CETTE QUESTION de la part de patients concernant la pertinence de prescriptions médicales nous est assez souvent posée, et nous met parfois dans un grand embarras. Hormis des prescriptions relatives à quelques pathologies complexes (cancers, maladies cardiaques complexes, psychoses profondes…) pour lesquelles nous ne possédons aucun des éléments qui ont permis de poser le diagnostic, d’autres, par contre, nous mettent mal à l’aise : celles qui contiennent une molécule ayant un rapport bénéfices/risques nettement défavorable.
Parmi celles-ci, un cas exemplaire tend à se multiplier : la substitution par des NACO (nouveaux anticoagulants oraux) d’antivitamines K et d’héparines de bas poids moléculaire, alors que les traitements par ces derniers sont totalement équilibrés. À signaler que ce type de situations n’a rien à voir avec l’instauration de nouveaux traitements suite à la découverte d’une nouvelle pathologie ou avec l’instabilité de paramètres biologiques.
La question « Vous en pensez quoi, vous ? » nous est adressée à nous, personnellement, que la personne ait consulté ou non la notice informative présentant le médicament. La liste des effets secondaires reste toujours impressionnante pour un profane qui, généralement, s’aventure peu en dehors de cette liste. Mais pour ce type de famille pharmacologique, le plus important pour nous est mentionné très discrètement au sein de la rubrique surdosage : « Aucun antidote spécifique permettant de contrer les effets pharmacodynamiques du ... n’est disponible ». La question de notre patient nous renvoie à cette question cruciale : qu’est-ce que je fais de cette information ?
Les questions semblables concernant des molécules au rapport bénéfices/risques nettement défavorable nous mettent dans une situation de conflit éthique. Pour nous aider dans cette réflexion, les principes déontologiques et juridiques qui régissent notre profession peuvent-ils nous apporter des éléments de réponse ? Un rapport de juin 2008 de l’Académie de pharmacie mentionne que « les professionnels de santé en charge du patient sont la première source d’information et doivent le rester », précisant que cela concerne « notamment le pharmacien du fait de sa proximité, de sa formation et de sa capacité à donner une information individuelle au patient adaptée à une situation particulière ». Par ailleurs le code de Santé publique (article L1111-4) indique que « toute personne prend avec le professionnel de santé, et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé ». De son côté, la loi du 4 mars 2002 a confirmé une obligation de donner une information totale au patient, y compris sur les traitements qui lui sont proposés. La Convention européenne des droits de l’homme et de la médecine (Ch 2, art 5-34) affirme que « les patients doivent être renseignés, en particulier sur les améliorations qui peuvent résulter du traitement, sur les risques qu’il comporte (nature et degré de probabilité), ainsi que sur son coût ». Enfin notre code de déontologie stipule bien que « le pharmacien doit répondre avec circonspection aux demandes faites par les malades ou leurs préposés pour connaître la nature de la maladie traitée ou la valeur des moyens curatifs prescrits ou appliqués » (article R5015-46).
Il est un mot sur lequel nous buttons tous : circonspection. S’agit-il d’en dire le moins possible, tout en rassurant dans une posture paternaliste notre patient à l’aide d’un « Ne vous inquiétez pas tant ! Faites-nous confiance » ? Ou faut-il agir avec une certaine réserve à l’aide d’un discours standard, avant tout pour ne pas froisser les prescripteurs ? Ou prendre contact avec ce prescripteur pour lui faire part de nos interrogations, quitte à se faire remettre en place par un « Ne vous tourmentez pas, j’ai maintenant l’habitude de le prescrire ! ». Selon l’étymologie du mot, circonspection correspond à l’action de regarder autour. C’est dire toute l’importance de la prise en compte de la singularité de la situation et celle d’inventorier les différents paramètres qui interagissent dans chacune des situations. Démarche éthique exemplaire.
Les aspects clinique et biologique sont, bien sûr, à évaluer, la consultation du prescripteur à envisager, mais la disposition d’esprit du malade n’est surtout pas à oublier. Pour les raisons suivantes :
• On parle bien souvent de confiance dans les relations patients/professionnels de santé. Mais cette confiance du patient à notre égard n’est plus assurée comme auparavant. Cette confiance doit être gagnée, car elle est aujourd’hui décidée par le patient. À nous de nous montrer dignes de confiance.
• On a démontré le caractère multifactoriel et multidimensionnel de l’observance car celle-ci ne peut s’imposer de l’extérieur. Prendre soin de soi, a fortiori dans une vie de malade, demande du temps et les idées claires à propos de la qualité de la prise en charge. Raison de plus pour éliminer les moindres tourments en répondant au mieux à leurs questions.
• Quant à la personne soignée, elle se vit comme doublement dépossédée et atteinte dans son identité : d’abord la santé l’a quittée, de son nouvel état, elle ressent comme une perte ; ensuite être soignée, c’est avoir perdu une part d’autonomie. Il est donc nécessaire d’être aux côtés de la personne pour qu’elle se sente un peu moins objet de soins, passive et résignée, et davantage reconnue comme sujet et « maître à bord » de sa vie.
Alors, vous en pensez quoi, vous ? Le recours aux principes déontologiques et juridiques de notre profession et à certaines données de psychologie, nous aide à avancer dans la résolution de tels conflits. Mais il est sûr que l’éthique ne peut pas être que du côté de l’Ordre, et que la relation de soin vise prioritairement à accompagner l’autre dans son désir de se soigner au mieux.
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