Selon eux, les actes des pharmaciens restent marqués par les « biais » culturels des groupes sociaux dont ils sont issus, et qui faussent non seulement leurs jugements, mais les coupent aussi des besoins réels des « minorités marginalisées », notamment raciales ou de genre, ou victimes de « l’intersectionnalité ». Ce décalage amène le patient à douter du professionnel, ce qui nuit au bout du compte à l’efficacité de l’acte de soin.
Professeur de pratique pharmaceutique à la Midwestern University, une université privée américaine, Sally Arif appelle ses confrères à « désapprendre leurs biais culturels » tout en recherchant non pas « l’égalité » mais « l’équité », c’est-à-dire le comportement ou l’acte adapté aux groupes défavorisés. À l’issue de son exposé, elle a invité les pharmaciens à prendre, tous les jours, de nouvelles résolutions pour « changer leur comportement vis-à-vis des biais et du racisme »… et à les publier en ligne. Que l’on parle de wokisme exacerbé ou de nouvelle responsabilité sociale, chaque pharmacien jugera de l’opportunité de suivre au quotidien ces recommandations.
Remise en cause
Enseignant pendant la semaine à l’université de Sydney et exerçant en officine les week-ends, Jack Collins est un jeune pharmacien australien. Il s’est attaché à rechercher les « biais implicites » dans la pratique des pharmacies de sa ville, en y envoyant des « patientes mystère » issues de groupes ethniques et « raciaux » différents, venant toutes demander un conseil ou un avis pour des affections identiques. Il s’est aperçu que, selon l’origine des patientes, les pharmaciens leur posaient d’une à quatorze questions, sur des tons et à des rythmes variables, et leur proposaient des produits différents. Il appelle lui aussi les pharmaciens à sortir du discours de responsabilisation individuelle sur la santé, pour mieux prendre en compte l’environnement social et culturel de leurs patients, ce qui passe par une « remise en cause » de comportements professionnels du pharmacien. Toutefois, admet-il, « nous ne changerons pas la mentalité des pharmaciens du jour au lendemain », mais il faut selon lui que les universités « intègrent ces exigences dans leur enseignement pour préparer l’avenir de l’exercice pharmaceutique ».
Pourtant, ont montré les « index d’inclusivité de la santé » réalisés par plusieurs universités à travers le monde, les pharmaciens sont beaucoup mieux préparés à l’accueil et à la prise en compte de la diversité et des minorités que ne le sont d’autres professionnels de santé, comme les médecins. À l’image des pharmacies japonaises et françaises, a souligné la responsable britannique de l’un de ces « index », les officines sont nombreuses et facilement accessibles à tout le monde, et leur personnel connaît bien les « communautés » au milieu desquelles elles se trouvent. Mais toutes les pharmacies de la planète ne partagent pas forcément ces atouts, surtout dans les pays où elles sont rares et difficiles d’accès, pour des raisons géographiques ou financières, en particulier dans plusieurs pays africains.