Fidèle à son officine rurale, près de Montpellier, Marie exerce son métier avec passion depuis plus de 20 ans.
Enthousiaste et ouverte d'esprit, cette adjointe de 52 ans a tissé des liens forts avec sa patientèle. Elle connaît leurs problèmes de santé, leurs traitements, leur personnalité. Outre la délivrance de médicaments, elle n'hésite pas à échanger avec eux. Depuis, 6 mois, elle travaille avec un nouveau titulaire. L'ancien - celui avec qui elle a exercé dans un climat de confiance, durant deux décennies - vient de prendre sa retraite. Son nouvel employeur a mis en place des procédures pour booster la rentabilité de l'officine. Vendre plus, conseiller trois produits au lieu d'un, insister sur la parapharmacie… Des mesures qui choquent Marie : elle n'aime pas forcer la main de patients dont la situation est, parfois, très modeste. Marie continue de travailler comme avant et vend moins que les autres pharmaciens de l'équipe. Sa façon d'exercer agace son titulaire. Il n'a, d'ailleurs, qu'une idée en tête : se séparer d'elle. Mise à l'écart par son employeur et ses collègues, Marie finit par se sentir triste et épuisée. Elle travaille la boule au ventre. Jusqu'au jour où, désespérée, elle quitte l'officine sur un coup de tête. Elle se retrouve alors sans chômage pendant plusieurs mois avant de retrouver un emploi dans une officine à l'ambiance plus paisible. Aujourd'hui, Marie regrette sa décision, elle sait qu'elle n'aurait jamais dû démissionner. Désormais bien informée, elle souhaiterait que tous les adjoints en souffrance puissent être protégés et faire valoir leurs droits.
Le titulaire : garant du bien-être de l'adjoint
L'histoire de Marie est, malheureusement, banale. Nombre d'adjoints ignorent la législation en vigueur et les recours possibles en cas de mal-être au travail. Or, le Code du travail, dans son article L4121-1, mentionne que l'employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Pour le titulaire de l'officine, ces mesures comprennent des actions de prévention des risques professionnels, d'information, de formation. Et la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.
« Concrètement, dans chaque officine, le titulaire doit rédiger un document synthétique (dit " document unique ") listant tous les risques professionnels qu'encourent les salariés. L'adjoint doit donc vérifier l'existence de ce document », indique Olivier Clarhaut, secrétaire fédéral de la branche officine FO pharmacie. Les risques professionnels concernent notamment les produits manipulés par l'adjoint (matières inflammables, toxiques…), mais aussi les risques psychosociaux. L'exposition prolongée au stress peut réduire l’efficacité et causer des problèmes de santé : fatigue chronique, troubles musculosquelettiques, atteintes cardiovasculaires, dépression…
La souffrance a des origines variées
Face à une telle problématique, le titulaire doit en analyser les causes pour pouvoir apporter une réponse adéquate. Cette réflexion doit également être menée par l'adjoint en souffrance. Le mal-être peut provenir d'une mauvaise organisation du travail : faible degré d’autonomie, charge de travail excessive, objectifs disproportionnés… Les conditions d'exercice peuvent être en cause : environnement agressif, comportement abusif des collègues, exposition à des substances dangereuses… Le manque de communication au sein de l’officine (objectifs attendus, rôle de chaque salarié) peut également causer de la souffrance. En outre, des facteurs subjectifs - tels que la perception d’un manque de soutien ou la difficulté de conciliation entre vie personnelle et professionnelle - viennent exacerber ce mal-être.
Des mesures et des recours dédiés aux officinaux
Outre le Code du travail, les pharmaciens bénéficient d'un document dédié. De fait, un accord signé entre les syndicats d'employeurs et de salariés, en 2009, recense toutes les mesures devant être prises en officine par le titulaire, l'adjoint et les délégués du personnel pour y améliorer les conditions de travail. « Ce document a le mérite d'exister, même s'il doit être réactualisé. Complet et bien détaillé, il devrait être connu de tous les pharmaciens », note Olivier Clarhaut. A minima, tout adjoint devrait être au courant des principaux recours possibles en cas de mal-être lié à son travail.
Plusieurs possibilités s'offrent à lui : il peut en parler avec son médecin traitant et/ou avec le médecin du travail, mais aussi, faire le point avec son employeur lorsque la communication est possible. Ou encore, se rapprocher d'une organisation syndicale de salariés qui sera à même de l'écouter et de le conseiller d'un point de vue juridique. « Notre profession est exposée à de nombreuses situations stressantes. Il ne faut pas hésiter à recourir, par ailleurs, à un psychologue lorsque cela s'avère nécessaire », assure Christelle Degrelle, représentante du syndicat CFE-CGC. En outre, l’association Aide et Dispositif d’Orientation des Pharmaciens (ADOP) créée par des pharmaciens de la région Auvergne Rhône-Alpes, avec le soutien de l'Ordre national des pharmaciens, propose un service d’écoute et d’accompagnement (numéro vert 0800 73 69 59, accessible 24h/24, 7 J/7) à tous les officinaux exerçant en France.
L'association Soins aux Professionnels de Santé (SPS), créée en novembre 2015, est un autre soutien d'importance aux pharmaciens en difficulté. Reconnue d'intérêt général, sa vocation est justement de venir en aide aux professionnels de la santé en souffrance au travail et aux étudiants. Entre autres missions, l'association met à la disposition des professionnels des outils pratiques (fiches dédiées) pour améliorer leur qualité de vie et apporter des solutions aux principales problématiques rencontrées à l'officine.
Éviter toute décision hâtive
Une chose est sûre, l'adjoint en souffrance ne doit pas rester seul. « Il doit en parler, si possible, à une personne de confiance dans son officine (titulaire, collègue…). Lorsque cela n'est pas possible et que l'adjoint se sent vulnérable, il peut se mettre en sécurité via l'arrêt de maladie. Mieux vaut être arrêté, plutôt que de continuer à travailler dans un état physique et psychique déplorable, propice à l'erreur. Toutefois, l'arrêt de maladie n'est pas une solution en soi et ne réglera jamais un conflit », rappelle Daniel Burlet, chargé des relations sociales à l'Union des Syndicats de Pharmaciens d'Officine (USPO).
Lorsque le dialogue n'est plus possible, l'envie de quitter l'officine sur un coup de tête, n'est pas rare. « Il ne faut surtout pas démissionner. C'est la double peine : l'adjoint se retrouve sans ressource, sans droit au chômage. L'idéal est de pouvoir négocier une rupture conventionnelle avec le titulaire », note Olivier Clarhaut. Enfin, avant de prendre toute décision, l'adjoint peut effectuer un signalement à l'Ordre national des pharmaciens. « L'Ordre prend toujours en compte les signalements et peut proposer une conciliation afin que le conflit se règle à l'amiable », conclut Jérôme Parésys-Barbier, président de la section D (adjoint) de l'Ordre des pharmaciens.
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