Deux lois, respectivement promulguées en février 2020 et août 2021, pourraient dans quelques années modifier le visage des linéaires de produits dermocosmétique à l'officine : la loi AGEC (antigaspillage pour une économie circulaire) prévoit l'interdiction des emballages plastiques à usage unique en 2040. Elle a également introduit la définition* de la vente en vrac dans le code de la consommation (article L120-1) et a consacré le droit d'utilisation et le principe de responsabilité en termes d'hygiène et d'aptitude du consommateur vis-à-vis du contenant réutilisable (article L120-2) ; la loi Climat et Résilience, pour sa part, impose dès 2030 aux commerces de plus de 400 m² de consacrer un minimum de 20 % de leur surface à la vente de produits présentés sans emballage primaire, y compris le vrac. Les commerces de taille inférieure feront l'objet d'une expérimentation, menée par l'État, dans le but d'évaluer les modalités de développement de la vente en vrac ou recharge (article 23)…
Afin d'anticiper les mutations que ne manquera pas d'engendrer ce cadre réglementaire, certains acteurs du réseau officinal - laboratoires et groupements – se sont mis à développer la commercialisation en vrac (dose choisie par le consommateur) ou en recharge (quantité prédosée) de quelques-uns de leurs produits.
Expanscience a ainsi lancé en juin 2020 le système « Reviens », un flacon en verre consigné que le consommateur vient remplir de gel lavant doux ou gel lavant Bio Mustela (mentions légales imprimées sur une étiquette autocollante) auprès d'un meuble distributeur désormais présent dans 21 pharmacies. « Nous sommes engagés dans une démarche d'écoconception depuis une dizaine d'années, explique Ana-Elisabete Santos, chef de produit Mustela chez Expanscience. L'objectif était de réduire l'impact écologique des produits de la gamme sur toute la chaîne de fabrication, ce qui impliquait, entre autres, de diminuer la quantité de plastique et de cartons dans les emballages jusqu'à réussir à les supprimer complètement. »
Expérimental
D'autres produits Mustela devraient faire l'objet d'une distribution en recharge à l'avenir, même si le système « Reviens » est encore expérimental. « En tant qu'industriel, on ne connaissait pas ce mode de distribution qui vient bouleverser autant les habitudes de consommation que de fabrication. » L'expérience a donc toujours cours car il faut finir d'évaluer le procédé du point de vue de la clientèle, de la pharmacie et continuer d'améliorer son impact environnemental. Le contenant en verre, plus lourd à transporter que le plastique, n'est vertueux qu'à partir de trois utilisations, ce qui fait pencher la balance écologique en faveur d'un maximum de réutilisations. Cela suppose aussi le nettoyage du flacon rechargeable, laissé aux soins de l'utilisateur (protocole de lavage fourni) et le renouvellement des pompes en plastique à usage unique délivrées à la borne de recharge. « On n'a pas encore conçu un système de pompe réutilisable », poursuit Ana-Elisabete Santos en soulignant les améliorations qui peuvent encore être apportées au procédé. Côté officine, peu de maintenance est nécessaire, à part changer la recharge de produit et nettoyer les éléments principaux. « La borne a été pensée pour être simple à utiliser et à placer dans l'espace de vente. » Ce que confirme une pharmacie qui a installé le distributeur bien en vue près de comptoir : « C'est un dispositif clé en main, simple à réassortir et à nettoyer, qui nécessite peu de temps d'entretien et qui nous a été très bien expliqué au cours d'une formation. Il suscite beaucoup la curiosité des jeunes parents qui, en revanche, sont encore peu nombreux à l'utiliser. »
Autre démarche expérimentale, celle que mène le groupe Pierre Fabre au sein du LAB à Toulouse. Le concept-store, qui teste de nouvelles approches du soin pouvant être reproduites dans les pharmacies partenaires, offre aux consommatrices un accès à six formules d'hygiène corporelle et capillaire (Klorane, A-derma) proposées en vrac. Les bouteilles en verre réutilisables et consignées sont remplies par un expert du LAB et étiquetées aux mentions légales. « Les consommateurs voient d'un très bon œil la démarche « vrac » proposée au LAB, y compris pour les produits destinés aux peaux fragiles », indique le groupe. « Ce test nous a permis de valider leur adhésion à une proposition en vrac des marques Pierre Fabre. Nous nous apprêtons donc à déployer le concept dans une poignée d'officines en France et en Espagne pour affiner le modèle en vue d'une diffusion plus importante fin 2022. »
Fort potentiel de croissance
Les groupements et leurs marques propres n'échappent pas non plus à la tendance « zéro déchet ». Pharmactiv travaille actuellement sur le développement de deux gels douche corps & cheveux (certifiés Bio Cosmos Organic) adaptés à une distribution en vrac. « Nous n’avons pas encore déterminé si les formules seront accessibles par le biais d'un présentoir dédié ou directement en rayon, signalées par un balisage spécifique », précise Jonathan Yampolsky, responsable Pharmactiv Bio. Un process sécurisé de dispensation sera dans tous les cas mis en place et assuré par le pharmacien ou son équipe. « Les attentes des consommateurs sont fortes en termes d’écoresponsabilité mais l'un des freins principaux à l'achat reste le prix. » Il restera attractif pour la gamme Pharmactiv Bio, comme le promet le groupement dans le respect du double engagement écoresponsable et économique qu'il a pris. « Tous les indicateurs sont au vert sur le vrac qui se développe dans de nombreux secteurs », conclut Jonathan Yampolsky, un constat que partagent de nombreux acteurs de la filière. « La crise sanitaire avec l'utilisation massive d'objets jetables a fait monter d'un cran la conscience écologique dans la population, ajoute Ana-Elisabete Santos. Celle-ci nourrit la forte croissance du marché de la distribution en vrac et recharge. »
À l'officine, les marques cosmétiques se multiplient sous cette bannière : crème de douche bio Bul’Organic et gel lavant naturel Lab@bulles du laboratoire CPR Santé spécialisé en cosmétique liquide zéro déchet, shampoings et cosmétiques (savon, baume bio, huile démaquillante, dentifrice en poudre, crème au calendula bio) solides Druydes, Eco-Shampoing solide dans la gamme Lait d'ânesse, cosmétiques solides Lamazuna…
Si, aujourd'hui, le vrac ne dépasse pas 1 % du marché total de la distribution en France, il pourrait rapidement atteindre 15 %. « En 2015, le chiffre d'affaires du secteur global du vrac était de 150 millions d'euros, indique Lucia Pereira, directrice des affaires juridiques de l'association Réseau Vrac. En 2020, il représentait 1,3 milliard d'euros et on estime qu'il pèsera 3,2 milliards en 2025. » Un potentiel de croissance remarquable qui, s'il s'applique au rayon cosmétique de l'officine, serait conforté par la récente étude Sensé/Cosmébio (juillet 2021) qui révèle que 40 % des Français achètent régulièrement des cosmétiques en pharmacie et 64 % d'entre eux sont acheteurs de formules bio. Pour autant, le référencement de cosmétiques dispensés en vrac ou recharge n'est pas sans contraintes pour l'officine qui doit remplir plusieurs obligations : « Se déclarer en tant qu'établissement de conditionnement primaire à l'ANSM ; respecter les règles d'hygiène communiquées par le fournisseur (formation des équipes) afin de sécuriser les opérations de remplissage ; afficher les règles de nettoyage et d'aptitude des contenants ; s'assurer de l'étiquetage du flacon avec les mentions légales ; former une personne de l'équipe aux risques spécifiques de la vente de produits cosmétiques en vrac. »
Un investissement qui, s'il fait consensus, sera payant en terme environnemental selon un rapport** du WWF. L'utilisation pendant un an d'un gel douche en vrac permet d'économiser 20 000 tonnes de déchets plastiques, 34 500 tonnes d'émissions de gaz à effet de serre et 260 000 mètres cubes d'eau. Sur la même période, l'usage d'un savon solide comparé à un gel douche en flacon jetable occasionne une réduction de 22 000 tonnes de déchets plastiques et 69 % d'émissions de gaz à effet de serre.
* Vente - en libre-service ou service assisté - au consommateur de produits présentés sans emballage, en quantité choisie par le consommateur, dans des contenants réemployables ou réutilisables.
** « Le plastique ça n'emballe plus », rapport sur les alternatives au plastique à usage unique, WWF/EY, 2020.