BAISSE DE PRIX des médicaments, diminution des prescriptions, déremboursement, rémunération inadaptée, perte de confiance, chiffre d’affaires en berne, attaques répétées contre le monopole… Les solutions visant à sortir la pharmacie française de l’ornière peinent à sortir de terre, que ce soit la rémunération mixte ou les nouvelles missions. Conséquences : le nombre d’officines qui mettent la clé sous la porte prend de l’ampleur, et le titulaire qui essaie de sauver les meubles agit avant tout sur la variable d’ajustement la plus efficace : le personnel. Les solutions ne sont pas si nombreuses : réduire le temps de travail, supprimer les postes les plus coûteux, ne pas remplacer certains départs, privilégier l’embauche d’un préparateur plutôt que celle d’un adjoint…
Rien de véritablement nouveau, si ce n’est que la tendance s’installe, comme l’explique Armand Gremeaux, directeur du cabinet de recrutement Pharm-Emploi, dont le champ d’action s’étend à toute l’Ile-de-France. « Depuis un certain temps, je ne reçois que des demandes de recrutement de préparateurs, et quasiment aucune offre pour les adjoints. Cette tendance se renforce chez tous les titulaires, quelle que soit la taille de l’officine. » Généralement, ils commencent par réduire le nombre d’heures travaillées par leurs adjoints pour éviter d’en arriver au licenciement, « ce qui conduit les adjoints à travailler dans plusieurs officines pour compléter leur nombre d’heures ». De plus, les rares postes qui se libèrent font souvent l’objet de recrutement « interne », par exemple à l’intérieur d’un groupement de pharmaciens. « Je recrute de moins en moins d’adjoints mais je propose de plus en plus de formations avec des embauches à la clé, par exemple pour des rayonnistes, des vendeurs en parapharmacie. Parce que j’ai des demandes pour ces postes-là. » Quant à une embellie à venir, Armand Gremeaux reste prudent. Les nouvelles missions qui se mettent progressivement en place pourraient créer un appel d’air pour les adjoints, « mais on ne s’attend pas à un raz-de-marée ». Un autre bol d’air pourrait aussi être apporté par la future rémunération mixte, attendue pour 2015. « Par ailleurs, je continue à faire des formations installation, ce qui veut dire que, même en période de crise, des pharmaciens cherchent à s’installer et à savoir comment s’y prendre. Il y a de belles affaires à faire, il faut avoir du flair, se faire aider de cabinets experts, sortir des sentiers battus et être mobile. Cela vaut aussi pour les adjoints. La petite frange d’adjoints qui se bouge est très contente car très sollicitée et sans concurrence… », ajoute Armand Gremeaux.
Réduire la masse salariale.
Philippe Becker, directeur du département pharmacie au cabinet d’expert-comptable Fiducial, ne peut que confirmer la difficile situation des officines à l’heure actuelle, lourde de conséquences pour le personnel. « L’une des mesures pour agir sur la trésorerie d’une pharmacie qui va mal est de réduire la masse salariale. D’autant que la baisse du chiffre d’affaires peut générer le passage sous un seuil en terme de nombre de pharmaciens à embaucher. Parfois, même lorsqu’ils ne passent pas sous ce seuil, des titulaires sont obligés de licencier s’ils ne veulent pas couler. » L’expert-comptable observe lui aussi cette tendance au non-remplacement des personnes qui quittent l’entreprise, au remplacement par un poste moins qualifié, et au licenciement quand il n’y a plus d’autre choix. Il déplore également le manque de mobilité des adjoints en notant que, en pleine crise, certains titulaires ne parviennent pas à trouver de remplaçant ou d’adjoint. « Par ailleurs, les pharmaciens commencent à prendre conscience qu’ils n’ont plus d’autre choix que de rationaliser leur masse salariale, ils sont obligés de travailler avec une équipe plus restreinte. Les titulaires qui s’installent en association le comprennent bien et là où il y avait un titulaire et un adjoint, on trouve désormais deux titulaires et plus d’adjoint. »
Bien que Pôle Emploi n’ait pu fournir de données précises pour l’année 2013, la tendance est confirmée par l’ensemble des experts de l’emploi en pharmacie. Et le nombre de pharmaciens inscrits au chômage n’a cessé d’augmenter ces dernières années. Ils étaient en effet plus de 2000 en 2008, 2 400 en 2009, 3 800 en 2 011 et 4 200 en 2012… Ces chiffres regroupent l’ensemble des pharmaciens (hospitaliers, répartiteurs, des armées, officinaux). La catégorisation n’étant pas explicite, des adjoints peuvent être inscrits soit en tant que « pharmacien assistant », soit « pharmacien », soit « pharmacien d’officine ». Si on se limite à l’appellation « assistant », le nombre de demandeurs d’emploi augmente légèrement entre 2 011 et 2012, de 552 à 575. Quant aux régions les plus touchées par le chômage pour les pharmaciens, il s’agit sans surprise de l’Ile-de-France, largement en tête en nombre de demandeurs d’emploi, puis de Rhône-Alpes et PACA, Aquitaine et Midi-Pyrénées.
« La tendance est à la hausse. Il y a encore deux ou trois ans, la pharmacie était un secteur relativement épargné, mais nous avons désormais des chômeurs longue durée et des licenciements à la limite de la légalité », note François Aucouturier, représentant des pharmaciens adjoints au sein de la CFE-CGC. Il s’insurge : « C’est révoltant, mais lors de rachats d’officine, alors que les nouveaux titulaires sont obligés de garder les salariés, ils imposent aux adjoints soit de démissionner, soit de baisser leur coefficient. Et s’ils refusent, ils sont licenciés. Un licenciement économique étant toujours plus difficile à justifier, ils cherchent des erreurs imputables aux personnes concernées. Le premier cas que nous avons rencontré date d’il y a quatre ans, cela nous a sidérés. Malheureusement, sans être une pratique courante, cela n’est plus exceptionnel. » Résultats : les rangs des demandeurs d’emploi grossissent et ceux qui restent en poste sont confrontés à une baisse de leur pouvoir d’achat. « Le non-remplacement des personnels qui quittent l’officine est aussi en augmentation, tout comme la pratique de remplacer un adjoint par un préparateur. »
Mobilité géographique.
Olivier Clarhaut, préparateur en pharmacie et secrétaire fédéral de FO Pharmacie, observe de son côté que les reprises de pharmacies à deux titulaires, là où il n’y en avait qu’un seul, poussent les repreneurs à supprimer le poste d’adjoint. « Nous n’avons pas les outils pour faire face à l’augmentation du chômage. On ne peut même pas proposer des formations aux demandeurs d’emploi, on a déjà énormément de mal à obtenir les fonds pour la formation continue de ceux qui sont en poste. » Il regrette l’absence d’une politique volontariste pour enrayer ce problème de chômage.
Par ailleurs, François Aucouturier reconnaît également un problème de mobilité géographique chez les adjoints (voir ci-dessous l’entretien de Jérôme Parésys-Barbier). Car, aujourd’hui encore, des titulaires en recherche active d’adjoint n’en trouvent aucun. « Reste à différencier ceux qui n’arrivent pas à trouver un adjoint acceptant de venir travailler dans une officine éloignée ou isolée de ceux qui prétendent ne pas trouver d’adjoint et ainsi justifier le fait de ne pas répondre à leurs obligations d’embauches en fonction du chiffre d’affaires. »
En revanche, l’intérim est en nette augmentation depuis plusieurs années. « On en voyait très peu dans les comptes de résultats, c’est devenu beaucoup moins rare aujourd’hui », indique Philippe Becker. Le président de la section D de l’Ordre des pharmaciens confirme des mouvements beaucoup plus nombreux en termes d’inscription et de radiation de l’Ordre chaque mois.
Le syndicaliste de CFE-CGC est aussi inquiet à cause de la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi. Elle fixe notamment une durée minimale de travail de 24 heures par semaine (ou une durée équivalente prévue par un accord collectif) et prévoit qu’au-delà, les heures travaillées donneront lieu à une majoration de salaire. « Cela pose problème aux petites structures, par exemple une pharmacie qui prend un adjoint deux après-midi par semaine pour soulager le titulaire. C’est aussi un problème pour les adjoints multi-employeurs et ceux qui travaillent à temps partiel par choix. Un mi-temps, ce n’est pas 24 heures ! » Des négociations avaient abouti à un accord de branche pour réduire ce seuil, signé par trois des cinq centrales syndicales des employés, mais il a finalement été cassé par les non-signataires. Les négociations doivent reprendre. Olivier Clarhaut précise cependant que des exceptions sont accordées pour les personnes qui sont d’accord pour travailler moins de 24 heures par semaine. Dans ce cas, la demande doit être formulée par écrit et motivée. Mais le secrétaire fédéral craint que des adjoints effectuent ce genre de demande sous la pression.
Sortir du rouge.
Quant à l’espoir que certains placent dans la future rémunération mixte, François Aucouturier reste vigilant : « On l’appelle de nos vœux depuis des années, j’applaudis son arrivée mais je reste prudent. Pour les titulaires, cela va peut-être leur permettre de sortir du rouge, mais embaucher, c’est une autre affaire. » Olivier Clarhaut pense aussi que la nouvelle rémunération va surtout servir à « compenser les pertes de ces dernières années, mais pas à embaucher ».
De la même façon, les adjoints ont une place à prendre dans le cadre des nouvelles missions, mais le syndicaliste garde là encore des réserves. « Il peut y avoir des effets positifs pour le pharmacien adjoint, et dans une autre mesure pour le préparateur, mais je ne me prononce pas davantage. » François Aucouturier, de son côté, croit peu en la création d’emplois dans ce cadre. « Tant que le pharmacien adjoint ne sera pas considéré autrement que comme un simple salarié, et que lui-même se considère ainsi, l’évolution sera difficile. Il doit aussi montrer son engagement, sa capacité d’encadrement, ses prises de responsabilités : être flexible et impliqué dans l’organisation de l’entreprise. » L’ouverture des SEL aux adjoints fait néanmoins partie des pistes d’évolution favorable, comme le remarque François Aucouturier, « mais c’est l’avenir en tant que salarié d’une officine qui présente peu d’issues ».
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