Lorsqu’un scientifique est informé d’une expérimentation répréhensible, doit-il garder le silence au nom de la confidentialité entre pairs ou dénoncer ce programme ? Telle est la question que pose le dernier rebondissement de l’affaire des bébés génétiquement modifiés en Chine.
En novembre 2018, He Jiankui, de l’université de Shenzen, annonçait la naissance de deux fillettes dont l’ADN avait été manipulé grâce à l’outil d’édition CRISPR, afin de leur conférer une hypothétique protection contre le virus du sida. Une expérience réalisée en dehors de toute concertation éthique. L’agence Associated press a révélé la semaine dernière que le prix Nobel américain Craig Mello, codécouvreur du mécanisme d’interférence à ARN, était informé de ce projet dès le départ. Il était d’ailleurs membre du comité scientifique de Direct genomics, l’entreprise de He Jiankui.
« Je préfère ne pas être tenu informé »
L’agence a eu accès à ses mails. Dès le mois d’avril 2018, He Jiankui l’informe du succès de la première grossesse : « les embryons au gène CCR5 édité ont été transférés il y a 12 jours et une grossesse est confirmée aujourd’hui ! », écrit le généticien chinois. « Je suis heureux pour vous, répond Craig Mello. Mais je préfère ne plus être tenu informé. Je pense que cela ne répond à aucun besoin médical réel et n’encourage pas l’utilisation de CRISPR dans ce type d’indication. Vous mettez en jeu la vie de l’enfant dont vous avez édité le génome ». Craig Mello gardera le silence sur ces manipulations et se retirera du conseil scientifique de Direct genomics le 6 décembre 2018, après la révélation des naissances.
Comment expliquer un tel mutisme ? Ce comportement dénote de la culture du silence qui règne dans le milieu de la recherche. « La délation entre scientifiques est bien difficile », reconnaît Axel Kahn, généticien et essayiste. En outre, « un scientifique a toujours la peur d’être considéré comme un frein à l’avancée de la science, note Jean-François Delfraissy, président du Comité national consultatif d’éthique.Néanmoins, il a une forme de responsabilité sociétale et politique. À certains moments, un scientifique doit prendre cette responsabilité. Le comité Nobel devrait le sanctionner pour ne pas l’avoir fait ».
Culture du silence
Pour Hervé Chneiweiss, neurologue et président du comité d’éthique de l’Inserm, « la conjugaison des deux principes essentiels au fonctionnement de la science, la transparence et l’intégrité, aurait dû conduire Craig Mello à dénoncer une conduite scientifique de secret et de manque à l’intégrité. Il aurait dû immédiatement se retirer du conseil scientifique de la société de HE ». Ainsi, pour le neurologue, la culture du silence qui existe dans le milieu scientifique ne doit pas toujours primer. « C’est une mauvaise interprétation de l’obligation de confidentialité, appuie-t-il. Ce qui doit rester confidentiel tant que la publication n’est pas faite, c’est l’objectif du projet, les méthodes utilisées, les idées originales présentées. Mais si un projet, un programme, une méthode, sont contraires à l’éthique scientifique ou à la déontologie, il n’y a plus de confidentialité qui tienne, il y a une obligation au contraire de divulgation ».
Reste à savoir auprès de qui. « Craig Mello aurait pu consulter les référents éthiques et édition du génome de l’académie des sciences américaines », assure Hervé Chneiweiss. Au niveau mondial, le scandale des bébés génétiquement modifiés a fait bouger les lignes. S’il est jugé impossible de créer un comité d’éthique international compte tenu des différences profondes de points de vue d’un pays à l’autre, l’OMS va lancer début mars un comité ad hoc sur l’édition du génome. « Il aura vocation à émettre des recommandations et être une caisse de résonance pour un certain nombre de chercheurs, afin de savoir jusqu’où ils peuvent aller en matière de manipulation et pouvoir avoir une prise de position internationale sur le sujet », précise Jean-François Delfraissy. La France y siégera.
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