Les premiers résultats cliniques commencent à dévoiler ce qui sera peut-être la prochaine révolution thérapeutique dans le domaine du traitement du VIH : les anticorps neutralisants à large spectre (bNAbs). Ces anticorps, produits par une minorité de patients séropositifs (1 à 2 %), intéressent fortement les chercheurs.
À l'étranger, des essais cliniques ont déjà été menés à leur terme, avec des résultats contrastés. Aux États-Unis, plusieurs essais en préventif avec l'anticorps VRC01, avec au total près de 2 700 volontaires, n'ont pas réussi à montrer qu'il protégeait mieux du VIH que le placebo. Mais au Danemark, l'étude de phase 2b Titan a démontré qu'une association de bNAbs et de lefitolimod (agoniste de TLR9) pendant huit semaines permettait un contrôle prolongé de l'infection.
Une action sur les réservoirs
En France, un essai clinique ANRS-Rhiviera a débuté en 2023 avec les équipes d’Asier Sáez-Cirión et d’Hugo Mouquet à l’Institut Pasteur, en coordination avec l’AP-HP, pour tester l’effet conjoint d’une trithérapie antirétrovirale et d’un cocktail de deux bNAbs à longue durée d’action chez des personnes nouvellement diagnostiquées.
Avant d'utiliser les bNAbs, « il faut faire un changement de traitement assorti de tests de sensibilité aux anticorps car toutes les souches virales ne sont pas sensibles à tous les bNAbs, rapporte Asier Sàez-Cirión, responsable de l'unité réservoirs viraux et contrôle immunitaire à l'Institut Pasteur. Les bNAbs de nouvelle génération dotés d'une espérance de vie dans l'organisme d'un an pourraient assurer une couverture thérapeutique très prolongée avec une seule administration. »
L'association avec des anti-PD1, qui pourrait booster l'effet des bNAbs, est explorée en France dans la cohorte OncoVIHAC chez des personnes vivant avec le VIH et traitées pour cancer.
Sélectionner les meilleurs anticorps
À l'occasion des 40 ans de la recherche sur le sida, le chercheur Hugo Mouquet a fait un point sur ses travaux. Son équipe a identifié et caractérisé des bNAbs isolés à partir des lymphocytes B des patients super-contrôleurs de la cohorte Visconti.
De cette manière, l'équipe est parvenue à isoler trois lignées de bNAbs. Au sein de ces trois familles, un anticorps s'est distingué, appelé 7-269, qui neutralise presque 50 % des variants connus du VIH. Dans un modèle murin, il parvenait à bloquer le virus et à provoquer la destruction des nouvelles particules virales libérées par les lymphocytes T DC4 infectés.
Les chercheurs ont ensuite analysé la réponse humorale provoquée par l'injection de cet anticorps 7-269, chez des patients humains. Ces équipes « ont obtenu des données cliniques intéressantes suggérant que les bNAbs pourraient faciliter l’élimination des cellules infectées en guidant l’action des cellules immunitaires cytotoxiques, résume le chercheur Asier Sáez-Cirión. Chez des personnes traitées par antirétroviraux puis par bNAbs, on a pu observer une modification de la qualité des cellules réservoirs, avec notamment la disparition des cellules porteuses d'un virus reproductif. »
Les antirétroviraux à longue durée d'action sont là
En France, les traitements longue durée d'action - cabotégravir (Vocabria) et rilpivirine (Rekambys) en suspension injectable à libération prolongée - sont disponibles depuis fin 2021. Avec une injection tous les deux mois, cette option thérapeutique est indiquée chez les adultes dont l'infection est déjà virologiquement contrôlée (charge virale inférieure à 50 copies/ml). Depuis juillet, le cabotégravir est aussi autorisé en Europe pour la prophylaxie pré-exposition, à raison de six injections par an.