On entre très vite dans le vif du sujet avec l’annonce que dans les prochaines décennies des ruptures technologiques rendront possible une transformation radicale de l’humain. Immenses mais tout aussi terrifiantes sont les mutations que les technosciences promettent. Esquissons une short list : implants cérébraux, peau artificielle, amélioration et régénération des corps, bébés à la carte. Certains n’hésitent pas à proclamer que « l’homme qui vivra mille ans est déjà né » !
De fait, la confusion peut se faire dans les cerveaux entre ce qui relève du délire de science-fiction et des créations-améliorations qui sont déjà l’essai. Ainsi des organes artificiels sont testés, comme un garage fabriquant les pièces de rechange d’une automobile. Et les retombées sont multiples, par exemple dans le domaine des psychothérapies, avec des implants qui peuvent agir sur nos dépressions et troubles bipolaires.
On peut aussi imaginer des conséquences sociopolitiques, avec une société à deux vitesses, clivée entre ceux qui sont hybrides et connectés et ceux qui ne seront pas jugés dignes de recevoir les jonctions entre différentes techniques, par exemple technologies de l’information et médecine, l’idéal à terme étant le lien entre les organes et l’ordinateur.
Fabriquer de l'humain
Les analyses critiques de Jacques Testart et Agnès Rousseaux frappent par leur justesse. Les auteurs se défendent de tout passéisme commode. « Personne ne s’opposera jamais à ce que les tétraplégiques marchent », disent-ils. Ce qu’il convient d’examiner, c’est la question même de l’humain.
En effet, le projet transhumaniste se présente comme relayant l’évolution et prétend par là même « fabriquer de l’humain ». On développe des expérimentations sans véritablement se poser le problème des « fins » chères à Emmanuel Kant, bref on joue aux apprentis sorciers.
D’autres conséquences sont bien mises en évidence. « L’homme de demain ne s’invente pas seulement dans la SiliconValley mais aussi dans les labos européens, soulignent les auteurs. Un marché très lucratif se développe, encouragé par les pouvoirs publics qui délivrent des crédits pour s’imposer dans la compétition mondiale des innovations et brevet. »
À terme se poserait le problème de la possibilité de refuser cette mainmise de la technique sur l’humain. « Quelle idéologie peut s’imposer à ceux qui n’ont rien demandé ? » Et de songer au fantasme évoqué à la fin d’« Orange mécanique », le film de Stanley Kubrick, lorsque le Premier ministre impose son pouvoir neurologique au malheureux Alex cloué sur son lit.
Liens dangereux
Toujours sur la corde raide entre réalisme technologique et science-fiction délirante, l’ouvrage évoque tous les liens dangereux qui se créent lorsque les machines se connectent avec nos cerveaux. Des puces intégrées dans notre cortex ne permettront-elles pas de lire dans nos pensées, de détecter à coup sûr les mensonges, ne verra-t-on pas alors la pensée en acte ?
Bien entendu, le débat sur l’intelligence artificielle est au rendez-vous. Nous voici sommés d’entrer en dialogue avec les machines et les auteurs n’ont de cesse de creuser l’immense différence entre ces deux ordres de réalités. Pourtant, comme le dit le philosophe Jean-Michel Besnier, dont l’œuvre s’articule à ce combat, « les robots sont seulement capables de distinguer entre soi et non-soi ». Il montre le danger d’un univers où disparaîtrait le symbolique et où nous n’aurions plus que des signaux, type « Appuyer sur la touche étoile ».
À terme, le but ultime des recherches transhumanistes est bien sûr l’immortalité, vaincre la mort, la mort de la mort. Cela passe par les tentatives vampiriques d’injecter du sang neuf, du sang « jeune », des entreprises déjà couronnées de succès dans le cas des souris. De nombreux milliardaires américains et la Silicon Valley ont investi dans l’immortalité, prélude à une éternité qui risque d’être bien ennuyeuse, surtout à la fin, comme dirait Woody Allen.
Les partisans du transhumanisme, tel Luc Ferry, campent sur une position assez inquiétante, mais peut-être très solide : il s’agit de dire que de toute façon cette révolution est inéluctable, qu’il faut « s’arracher de la nature », s’ancrer dans un univers où l’homme ne sera plus qu’un algorithme, un monde sans surprise. Mais, questionnent nos deux auteurs, « ce que la technologie nous fait perdre, qui nous le rendra » ?
Jacques Testart, Agnès Rousseaux, « Au péril de l'humain - Les promesses suicidaires des transhumanistes », Seuil, « Science ouverte », 272 p., 21 €.
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