Un sentiment de déjà-vu accable les habitants du Pas-de-Calais et, avec eux, bon nombre d’officinaux. Mais avec aussi le sentiment que le cauchemar, qu’ils vivent depuis plus de deux mois, ne prendra jamais fin. Le 1er novembre, la tempête Ciaran aborde la France, le lendemain l’est de la Manche, suivie de pluies diluviennes. Deux jours plus tard, Christophe Yvart, pharmacien à Saint-Etienne-au-Mont (Pas de Calais), est réveillé à 3 heures du matin par un membre de son équipe, dont le mari travaille à la commune : le niveau d’eau a déjà atteint 30 cm dans l’officine.
La moyenne annuelle trentenaire des pluies à Boulogne-sur-Mer (Pas de Calais) est alors de 824 mm : il est tombé 194 mm de pluies en octobre 2023, 307 mm en novembre, récapitule Météo-France. En deux mois, il est tombé 501 mm, soit l’équivalent de 60 % des pluies d’une année.
Les fleuves côtiers Aa, Lys, Liane et la Canche sont tous en crue. Mercredi 13 décembre, la presse annonce 348 communes en état de catastrophe naturelle.
À Neuville-sous-Montreuil (Pas de Calais), la Canche est au plus haut, mi-décembre, malgré un temps (un peu) apaisé, et les pompages. Laurence Dachicourt et Mireille Vitay, co-titulaires de la pharmacie depuis 2015, ont vu « l’eau entrer le 8 novembre après-midi, par-derrière ». Elles ont « tout relevé d’une étagère, d’un tiroir ». Le lendemain, l’officine était sous 70 cm d’eau. Elles avaient heureusement pensé à tout débrancher, à sauver le serveur.
De l’eau jusqu’à la poitrine
L’eau est restée trois semaines. L’équipe a été mise au chômage technique et les deux pharmaciennes ont travaillé « en bénévoles ». Chaussées de waders de chasseurs, pantalons-bottes montant à la poitrine, ou à bord de barques poussées par des employés de la commune, elles sont allées chez les patients retirer les ordonnances, s’approvisionner en médicaments auprès d’un confrère de Montreuil-sur-mer, pour retourner ensuite livrer le patient. « Même l’équipe a fait du bénévolat avec nous », rappelle Laurence Dachicourt. Sans compter Jean-Pierre Douay, l’ancien titulaire, aujourd’hui retraité, venu à la rescousse.
« Il y a eu beaucoup de solidarité, se félicite Christophe Yvart. On a travaillé en pointillé, mais on ne se laisse pas abattre, et les patients ont eu beaucoup d’empathie. On a perdu 30 % de chiffre en un mois, mais dès le lendemain de la première crue, la CERP nous a réapprovisionnés ».
Pourtant, de son côté, le grossiste n’a pas été épargné. « Nous avons eu trois pharmacies sinistrées à Neuville, Saint-Etienne-au-Mont, et Blendecques, constate Vincent Vandenabeelle, directeur de la CERP à Boulogne-sur-Mer, ainsi que notre dépôt de Saint-Léonard, inondé par la Liane, dès le 2 novembre. Lundi 6, l’évacuation était ordonnée ».
L’agence de bassin Artois-Picardie a décrété un plan d’urgence de 20 millions d’euros
« Nous avons l’obligation de servir sous 24 heures, et nous avons tout replié nos matériels et nos équipes sur notre dépôt de Lille (Nord). Pendant un mois, l’agence de Saint-Léonard est restée inondée, mais cinq cents bras d’autres agences sont venus nous aider à Lille. Depuis le 2 décembre, tout est à nouveau en ordre, sauf l’administration, mais tout le monde est content d’être rentré chez soi », poursuit-il.
« Ce genre d’événement va revenir », prédit Grégory Tempremant, président de l’URPS pharmaciens Hauts de France. Il faut prévoir un plan d’urgence au niveau national, se servir de l’expérience du Covid. À Boulogne, la CERP a été inondée, mais son transfert à Lille s’est plutôt bien passé ».
L’assurance-maladie, à la demande de l’URPS, a adopté des dispositions en particulier pour le transfert de matériel médical de personnes obligées de quitter leur domicile. L’URPS a fait savoir aussi aux pharmaciens qu’elle se tenait à la disposition de ceux qui en ont besoin.
L’agence de bassin Artois-Picardie a décrété un plan d’urgence de 20 millions d’euros pour aider les collectivités et organismes à leurs travaux d’infrastructures et autres.
Contactée sur de possibles mesures de prévention à prendre, la Préfecture n’a pas donné suite. Pourtant, « A la moindre pluie, tout repartira », s’inquiète Jean-Pierre Douay. Alors que le département est à nouveau placé en vigilance rouge en ce début d’année, le cours des événements semble lui donner raison.