« TRAVAILLER avec une maison de retraite ne s’improvise pas. Cela nécessite un lourd investissement, une organisation, une dynamique de groupe entre le pharmacien référent, l’équipe soignante, le médecin et l’infirmière coordonnateurs, les résidents, le directeur, les prescripteurs… Pourquoi ne verrait-on pas se développer des officines spécialisées en gérontologie comme il existe des médecins spécialistes ? » suggère Patrice Holveck, titulaire de la pharmacie de Carriet, à Lormont, en périphérie de Bordeaux. Travaillant depuis près de 15 ans avec des maisons de retraite, ce pharmacien de 53 ans sait de quoi il parle.
Aussi, c’est tout naturellement qu’il a accepté de participer à l’expérimentation sur l’intégration des médicaments dans le budget de soins de deux EHPAD de son secteur**. Pour lui, c’est une reconnaissance du travail accompli par les pharmaciens auprès des maisons de retraite. Et s’il ne se prononce pas sur la rémunération proposée (0,35 euro par résident et par jour), il considère cette expérimentation comme une (dernière) chance pour la profession : « si les officines ne s’impliquent pas sur ce marché, il partira dans d’autres mains. »
Traçabilité et économies.
Au fil des années, Patrice Holveck a structuré son officine pour répondre aux besoins des maisons de retraite avec une ligne téléphonique dédiée, deux préparateurs et deux pharmaciens mobilisés sur ce dossier, des réunions régulières avec les personnels des établissements et la création d’outils permettant d’améliorer la qualité du service : scanérisation de toutes les prescriptions pour une totale traçabilité de l’historique de chaque patient, fiches de posologie quotidiennes, fiches de renouvellement permettant à l’EHPAD d’appeler le médecin prescripteur à la bonne date…
Une organisation qui favorise les échanges, le dialogue et les économies : « en réunion, nous lançons des débats sur l’utilité des statines après 75 ans, les effets iatrogènes, ou encore la réelle nécessité de tous les produits prescrits, explique Patrice Holveck. Mais les médecins restent maîtres de leurs prescriptions. » « Nous suivons aussi 20 molécules sensibles qui représentent 31 % des dépenses », ajoute-t-il. Jusqu’à 95 boites de paracétamol étaient ainsi dispensées chaque mois dans un EHPAD. Or les douleurs traitées ne sont pas tous les jours identiques et les professionnels se sont interrogés sur la réelle nécessité de délivrer aux patients concernés six comprimés par jour. Résultat, ce produit est désormais dispensé à la demande, selon l’intensité de la douleur, et la consommation a diminué. « De même, pour les médicaments anti-constipation, nous ne livrons pas l’intégralité de la prescription immédiatement, cela évite les stocks en établissement et les retours renvoyés à Cyclamed », indique le pharmacien référent.
Le pharmacien doit quitter son comptoir.
On le voit, Patrice Holveck n’a pas attendu l’expérimentation pour travailler main dans la main avec les EHPAD. Et il aimerait aller plus loin, voir les officines s’engager résolument sur le marché du maintien à domicile et du matériel médical. Pour lui, les pharmaciens doivent aller davantage vers le patient (livraisons, conseils à domicile), vers la préparation (rémunérée) des doses à administrer (PDA) aux personnes âgées vivant en EHPAD ou à domicile, pour plus d’efficacité, de sécurité et au moindre coût. Comment ? En achetant, par exemple, les médicaments en vrac aux laboratoires.
Autant de pistes qui, pour notre pharmacien référent girondin, « se heurtent trop souvent à l’immobilisme de la profession qui a tendance à s’opposer à toutes les évolutions plutôt que les accompagner. Ce sont des dinosaures ! s’insurge-t-il. Pour certains, travailler avec les EHPAD, c’est se prostituer. Je souhaite que, demain, ces pharmaciens qui ne veulent pas quitter leur comptoir, aient disparu. » Les mots sont durs, mais dictés par la passion d’un homme qui prône une officine inventive et humaine à la fois, et perçoit les menaces qui pèsent sur son avenir.
** « Les Côteaux » à Lormont et « Tropayse » à Bassens (Gironde).
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