Premier émerveillement à l’est de Siem Reap avec le temple hindou de Beng Mealea. Racines de fromagers et lianes de figuiers étrangleurs prennent d’assaut pierres et bas-reliefs sculptés, un combat à l’issue incertaine. Le regard s’attache aux détails. Danses délicates d’apsaras aériennes, épopée du Ramayana et son « barratage de la mer de lait ». Jusqu’à débusquer un énigmatique dinosaure. Mystère et charme fou ! Qui n’a pas échappé à Jean-Jacques Annaud pour son film « Deux Frères ». Nouvelle communion entre pierre et végétal au temple Ta Prohm, lui aussi livré à la loi de la jungle. Plus que centenaires, les racines enlacent et magnifient les ruines de l’œuvre de Jayavarman VII, roi bouddhiste de l’empire khmer. Ivresse d’exotisme sans modération. Plus préservée, la cité royale d’Angkor Thom est spectaculaire. Le défilé des éléphants de la terrasse d’apparat donne le ton. Autre énigme, les souriantes tours-visages du Bayon. Et surenchère à Angkor Wat, fabuleux recueil de récits ciselé dans la pierre.
On abandonne temples et jungle pour les pontons cuivrés de « l’Indochine II » et sa trentaine d'élégantes cabines. À bord, boiseries façon teck, ambiance coloniale et équipage aux petits soins. Le bateau glisse au rythme du Mékong, grand fleuve nourricier, « Mère des eaux », qui cache des centaines d’espèces endémiques de poissons. Rien d’étonnant à ce que ces derniers occupent le devant de la scène culinaire, comme le fameux prahok, condiment de poissons salés et fermentés. Tout au bonheur de la croisière, chacun s’imprègne du Mékong. Né des hauts plateaux himalayens, le fleuve traverse six pays et alimente le Tonlé Sap, grande étendue d’eau douce. Sur les berges, vert tendre de rizières bordées de palmiers et vert plus soutenu de forêts tropicales luxuriantes. Fondu enchaîné d’habitations sur pilotis, maisons flottantes et villages lacustres. Tandis que l’imperturbable « Indochine II » croise barges, sampans à voiles et barques si chargées de fruits, légumes et poissons locaux qu'on craint le pire. Mais l’horizon devient estampe… Le gong du bateau réveille les papilles. La promesse de raffinements culinaires pour lesquels parfums poivrés de Kampot, coriandre et citronnelle ont leur mot à dire. Autant que nous ...qui avons tenté l’aventure de quelques insectes grillés !
Escale à Kampong Chhnang. Ici, les guirlandes d’instruments de pêche revendiquent l’activité piscicole. Mais les collines d’argile ont aussi favorisé un savoir-faire de potier. On admire la technique d’une jeune Cambodgienne dont le nouveau-né sommeille dans un hamac à l’ombre. À quelques mètres, un vénérable malafoutier escalade un thnot (palmier à sucre), armé de sa seule agilité et d’un krama – emblématique couteau suisse du peuple khmer, ce tissu à damiers en coton devient pare-soleil, porte-outils ou sac lors des récoltes… Autre escapade, en char à bœufs, jusqu’au monastère bouddhique de Wat Kampong Tralach Leu. Entre encens et fresques végétales centenaires, nous recevons la bénédiction d’un bonze tout d’orange drapé. De malicieux gamins troquent quelques pièces contre cafards géants, fleurs de lotus ou bijoux d’argent.
Capitale en vue. Palais royal, pagode d’argent, musée national d’Arts khmers…, comment imaginer Phnom Penh au cœur du génocide perpétré par les Khmers rouges ? En un seul jour d’avril 1975, la ville est vidée de ses 2 millions habitants. Quatre années de terreur saisissent le Cambodge, avec des victimes dans toutes les familles. Une tragédie qui a volé les rêves de médecine de Kimlinn Suong, l’un de nos guides. Difficile d’esquiver la visite du centre de torture S-21 dirigé par Douch, bourreau du régime de Pol Pot. Résilient, le Cambodge se relève vaillamment.
Déjà, « l’Indochine II » appareille vers le Vietnam. Exit le krama khmer. Place au nón-lá, le chapeau conique vietnamien. Étals vertigineux, vendeurs ambulants, l’animation bat son plein. Dans la ville-frontière de Chau Doc, effluves d’encens et ferveur des foules au temple Ba Chua Xu et à la pagode Tay An. À Sa Dec, dans la moiteur du marché local, la pêche du jour s'expose entre fleurs et légumes : des dizaines de bassines de poissons-chats, tilapias, serpents d'eau, grenouilles ou rats dépecés. Fleuron de l’horticulture Sa Dec est aussi la ville où Marguerite Duras a grandi ; impossible de rater la maison de l’amant chinois, immortalisée dans son roman éponyme. Un peu plus loin, allez savoir pourquoi, Victor Hugo s’affiche dans l’antre multicolore d’un temple syncrétiste caodaïste.
Nouvelle escale à l’île de la Licorne, où ni l’alcool de serpent, ni le contact peau à peau avec un python n’égaleront la beauté apaisante des arroyos bordés de palmiers d’eau. Et vogue le navire vers la trépidante Ho Chi Minh-Ville. L’ex-Saïgon se métamorphose. Une skyline émerge. La mégapole palpite au rythme de ses 13 millions d’habitants et 8 millions de scooters ! Incroyables scènes de rue où d’intrépides piétons et tuk-tuk s’imposent dans les flots de la circulation. Mais la ville conserve les empreintes de son passé. Le pittoresque marché de Cholon, « petite Chine » à lui tout seul, la cathédrale de briques importées de France et la poste de Gustave Eiffel peuvent encore en témoigner.