LE FLORILÈGE s’ouvre avec un grand bol d’air frais, vicié par les relents de charogne d’innombrables cadavres. Dans « Berezina » (1), Sylvain Tesson raconte le périple qu’il a effectué dans un side-car avec quatre compagnons depuis la rivière Berezina, dans l’actuelle Biélorussie, jusqu’à Paris. Une épopée – parfois réjouissante, étant donné le style de monture – qui visait à célébrer les 200 ans de la Retraite de Russie et qui était une façon pour l’écrivain-voyageur de renouveler l’aventure. Le livre est constitué d’allers et retours permanents entre l’Histoire en compagnie des Grognards et la géographie des 4 000 km parcourus en douze jours.
Son voyage de mémoire conduit au final l’auteur à s’interroger sur les notions d’héroïsme et de patrie aujourd’hui, regrettant que « la paix, la prospérité, la domestication » nous aient fait nous replier sur nous-mêmes, avec, comme seuls horizon et destinée, « acheter des choses ».
Intitulé familièrement « Alexis », sous-titré « Ou la vie aventureuse du comte de Tocqueville » (2), le roman biographique de Christine Kerdellant est un livre d’aventures échevelées, bien loin de l’image figée que l’on se fait du penseur politique (1805-1859), à qui l’on doit notamment « De la démocratie en Amérique ».
Sans ignorer totalement les travaux de ce visionnaire, qui devint le héraut de la démocratie en dépit de sa naissance aristocratique, l’auteure détaille les péripéties de ses voyages dans le Nouveau Monde, sa vie chez les Indiens, son naufrage sur le Mississippi… et surtout ses aventures amoureuses, qui l’ont conduit à se battre en duel à 17 ans et à épouser, envers et contre sa famille et sa caste, une Anglaise roturière, protestante, pauvre et son aînée de six ans.
Considéré comme un auteur qui encourage depuis toujours le dialogue interreligieux, Marek Halter poursuit avec « Fatima » (3) sa trilogie des « Femmes de l’Islam », inaugurée par « Khadija ». Après la mort de cette dernière, le Messager d’Allah, ses fidèles et leur fille Fatima, persécutés, émigrent jusqu’à Yatrib, où ils sont accueillis par la communauté juive. Mais bientôt Muhammad épouse Aïcha, la très jeune fille de son compagnon Abu Bakr, tandis que Fatima est mariée à Ali, l’un des fils adoptifs de son père ; elle donne naissance à Hassan. Le conflit qui va diviser le monde musulman se dessine déjà : qui sera l’héritier du Prophète ? La lignée d’Hassan, dont se réclament les chiites ? Ou celle d’Abu Bakr, dont se réclament les sunnites ?
Au tournant des XVe et XVIe siècles, deux Florentins se sont imposés dans la ville des Médicis, l’un par son fanatisme, l’autre par son cynisme. Dans « Machiavel et Savonarole. La glace et le feu » (4), Max Gallo dresse le portrait de ces hommes que tout oppose mais qui ont été tous les deux des prophètes d’une certaine manière. Le dominicain Jérôme Savonarole a rempli les églises en prêchant la justice, l’égalité et une distribution des richesses, avant d’être condamné par l’Inquisition, pendu et brûlé. À l’inverse, Nicolas Machiavel a accédé au pouvoir par le calcul, en dédiant notamment à Laurent le Magnifique son essai « le Prince », où il argue que la meilleure manière de conserver le pouvoir est d’allier « la ruse du renard » à « la force du lion ».
La passion est éternelle et Jean Teulé nous en convainc une nouvelle fois de façon magistrale en revisitant dans « Héloïse, ouille ! » (5) les amours authentiques mais mythiques d’Héloïse, nièce du chanoine Fulbert, et de son précepteur, le philosophe et théologien Pierre Abélard. Il met ainsi un terme – dans une langue verte moyenâgeuse réjouissante – à la réserve des historiens qui n’ont jamais évoqué les mots ni les gestes qui ont uni le couple pendant un an et demi. Et qui a abouti à la castration d’Abélard, chacun des amants se retirant ensuite dans un couvent, mais sans jamais renier leur amour. Seul le tombeau les a réunis.
Révéler des visages méconnus de souverains est le propos de deux livres. Dans « le Roi des rêves » (6), Isaure de Saint Pierre réhabilite Louis II de Bavière. Il n’était pas fou, à l’inverse de son jeune frère Othon ; il était homosexuel, mais il a lutté toute sa vie contre ce penchant contraire au puritanisme du XIXe siècle ; il n’était pas le débauché un peu vulgaire décrit dans le film de Visconti, mais épris de beauté et de perfection ; il préférait les forêts de Bavière aux mœurs rigides de la cour, mais il n’a pas négligé ses devoirs de roi et il a cherché à préserver la paix en s’opposant à Bismarck.
Hanne Egghardt nous plonge de son côté dans l’intimité de la famille impériale d’Autriche. Dans « Sissi et ses enfants » (7), elle rappelle combien l’impératrice d’Autriche a été meurtrie dans son rôle de mère. Ses deux premières filles lui ont été retirées pour être confiées l’une à sa belle-mère, l’autre à sa grand-mère ; Sophie mourut à 2 ans, Gisèle a été mariée à 16 ans. Son fils unique, le prince héritier Rodolphe, s’est suicidé à Mayerling. Ce n’est qu’avec Marie-Valérie, née dix ans plus tard, qu’elle a enfin pu nouer une relation maternelle.
Quant à Michel Maisonneuve, il retrace, dans « l’Histrion du Diable » (8), une fiction bâtie sur une trame historique qui se déroule entre 1378 et 1450, la naissance du premier Arlequin et les débuts de la Commedia dell’Arte. À l’aube du Quattrocento, on suit la trace du petit colporteur Angelo Naselli, dit Lecchino, baladin dans l’âme, qui, au fil de ses pérégrinations, va créer l’habit dont chaque couleur contient une part de sa propre histoire, puis le masque. Une errance tantôt joyeuse, tantôt désespérée, en Italie et en Provence, ravagées par la disette, la peste et les guerres, parsemée de rencontres multiples.
(2) Robert Laffont, 470 p., 22 euros.
(3) Robert Laffont, 334 p., 21,50 euros.
(4) XO Éditions, 355 p., 19,90 euros.
(5) Julliard, 333 p., 20 euros.
(6) Albin Michel, 233 p., 18 euros.
(7) Pygmalion, 242 p., 22,90 euros.
(8) Gaïa, 520 p., 22 euros.
Insolite
Épiler ou pas ?
La Pharmacie du Marché
Un comportement suspect
La Pharmacie du Marché
Le temps de la solidarité
Insolite
Rouge à lèvres d'occasion