à domicile qu’il multiplie depuis maintenant 5 ans. « Si au bout d’un an on se rend compte que cela ne marche pas, on arrêtera sans attendre d’aller jusqu’au bout des trois ans, mais notre état d’esprit c’est vraiment de tout mettre en œuvre pour la réussite du projet. On va mettre le paquet dès le début pour que ce système fonctionne. Cela nous tient vraiment à cœur », confie le titulaire, désormais premier gérant d’une antenne pharmaceutique en France.
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