LE QUOTIDIEN DU PHARMACIEN. – Quels sont les meilleurs moments que vous retiendrez de ces treize années passées à la tête de l’APR ?
YVES TROUILLET. – Mon accession à la présidence de l’APR est due à un pur hasard de la vie. Ce n’était pas pour moi un but. Ce sont les circonstances qui m’ont conduit à assurer cette fonction à la suite du décès du président de l’époque, Georges Seguin. Puis, j’ai pris plaisir à défendre les pharmaciens exerçant en milieu rural. La pharmacie rurale est un sujet noble. L’un de mes plus grands souvenirs restera l’élaboration, en 1999, du protocole État-officine. Celui-ci prévoyait en effet d’accorder le droit de substitution aux pharmaciens et de mettre en place la loi de répartition démogéographique des officines sur le territoire. La deuxième grande réussite à mes yeux, est notre combat sans relâche contre l’intégration du budget médicament dans le forfait de soins des maisons de retraite. Le rapport réalisé par l’IGAS* sur le sujet nous donne d’ailleurs aujourd’hui raison. Enfin, autre grande victoire pour la profession à laquelle nous avons participé pleinement, l’adoption de l’article 38 de la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) définissant l’ensemble des missions du pharmacien.
Quels sont vos regrets ?
Je n’en ai aucun. Ou plutôt je n’en n’aurais qu’un seul : la non-publication du rapport de l’IGAS sur l’expérimentation de l’intégration du médicament dans le forfait de soins des EHPAD** que j’évoquais précédemment. Il devait être remis à l’automne aux parlementaires. Or personne n’a encore rien vu. En fait, je pense qu’il nous est trop favorable. D’après ce que nous en savons, il reconnaît ce que nous avons toujours soutenu à l’APR, à savoir qu’il ne fallait pas une réglementation uniquement comptable du médicament dans les EHPAD. Même les directeurs de maison de retraite sont d’accord sur ce point. Ils ont besoin de leur pharmacie de proximité. Autre bonne nouvelle mise en évidence dans le rapport, la valeur ajoutée apportée par le pharmacien référent.
Pensez-vous que la proposition du gouvernement pour revaloriser la marge est une bonne solution pour l’économie des pharmacies rurales ?
Aujourd’hui, la pharmacie souffre. Et la proposition du gouvernement d’augmenter de 3 centimes d’euro le forfait à la boîte est un emplâtre sur une jambe de bois. Pour moi, les pouvoirs publics doivent revoir complètement leur copie. Notre système de marge actuel n’est plus adapté du fait de la compression des volumes et de la baisse des prix des médicaments remboursables. Nous sommes au bout d’un cycle et notre rémunération doit être revue. L’arrivée des grands conditionnements a déstabilisé notre économie. Et pour remédier à la perte de marge qu’ils entraînent, il faut relever le palier de la première tranche, comme le propose la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France. Parallèlement, il faut aller sur la voie des nouvelles missions rémunérées. Tout reste à imaginer dans ce domaine, mais en ayant toujours la qualité en ligne de mire. D’autant que nous disposons d’un outil formidable pour y parvenir, le dossier pharmaceutique.
Comment voyez-vous l’avenir de la pharmacie rurale ?
Il y aura certainement un peu de casse dans les petites communes. Même si nos officines sont quelque peu préservées de la concurrence, mieux vaudrait qu’elles se restructurent pour former des entités plus importantes tout en maintenant des services de proximité pour les patients. La loi HPST va changer les mentalités et la façon d’exercer. Une évolution qui convient parfaitement à nos jeunes confrères qui souhaitent exercer pleinement leur métier et être de véritables professionnels de santé. Le point d’interrogation reste bien sûr la désertification médicale. S’il n’y a plus de médecins dans les campagnes, on ne pourra pas assumer seuls le rôle de professionnel de santé publique. Quoi qu’il en soit, je crois que la pharmacie rurale a encore un bel avenir devant elle. À l’APR, une nouvelle équipe va arriver. J’espère qu’elle restera dans l’esprit qui nous a animés ces dernières années, c’est-à-dire être avant tout des rassembleurs de la profession. Je cède ma place, mais tout ne sera pas pour autant bouleversé. Par exemple, la secrétaire administrative qui m’a assisté jusqu’ici, et qui connaît parfaitement les dossiers, reste et sera un maillon essentiel de l’APR pour assurer la continuité du travail accompli. Et si mon successeur me le demande, je répondrai encore aux questions de mes confrères. Car, même dans ma nouvelle fonction ordinale, je garderai toujours ma casquette de pharmacien rural. Enfin, je tiens également à remercier tous les confrères qui m’ont fait confiance, tous les présidents des autres instances professionnelles, la presse pharmaceutique, les laboratoires et les grossistes répartiteurs pour le soutien sans faille qu’ils m’ont apporté.
** Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes.
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