IL FAUT D’ABORD jeter un coup d’œil sur les ruines : les étudiants étrangers qui ont choisi de suivre des cours en France sont écœurés ; dans un quart environ des universités, l’année est probablement perdue, le Premier ministre, François Fillon, ayant annoncé qu’il n’était pas question de délivrer des diplômes au rabais et qu’au mieux, les examens seraient reportés à la rentrée, ce qui laisse entendre que, si le mouvement continue, ils n’auront lieu qu’en 2010.
Dans le reste du monde, les universités ne sont pas paralysées. Si je suis coréen ou africain, j’irai voir ailleurs. Qu’est-ce qui a pu nous conduire à un tel désastre ? Le gouvernement souhaite moderniser l’université. Derrière ce mot-fétiche, moderniser, il y a bien sûr une philosophie libérale. Il s’agit de rendre progressivement autonomes toutes les universités de France et de rejoindre, en quelque sorte, le modèle dit anglo-saxon. En vertu de ce modèle, les titres universitaires ont une valeur liée à leur prestige (Harvard ou Oxford) et les universités n’ont plus qu’un lointain rapport avec le pouvoir politique puisque leur financement est assuré par le mécénat. Harvard ou Yale, et beaucoup d’autres universités américaines possèdent des cagnottes de plusieurs dizaines de milliards de dollars. Il se peut que la crise actuelle affecte leur financement, mais, pour le moment, il fait bon y enseigner et s’y instruire, en notant cependant que les étudiants paient, la plupart du temps, des sommes annuelles considérables et s’endettent pour dix ou quinze ans. Des qualités, donc, mais aussi un grave défaut, celui que confère l’argent.
L’État français n’a pas l’ambition de faire financer l’enseignement supérieur par les entreprises du jour au lendemain. Il prévoit une concurrence entre les établissements qui faire hurler de rage les enseignants et étudiants. Il accorde aux universités une autonomie progressive qui est indispensable à la créativité et à la qualité de l’enseignement. Nous avons vu nos enfants manifester en en expliquant qu’ils ont le « droit » d’accumuler des connaissances de culture générale qui ne les aident pas nécessairement à trouver un emploi. C’est l’histoire de « la Princesse de Clèves » dont Nicolas Sarkozy disait naguère qu’il ne fallait pas l’avoir lu pour réussir au concours d’entrée à La Poste. Ce discours contient du bon sens mais il a été accueilli par un concert de sarcasmes qui se poursuit encore et, dans les rassemblements contre la réforme, on lit à haute voix « la Princesse de Clèves » ; c’est parfait car c’est un fort beau livre, mais quoi ? Pourrait-on passer à une discussion plus sérieuse ?
Dans les universités autonomes créées par la réforme, les conseils d’administration sont responsables à 100 % de leur budget. Ce qui signifie que, quelle que soit la source de leur financement, elles devront afficher un résultat. Un bon résultat, c’est qu’un étudiant qui sort de l’université trouve très rapidement un emploi. Le modèle libéral, c’est ça. Mais la méthode, forcément, crée des incertitudes et des risques. Le financement par l’État doit être progressivement remplacé ou complété par des financements privés ; or on ne perçoit pas encore, dans le monde français des entreprises, un goût prononcé pour la formation en amont des futurs professionnels. Disons-le sans périphrase : l’étudiant et l’enseignant français haïssent tout bonnement ce système. Les enseignants sont beaucoup moins alarmés par le niveau insuffisant de leurs rémunérations qu’ils ne sont inquiets des effets d’un système où une fondation privée paie indirectement leurs salaires.
La Loi LRU (loi sur les libertés et les responsabilités des universités) qui a été adoptée à l’été 2007 soulève d’autres problèmes d’application : elle transfère aux présidents d’universités la gestion des carrières des personnels. Ce qui entraîne l’épineuse question de l’évaluation de chaque enseignant : combien d’heures d’enseignement il accomplit, combien d’heures il consacre éventuellement à la recherche. Le décret d’application, qui devrait être publié incessamment, confie la moitié de l’évaluation aux universités et l’autre moitié au CNU (Conseil national des universités). Tant qu’on n’a pas éprouvé le système, on ne peut pas dire s’il est bon ou mauvais. La vigueur du refus des enseignants semble indiquer qu’ils sont, par principe, opposés à tout changement, tout en affirmant jour après jour, qu’ils sont favorables à une réforme, mais pas celle que propose le pouvoir. La « mastérisation » de la formation des maîtres, sujet trop technique pour que nous en rendions compte ici, est une autre pomme de discorde, et enfin, la recherche fait l’objet d’une très vive querelle entre le gouvernement et les chercheurs parce que le premier crée des pôles d’excellence (130 chaires au total) qui sont autant de points de friction.
M. Sarkozy a certainement commis des maladresses, comme sa référence à « la Princesse de Clèves », qui est apparue comme une atteinte à la culture nationale dans ce qu’elle a, justement, de plus exaltant, ou quand il a comparé défavorablement les chercheurs français aux chercheurs étrangers. Le gouvernement a aussi fait de nombreuses concessions, dont pâtit la profondeur de la réforme, avec l’espoir de faire taire les manifestants. Dans ces colonnes, nous avons toujours soutenu l’esprit de réforme, la nécessité du changement et la volonté de moderniser des institutions souvent sclérosées. Il nous semble qu’un énorme volume de conservatisme s’oppose, comme les congères sur une route que balaie la tempête, au mouvement de la société française. Il nous semble que si les uns et les autres étaient raisonnables, on ne serait pas arrivé à une paralysie plus que néfaste de l’université. Il nous semble que, deux ans après l’accession de Nicolas Sarkozy à la magistrature suprême, la réforme de la France, au sens large, perd de son énergie cinétique.
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