Le Quotidien du pharmacien.- Comptez-vous pérenniser et étendre le rôle confié aux pharmaciens pendant la pandémie, notamment dans le domaine de la prévention (dépistage, vaccination…), de l’accès aux soins et des missions de santé publique ?
Anne Hidalgo.- Une nouvelle impulsion a été donnée en 2014 aux politiques de prévention, dont le dépistage est un pilier.
La pandémie a ensuite confirmé le caractère incontournable des pharmaciens, notamment par le maillage de proximité que représentent les pharmacies d’officine. Tests, distribution de masques, vaccination : les pharmaciens ont été des acteurs de santé publique au plus près de nos concitoyens.
Il serait incompréhensible de ne pas pérenniser ce rôle.
Pour avancer sur ces questions, nous proposons aussi de changer de perspective concernant les dépenses de santé. Plutôt que de nous focaliser sur la maîtrise comptable de ces dépenses, nous partirons des besoins de la population pour déterminer la politique de santé. La France, longtemps réputée avoir l’un des meilleurs systèmes au monde, décroche aujourd’hui en matière d’espérance de vie en bonne santé vis-à-vis de pays comparables, tels que la Suède. Nous fonderons les modalités d’évolution et de maîtrise de nos dépenses de santé sur des Objectifs nationaux de santé publique (ONSP), qui seront débattus chaque année au Parlement et dans les territoires.
Sur le dossier de la désertification médicale : envisagez-vous une aide aux pharmaciens installés en zones sous dotées ?
Nous sommes convaincus que c’est avec les professions de santé que nous devons construire les réponses adaptées aux besoins des territoires.
C’est la vision que nous proposons pour les médecins. Pour résorber les déserts médicaux, nous créerons une quatrième année d’internat de médecine générale, lors de laquelle ces médecins en fin de formation exerceront dans les déserts médicaux. Dès 2023, ce sont ainsi 4 000 à 8 000 médecins qui exerceront dans ces territoires. L’objectif est aussi, et surtout, avec cette année de professionnalisation, de donner envie à certains de ces jeunes médecins de s’installer dans ces territoires.
Elle s’intègre à un dispositif complet que nous appelons « Santé et territoires », par lequel l’État et les départements contractualiseront pour réduire les déserts médicaux et augmenter l’offre de soins. Il ne concernera pas que les médecins généralistes, mais bien l’ensemble des disciplines et spécialités d’exercice ambulatoire. Si les acteurs du territoire en identifient le besoin, les pharmaciens pourront aussi être accompagnés dans leur installation dans ce cadre.
Concernant des aides financières, conformément à la méthode qui irrigue notre projet, la concertation et le cadre conventionnel doivent être privilégiés. Les différentes parties prenantes doivent pouvoir se positionner, et rechercher ensemble des solutions, en responsabilité. L’État ne saurait décider seul qu’en dernier recours sur ce type de sujets.
Pensez-vous restructurer l’organisation des soins et de la santé dans les territoires, notamment en réformant les ARS ?
Nous renforcerons les soins de proximité. Si le rôle du médecin traitant est bien reconnu, notre vision est que les soins de proximité reposent aussi sur deux autres professions, les infirmiers et les pharmaciens, pour des prises en charge adaptées aux besoins des patients.
Pour cela, nous reconnaîtrons le rôle des départements en tant qu’acteurs de soins de proximité, notamment dans la lutte contre les déserts médicaux. Les départements seront chargés d’organiser l’accueil des étudiants et jeunes professionnels dans les déserts médicaux, en particulier le logement et les moyens de leur mobilité. L’objectif est qu’ils vivent dans le territoire pour se projeter dans une future installation. L’État financera le dispositif à hauteur de 170 millions d’euros par an dans le cadre d’une contractualisation avec chaque département.
Dans le domaine de l’interprofessionnalité, prévoyez-vous une simplification de l’exercice coordonné et des incitations financières plus conséquentes ?
Dès la première année du quinquennat, nous organiserons une conférence interprofessionnelle pour définir un nouveau cadre d’exercice pour l’ensemble des professions de santé. L’évolution du partage des tâches entre les professionnels de santé devra permettre d’apporter une meilleure réponse aux besoins des patients en reconnaissant l’apport de chaque profession.
Nous soutiendrons dans ce cadre l’exercice coordonné qui correspond à la fois aux aspirations de nombre de professionnels et aux besoins de la population.
Concernant le financement, les modes de rémunération des acteurs évolueront en lien avec les objectifs nationaux de santé publique adoptés par le parlement. Nous accompagnerons les acteurs dans ce changement de logique en développant des modèles de financement centrés sur les parcours de soins plutôt que sur des actes.
Le déploiement du numérique en santé, initié par le Ségur du numérique, sera-t-il poursuivi sous votre mandat ?
Le numérique est un axe majeur d’évolution et de progrès pour notre système de santé mais ce virage ne doit pas être pris au détriment des plus fragiles. Nous n’ignorons pas que 17 % des Français souffrent d’illectronisme. Alors que les inégalités de santé sont déjà si fortes dans notre pays, il serait dramatique que le numérique contribue à les augmenter. Pour cela, il faudra que le temps gagné par les professionnels grâce au numérique, pour soigner les patients qui sont à l’aise avec ses outils, soit redéployé pour consacrer plus de temps et aller vers les personnes les plus éloignées du système de soin.
Nous serons attentifs aux enjeux de sécurité des données car c’est une des conditions pour que les patients utilisent ces nouveaux outils. Nous avons vu pendant la pandémie, avec la vaccination, qu’une partie de la population pouvait perdre confiance dans les professionnels de santé et les messages des autorités. La confiance dans le numérique sera là si nous développons les nouveaux outils avec les usagers eux-mêmes et en apportant toutes les garanties en matière de sécurité. Le pays doit être à la pointe en la matière, nous avons le savoir-faire nécessaire dans nos entreprises.
Que comptez-vous faire pour que la France joue à nouveau dans le concert des nations innovantes en matière de médicaments, d’essais cliniques, de R & D, d’investissements industriels et de relocalisation ?
La crise a mis en lumière la dépendance des systèmes de soins européens à des produits importés. Cette dépendance est liée à la disponibilité de matières premières et à l’organisation même des processus de production à l’échelle internationale, les industries de santé ayant connu de nombreuses délocalisations. Afin de restaurer notre souveraineté et pour assurer la continuité des prises en charge de nos patients, je demanderai au gouvernement de travailler avec les industriels à des relocalisations ciblées sur la conception et la production de médicaments. Ces relocalisations sont aussi un enjeu environnemental. Alors que le secteur de la santé (8 % des émissions de CO2) doit réduire ses émissions, suivant la même tendance que l’ensemble de notre économie, il est à noter que plus de la moitié des émissions de ce secteur sont causées par les médicaments et dispositifs médicaux. La production en France devra être plus propre et permettra de diminuer les émissions liées au transport.
La santé est un secteur d’avenir pour notre pays, elle sera l’objet d’une des 4 odyssées industrielles que je propose. Ce sera un effort historique de notre nation, associant la puissance publique et les acteurs économiques, pour réindustrialiser une filière, l’aider à innover et à former le capital humain si crucial face à la concurrence internationale. Cet effort de notre pays sera porteur de progrès pour tous : nous proposons ainsi de nous fixer pour objectif de vaincre les maladies neurodégénératives à horizon 2035.
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